Aller au contenu principal

Bahreïn : gaz lacrymogène et chevrotine pour fêter le 4e anniversaire du soulèvement

Les manifestants se remémorent les événements de 2011 dans des conditions de sécurité renforcées, et les leaders du soulèvement demeurent en prison
Un manifestant tenant une pancarte représentant le cheikh Ali Salman, chef de file du mouvement d'opposition chiite al-Wefaq, s'abrite des gaz lacrymogènes lors d'affrontements avec la police (AFP).

Des affrontements ont eu lieu entre les manifestants et la police samedi alors que les Bahreïniens commémoraient le quatrième anniversaire du début des manifestations de 2011 contre la monarchie régnante des al-Khalifa.

La police a tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes sur des centaines de manifestants et renforcé la sécurité de nombreuses routes et villages dans tout le pays.

Les manifestants scandaient des slogans tels que « A bas Hamad », en référence au roi au pouvoir, Hamed ben Issa al-Khalifa, et arboraient le drapeau rouge et blanc du Bahreïn.

Bien que l'on n'ait pour l'instant signalé aucune victime, des militants ont publié, via les réseaux sociaux, des photos montrant des blessures causées par des tirs de chevrotine.

Des mesures de sécurité avaient été mises en place afin d'empêcher les manifestants de rejoindre le centre de la capitale, Manama, où s'était concentrée la révolte de 2011.

Les militants ont brûlé des pneus et utilisé des pierres, des poubelles et des branches pour bloquer les routes de certains villages.

Le chef de la police, le major-général Tariq al-Hassan, a lancé de sévères avertissements avant la manifestation, qui ont été repris par la Coalition du 14 février, un mouvement de jeunesse hostile au gouvernement, sous le slogan « Strike of Defiance » (acte de défi).

« Des mesures seront prises à l'encontre de ceux qui répandent la terreur parmi les citoyens et les habitants, mettent en péril la sécurité d'autrui ou tentent de troubler la sécurité et la stabilité de la nation », a indiqué Tariq al-Hassan.

L'opposition, composée de différentes organisations libérales, de gauche et chiites islamistes, a appelé à l'établissement d'une véritable monarchie constitutionnelle avec un Premier ministre élu (celui-ci est actuellement désigné par le roi), bien que certains manifestants plus radicaux aient cherché à mettre un terme à l'emprise de la dynastie al-Khalifa sur le pouvoir. Celle-ci gouverne le Bahreïn depuis le XVIIIe siècle.

Le chef de file de l'opposition, le cheikh Ali Salman, secrétaire général du parti chiite islamiste al-Wefaq, se trouve actuellement en prison, accusé d'avoir tenté de renverser le gouvernement.

Des manifestations sont organisées presque quotidiennement dans les villages chiites depuis son arrestation le 28 décembre, peu de temps après sa réélection à la tête du parti al-Wefaq.

On signale également un nombre croissant d'attaques à l'encontre des forces de sécurité.

On compte aussi, parmi les chefs de l'opposition ayant été arrêtés, Zainab al-Khawaja et Nabil Rajab, militants pour le Centre des droits de l'Homme du Bahreïn.

Lors d'une interview avec Middle East Eye organisée peu de temps avant sa condamnation fin janvier à six mois d'emprisonnement pour avoir « insulté les institutions publiques », Nabil Rajab mettait en garde contre l'accroissement des tensions au Bahreïn.

« Dans presque toutes les familles chiites, on trouve un ou deux prisonniers ou quelqu'un qui s'est fait tirer dessus, a été blessé ou tué », a déclaré Nabil Rajab. « Le fossé s'élargit, et les blessures sont plus profondes qu'il y a deux ou trois ans. Et la répression va s'amplifier au Bahreïn. »

« Pour la première fois depuis l'indépendance du pays [en 1971], une loi stipule qu’aucune manifestation pacifique n'est autorisée à Manama », a-t-il ajouté, faisant également remarquer que, si les manifestations demeurent légales en dehors de la capitale, elles deviennent de plus en plus difficiles à organiser en raison de la répression imposée par l'Etat.

Sayed al-Wedaei, directeur de l'Institut du Bahreïn pour les droits de l'homme et la démocratie (BIRD), a indiqué à MEE que, cette année, l'organisation de manifestations similaires à celles des années précédentes représentait un défi en raison des lois de plus en plus restrictives sur les manifestations.

« Des centaines de voitures de police ont été déployées aux quatre coins de ce minuscule pays, et l'on trouve des véhicules blindés quasiment à la sortie de chaque village », a-t-il précisé.

« Compte tenu des conditions et de la manière dont ils ont essayé d'assiéger ou de contenir tous les villages et les places publiques, empêchant toute manifestation de durer plus de cinq ou dix minutes, les mesures répressives seront immédiates.

