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Alqosh, un village chrétien sur la ligne de faille entre l’Irak et le Kurdistan

Les luttes pour le pouvoir dans l’antique ville assyrienne d’Alqosh laissent les habitants face à un avenir incertain
Fresque représentant Saint Georges et le Dragon dans la ville d’Alqosh (MEE/Alex MacDonald)

ALQOSH, Irak – Montrant l’école Mar Mikha al-Nuhedri, Louay explique que celle-ci existe dans la ville d’Alqosh depuis le Ve siècle.

« C’était la première école ici, ils enseignent l’instruction du christianisme, a-t-il affirmé. Ils y ont amené des enfants handicapés pour les instruire. »

Concierge de la maison du patriarche catholique d’Alqosh, Louay s’est dit ravi que sa ville et son héritage, avec l’une des dernières populations chrétiennes assyriennes du pays, soient désormais sous la protection du gouvernement du Kurdistan irakien.

« Au Kurdistan, nous avons tout », a-t-il affirmé.

Depuis la construction de l’école, la ville d’Alqosh, située dans le nord de l’Irak, est passée entre les mains de nombreux dirigeants, notamment le califat abbasside, l’Empire ottoman et le gouvernement baasiste de Saddam Hussein.

L’école Mar Mikha al-Nuhedri d’Alqosh (MEE/Alex MacDonald)

La dernière lutte en date pour le contrôle de la ville se déroule actuellement, alors que le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) lance sa tentative d’indépendance avec un référendum le lundi 25 septembre. Bien qu’Alqosh soit, du moins sur la carte, intégrée à l’Irak contrôlé par Bagdad, les forces de sécurité du GRK contrôlent effectivement la ville depuis 2014.

À cette époque, le groupe État islamique s’était répandu vers l’est, prenant le contrôle de territoires à travers l’Irak.

Les chrétiens vivant dans les zones contrôlées ont été sommés par le groupe de se convertir ou de verser un impôt, faute de quoi ils risquaient la mort. La lettre « N » signifiant « Nazaréen » (en référant à ville ancestrale dont Jésus est originaire) était peinte aux portes des maisons chrétiennes et de nombreux réfugiés ont dû fuir leur patrie ancestrale.

Les forces des peshmergas kurdes ont joué un rôle essentiel pour mettre fin à l’assaut de l’État islamique et empêcher le groupe d’avancer plus loin à l’intérieur de l’Irak et du Kurdistan irakien.

Depuis, ces forces sont toutefois restées dans la ville et la décision du président du GRK Massoud Barzani et de ses alliés d’inclure Alqosh dans un futur État kurde a provoqué l’indignation de ceux pour qui Alqosh fait partie de l’Irak.

Les habitants de la ville ont exprimé des opinions différentes, mais certains affirment que le meilleur sort possible les attend sous une domination kurde.

Un homme – s’exprimant à l’extérieur d’un café décoré sur le thème du communisme, avec des photos de Joseph Staline et de Che Guevara – a déclaré que le gouvernement kurde était le seul véritable garant de leurs droits politiques et religieux.

« Certains s’opposent peut-être au référendum, mais la plupart sont pour », a déclaré Amr, un travailleur du secteur du tourisme local à Alqosh. « Nous sommes chrétiens ici, nous ne pouvons pas vivre avec les gens du sud, les Arabes. »

« Les Kurdes, ils nous protègent, donc nous allons soutenir les Kurdes. »

Des photos de Staline et Che Guevara décorent un café communiste à Alqosh (MEE/Alex MacDonald)

Il a expliqué que le gouvernement kurde avait construit des hôpitaux, fourni de l’électricité, de l’eau et d’autres infrastructures de base après des années de négligence sous Saddam Hussein et le gouvernement de Bagdad post-2003.

« Nous vivons au sein d’une communauté libre à Alqosh, n’importe qui peut rejoindre n’importe quel parti, adhérer à n’importe quelle éthique, quel que soit le sexe ou la croyance, tous peuvent vivre ensemble librement en tant que frères », a-t-il déclaré.

« Ce café, a-t-il expliqué en le montrant du doigt, appartient à un communiste, mais je suis du PDK et mon cousin de l’UDP, n’importe qui peut rejoindre n’importe quelle cause. »

« Nous nous sentons en sécurité ici – avec le Kurdistan, nous nous sentons en sécurité. »

Le communisme et le christianisme semblent chez eux à Alqosh. Construite au pied des montagnes de Bayhidhra, cette ville en grès est parsemée d’églises et d’un symbolisme chrétien.

Une fresque murale représente le conte chrétien de Saint Georges et du Dragon, dans lequel un chevalier fait face à des obstacles apparemment insurmontables pour vaincre un dragon qui souhaite le dévorer.

Niché dans les montagnes surplombant Alqosh, le monastère Rabban Hormizd existe depuis l’an 640.

