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Algérie : la mort d’un présumé contrebandier déclenche la colère à Djanet

La ville saharienne de Djanet, 15 000 habitants, à 2100 km au sud d’Alger, a connu dimanche et lundi, des affrontements entre des habitants et des éléments de l’armée et de la police
Par Melanie

Les accrochages violents, qui ont fait deux morts selon des sources sur place contactées par Middle East Eye, ont éclaté suite à la mort par balle d’un jeune prés de la frontière avec la Libye. L’armée algérienne, dans un communiquépublié dimanche 19 août, avait annoncé qu’un détachement militaire « a intercepté le 18 août un véhicule tout-terrain et a abattu un contrebandier après avoir refusé d’obtempérer, alors qu’un autre contrebandier a été arrêté ».

« Les militaires ont tiré sur ce véhicule qui refusait de s’arrêter près de Tin-Alkoum, un des trois postes frontaliers avec la Libye, précise une source sécuritaire à Alger. C’est une région où, au-delà de la contrebande classique de carburants ou d’autres marchandises, nous saisissons beaucoup d’armements ». Les 19 et 20 août, l’armée a encore saisi plusieurs pièces d’armes dans deux zones frontalières avec la Libye et le Mali. 

La nuit de dimanche à lundi : on entend les tirs des militaires au centre-ville de Djanet

Concernant les tirs à balles réelles sur les manifestants, un témoin de Djanet affirme que « après des tirs de sommation, les militaires ont paniqué quand ils ont vu que la foule s’approchait trop de l’enceinte de la caserne du Secteur opérationnel, et des tirs sont partis alors… ».    

Indignation

Des interlocuteurs au téléphone de Djanet déclarent que la jeune victime, habitant Djanet, a été débusquée par les militaire alors qu’il tentait d’entrer de Libye par une des nombreuses pistes qu’empruntent les contrebandiers. 

Mais d’autres habitants de Djanet récusent les affirmations de l’armée : « pourquoi tirer sur un simple véhicule dont les occupants ne sont pas armés ? », s’insurge un commerçant de la ville joint par téléphone. Cette indignation et le sentiment de marginalisation d’une région isolée et dont les activités de tourisme et de commerce pâtissent de la situation sécuritaire en Libye ont allumé le feu au poudre. 

« Pourquoi tirer sur un simple véhicule dont les occupants ne sont pas armés ? »

- Un habitant de Djanet

La contrebande a de tout temps étaient une des activités les plus lucratives dans les régions frontalières sous l’œil tolérant des autorités algériennes tant que l’on ne touche pas au trafic de drogue et des armes. Mais les crises libyenneet malienne, l’instabilités aux frontières sud et la peur des incursions de groupes armés comme ce fut le cas lors de la prise d’otage de Tiguentourine début 2013 ont mis à mal la fluidité des échanges frontaliers. 

Rien que le long des frontières avec la Libye  - 982 km -  l’Algérie a déployé entre 40 000 et 50 000 hommes et mène régulièrement des exercices militaires à la frontière surveillée par hélicoptère et protégée par une sorte de « tranchée ». Des tours de surveillance jalonnent cette longue ligne désertique, équipées de moyens de détection électronique, de drones… 

Surveillance des frontières

En 2013, la base aérienne de Tamanrasset, à 2200 km au sud d’Alger, siège du Comité d’état-major opérationnel conjoint du Sahel (CEMOC), a été agrandit pour optimiser les capacités de projection de force dans des délais record, selon des données de l’armée algérienne.

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Cette militarisation, doublée de la suspension de plusieurs circuits touristiques par peur des rapts ciblant des étrangers, a complétement bousculé l’équilibre fragile économique des régions frontalière, même si la spécificité des liens humains est souvent prise en compte. Souvent, les mêmes familles habitent des deux côtés des frontières et l’appartenance tribale transcende, parfois, les nationalités des uns et des autres. « Nous surveillons fermement les frontières, mais nous laissons les familles circuler pour ne pas couper les liens entre les gens. Un Algérien peut avoir un cousin malien ou libyen, c’est tout à fait courant par ici », expliquait un officier de l’armée en poste sur la frontière malienne, du côté de Bordj Badji Mokhtar. Mais la donne se complique de plus en plus avec les filières migratoires que traquent l’armée depuis ces dernières années.  

Cette militarisation, doublée de la suspension de plusieurs circuits touristiques par peur des rapts ciblant des étrangers, a complétement bousculé l’équilibre fragile économique des régions frontalière

Pour l’heure, et en ce premier jour de l’Aïd el-Adha, la situation semble se calmer à Djanet. Un procès-verbal listant les revendications de la population a été co-signé, lundi, par les autorités militaires et civiles et des élus de la région ainsi que les proches des victimes. L’ouverture des frontières, la libre circulation des personnes et la vérité sur les trois pertes humaines figurent dans ce document.

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