« Dans ce contexte, il n'y aura pas de manifestation massive. Non pas parce que le peuple n'est pas déterminé ou motivé, mais simplement parce que les nouvelles mesures répressives appliquées par les forces de sécurité ne laissent aucune chance. »

Des ours en peluche

L'une des particularités des manifestations organisées cette année est l'omniprésence d'ours en peluche dans les rues et aux barrages routiers.

Sayed al-Wedaei l'interprète comme un message de Saint-Valentin adressé à l'Etat.

« C'est peut-être notre façon d'exprimer notre amour le jour de la Saint-Valentin, descendre dans la rue pour résister à la dictature, notamment », a-t-il indiqué.

« Peu d'espoir de progrès »

Les chefs de l'opposition ont accueilli l'anniversaire du soulèvement avec un soupçon de pessimisme.

« Le mouvement existe depuis quatre ans, et la situation ne fait qu'empirer et se dégrader. Les citoyens sont à tout moment menacés de perdre leur nationalité », a déclaré al-Wefaq sur Twitter.

Ce parti a été interdit pendant trois mois pour avoir violé une loi relative aux associations et avoir boycotté les élections législative l'année dernière.

« Il semblerait qu'il n'y ait que peu d'espoir de progrès au Bahreïn. L'opposition est à peine légale », a déclaré Neil Partrick, spécialiste du Golfe au sein du Royal United Services Institute for Defence and Security Studies.

Le gouvernement a privé les militants de l'opposition de leur citoyenneté, au Bahreïn et à l'étranger, comme moyen de limiter leur sphère d'influence.

Sayed al-Wedaei figure sur la liste des soixante-douze personnes dont la citoyenneté a été révoquée début février par le ministère de l'Intérieur du Bahreïn pour avoir « dénigré l'image du régime, incité à agir contre celui-ci et diffusé de fausses informations visant à entraver les règles de la Constitution ».

« C'est la triste réalité dans ce pays », a-t-il déclaré. « Lorsque j'étais au Bahreïn en 2011, j'ai été sauvagement battu par la police, emprisonné, soumis à la torture et exilé du pays. Maintenant, ils continuent de nous opprimer en nous privant de la seule chose qu'il nous reste, à savoir notre identité. C'est ainsi que la dynastie au pouvoir nous traite. »

Pour le moment, les tentatives de « dialogue national » sont restées vaines au Bahreïn.

La position stratégique du pays, qui abrite la cinquième flotte des Etats-Unis et participe à la coalition menée par ces derniers pour lutter contre l'Etat islamique en Irak et en Syrie, rend la communauté internationale réticente à faire pression sur le Bahreïn pour sa répression continue à l'encontre des manifestants.

Lors d'un discours tenu au Bahreïn le mois dernier, Philip Hammond, secrétaire d'Etat britannique aux Affaires étrangères, a salué les efforts du gouvernement en matière de réformes.

« Ce pays est sur la bonne voie », a-t-il déclaré. « Il entreprend des réformes significatives. Le prince héritier chargé de cette question est directement impliqué et a fait d'importants progrès, y compris au cours des derniers mois. »

En décembre, Philip Hammond a annoncé que le Royaume-Uni avait pour projet la construction d'une nouvelle base navale au Bahreïn.

Cependant, Rachel Peterson, directrice de la communication au sein de l'ONG Americans for Democracy and Human Rights in Bahrain (ADHRB), évoque la possibilité d'un changement de position des Etats-Unis, lié notamment à l'inquiétude suscitée par la montée d'un sectarisme radical dans le pays.

« Lors de nos discussions avec le gouvernement américain, qu'il s'agisse du pouvoir exécutif ou du Congrès, nous avons constaté une inquiétude grandissante quant à la situation », a-t-elle indiqué à MEE. « Ils réalisent qu'outre la nécessité de travailler en coalition avec ce gouvernement pour lutter contre l'EI, la politique intérieure du Bahreïn pose certains problèmes en encourageant l'extrémisme dans la région. Ils essaient donc de parvenir à un équilibre.

« Nous sommes plutôt optimistes quant à l'utilisation par le gouvernement américain d'outils supplémentaires pour encourager les réformes. Je pense qu'étant donné que cette révolte persiste, et que ces revendications sont légitimes, il est dans l'intérêt des Etats-Unis d'y répondre. »

Elle suggère en outre que la présence de la cinquième flotte pouvait également constituer un facteur d'embarras pour les Etats-Unis.

« D'un point de vue réaliste, si la situation venait à se dégrader davantage, le Bahreïn ne serait pas une base hospitalière pour la flotte américaine », a-t-elle ajouté.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].