La seule absence remarquée à Alqosh, cependant, est celle du drapeau de la République d’Irak. Le seul endroit où l’image d’un Irak unifié apparaît se trouve au-dessus du poste de police, nettement dépassé et surpassé par les forces de sécurité des peshmergas kurdes et d’Asayesh.

À l’inverse, un fort ottoman réquisitionné par Asayesh est orné du vert, du rouge et du jaune qui forment le drapeau du Kurdistan.

Le monastère Rabban Hormizd, dans les montagnes surplombant Alqosh (MEE/Alex MacDonald)

Tout le monde dans la ville ne s’est pas réjoui de la présence des peshmergas, et certaines manœuvres récentes du GRK ont été perçues par les habitants comme une prise de pouvoir.

En juillet, le maire d’Alqosh, Faiz Abed Jahwareh, a été démis de ses fonctions – prétendument pour des accusations de corruption – et remplacé par Lara Yousif, membre du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) au pouvoir au sein du GRK.

Suite à cela, des manifestations ont éclaté dans la ville pour demander la réintégration de Jahwareh.

Traduction : « Direct : des habitants d’Alqosh organisent leur troisième manifestation contre l’éviction illégale du maire et la nomination d’une membre du PDK. #StandwithAlqosh »

Le Mouvement démocratique assyrien (MDA), un parti politique assyrien qui préfère rester dans un État irakien fédéralisé, a critiqué le licenciement et condamné la tentative d’incorporation d’Alqosh dans le périmètre du référendum kurde.

« Nous n’accepterons aucun type de référendum dans la plaine de Ninive et dans les zones de minorités », a déclaré le député Yonadam Kanna au début du mois de septembre.

Dès 2008, dans un câble diplomatique publié par WikiLeaks, Basim Bello – un ancien maire MDA de Tel Keppe qui a également été destitué en août – a averti que le GRK essayait de prendre le contrôle de la plaine de Ninive dans le but de l’intégrer au Kurdistan.

Il a déclaré que les forces du GRK tentaient d’établir « des faits sur le terrain en déplaçant des Kurdes dans des zones chrétiennes, en remplissant les conseils de district et de sous-district avec des membres kurdes non élus et, dans le cas d’Alqosh, en dépensant généreusement, en particulier dans la construction d’églises et d’équipements liés à l’Église ».

Néanmoins, l’essor du fondamentalisme islamique en Irak depuis l’invasion de 2003 a en partie empoisonné la relation entre la population chrétienne d’Alqosh et le gouvernement central à Bagdad.

Beaucoup considèrent désormais le GRK, essentiellement laïc, comme un pari plus sûr pour la protection de leurs droits que le gouvernement irakien, de plus en plus dominé, selon eux, par l’Iran.

Un combattant peshmerga plus âgé vivant à Alqosh, vêtu d’un uniforme militaire avec un insigne de l’armée américaine, s’est dit particulièrement mécontent des Unités de mobilisation populaire (UMP), ou Hachd al-Chaabi, des organisations de combat en grande partie chiites qui ont été fortement impliquées dans la lutte contre l’État islamique.

« Ils sont pires que l’État islamique, a-t-il déclaré. Ils ont été élevés par la main de l’Iran de manière à être pires que l’État islamique. »

« Nous savons que la plupart des dirigeants [des UMP] appartiennent à l’Iran. À Bartella, ils ont ouvert une école qu’ils ont nommée "Khomenei" et ils y ont hissé un drapeau iranien. »

Il a confié que si le référendum – qu’il soutient – devait passer, il résisterait alors à toute tentative de prise de contrôle d’Alqosh par les UMP.

« Nous prions Dieu pour ne pas devoir nous battre, mais si nous sommes forcés de nous battre, nous sommes prêts. »

Combattant peshmerga à Alqosh (MEE/Alex MacDonald)

Certains semblent toutefois méfiants face à l’ensemble du processus.

Un homme assis devant son magasin, qui a souhaité rester anonyme, a estimé que le référendum n’était qu’un nouveau stratagème populiste de la classe politique irakienne.

« Tout ce qui se passe à Bagdad ou ici sert leurs propres intérêts », a-t-il déclaré.

« En tant qu’habitants de ce pays, nous ne voulons pas être impliqués dans des questions politiques, nous voulons simplement vivre. Nous serons donc du côté de quiconque autorisera cela. Je ne veux pas interférer avec un parti politique ou des choses politiques. »

Il a confié qu’il en avait assez de l’obsession du pays pour les religions et les sectes, qui a selon lui été « montée de toutes pièces » depuis l’invasion de 2003.

« Je ne pense pas qu’il restera des chrétiens en Irak », a affirmé un autre homme plus jeune qui s’est immiscé dans la conversation.

« Je pense qu’ils vont tous partir. »
 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation

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