Algérie : un imam wahhabite déclenche la polémique
ALGER - Figure du wahhabisme et proche des imams saoudiens les plus influents, le cheikh algérien Mohamed Ali Ferkous, adepte du courant madkhali (en référence à l’imam saoudien Rabi’ al-Madkhali ), a publié le 21 mars sur son site web officiel un long texte excommuniant un large pan des écoles et des courants musulmans en Algérie, tout en excluant aussi des « fidèles à la tradition du prophète » (ahl as-sunna wa al-jamaâ), tous ceux qui manifestent, protestent publiquement ou font grève au nom des libertés démocratiques et des droits des femmes.
Le vieux religieux algérois, 64 ans, adepte de l’imam saoudien Rabi’ al-Madkhali, professeur à l’Université islamique de Médine, s’était déjà distingué dès le début des révoltes arabe par des fatwas rendant illicite toute manifestation ou rébellion contre l’autorité, en adhésion avec les préceptes du courant « madkhalia ».
« La manifestation est tout de même considérée comme un acte blâmable, qui ne fait partie ni de la voie propre à l’islam relative à la politique et à l’autorité, ni des pratiques des musulmans, ni des moyens d’interdire le mal définis dans le système islamique. C’est, plutôt, une pratique permise dans le système démocratique qui renvoie le pouvoir au peuple au lieu de le renvoyer au Seigneur du peuple », écrivait Mohamed Ali Ferkous sur son site le 20 mars 2011.
En janvier dernier, le notable religieux saoudien, al-Madkhali, avait désigné Ferkous et deux autres imams algériens (Abdelmadjid Djemaâ et Lazhar Snigra) comme les « têtes du mouvement salafiste » en Algérie.
Cette désignation a été dénoncée en Algérie aussi bien par ceux qui criaient à l’ingérence saoudienne dans les affaires de cultes algériens, que par certains imams salafistes qui contestent la prééminence du courant de la « madkhalia » en Algérie.
L’opinion publique algérienne et les autorités, depuis les années de la guerre civile et de l’insurrection islamiste, restent toujours très sensible aux débats sur les référents religieux de la société et de l’État algériens.
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L’actuel ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, malgré ses attaques contre les ahmadis ou les chiites accusés de prosélytisme en Algérie, tente d’encourager un islam maghrébin débarrassé des scories de l’extrémisme importé, un islam d’ouverture, ou « l’islam de Cordoue » pour reprendre ses propres termes.
Mais sur un autre plan, et selon une source sécuritaire algérienne, les leaders salafistes ont longtemps été tolérés tant qu’ils participent à la contre-propagande extrémiste violente, à la demande des autorités.
« Ferkous organise ses halaqat [groupe d’études] dans sa bibliothèque à Kouba [proche banlieue d’Alger] sans recourir à aucune autorisation des pouvoirs publics, contrairement aux autres prédicateurs », souligne un habitué des cercles salafistes algérois à Middle East Eye.
Mais la dernière sortie du cheikh Ferkous, qui enseigne toujours à l’Université des sciences islamiques du Caroubier à Alger, un des fiefs salafistes les plus actifs du pays, risque de provoquer des remous plus importants que ses dernières interventions.
Car, dans le même texte publié sur son site le 21 mars, Mohamed Ali Ferkous va plus loin en disant que les ibadites, les achaâris, les soufis (l’islam maghrébin traditionnel est majoritairement soufi et a été encouragé par Bouteflika pour contrer les extrémistes) et les Frères musulmans ne font plus partie des adeptes de la sunna musulmane (la tradition du prophète Mohammed).
De son côté, le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), Abderrezak Makri, a tenté de réagir à cette fatwa sur sa page Facebook en expliquant que le travail partisan n’est pas contradictoire avec la daâwa (prédication religieuse).
Le MSP organisera dans les prochains jours une rencontre rassemblant plusieurs érudits des différents courants ciblés par Ferkous, à son siège à Alger.
Le président du MSP Aderrezak Makri répond à Ferkous sur la chaîne El Bilad TV
Plus virulent, Abderrezak Guessoum, président de l’Association des oulémas musulmans algériens, traditionnelle organisation politico-religieuse créée en 1931, a qualifié le texte de Ferkous de « grave dérive », lui reprochant d’exclure des courants entiers du sunnisme et appelant les oulémas (savants) et exégètes musulmans algériens à dénoncer ces excommunications.
Guessoum a appelé les plus hautes autorités du pays à réagir face aux déclarations de l’imam wahhabite, les qualifiant de « véritable danger pour l’unité nationale ».
Enfin, l’association islamiste al-Maâli pour les sciences et l’éducation a publié une longue réponse à la fatwa du cheikh Ferkous appelant à « l’unité nationale et à la cohésion sociale » et à ne plus considérer la démocratie comme une dérive du point de vue religieux en arguant : « L’ensemble du peuple algérien s’est réuni autour des valeurs de la démocratie dans le cadre des principes de l’islam comme le stipule la Déclaration du 1er novembre 1954 ».
Ferkous va plus loin en disant que les ibadites, les achaâris, les soufis et les Frères musulmans ne font plus partie des adeptes de la sunna
« Le plus grave pour Ferkous est qu’il s’attaque au soufisme en l’excluant de la sunna : il agresse ainsi directement le président Abdelaziz Bouteflika qui est, avec sa famille, un fervent adepte de la toroqia [courant traditionnel maghrébin soufi] », fait remarquer à MEE un expert du fait religieux. « De plus, il est en pleine contradiction avec ses fatwas décrétant l’obéissance absolue au ‘’gouverneur musulman’’. Cela ne passera pas sans casse pour cheikh Ferkous. »
« L'État fera face à ces idées déviées et la loi sera appliquée contre de telles pratiques et leurs auteurs, afin de ne pas les laisser s'introduire dans les écoles, les mosquées et les universités et, par conséquent, empêcher l'effusion du sang des Algériens », a averti lundi le ministre des Affaires religieuses.
« Les mosquées, les zaouias et les écoles coraniques sont appelées à œuvrer pour promouvoir la paix, instaurée en Algérie après des années de violence et de terrorisme grâce aux sacrifices des forces de sécurité et des citoyens et à la faveur de la politique de réconciliation nationale adoptée par le président de la République prônant la paix, l'amour et le respect de l'Autre et le rejet de la classification, de la stigmatisation et de l'exclusion introduites de l'étranger dans la société algérienne. »
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