BDS : les entreprises coloniales promettent de camper sur leurs positions en vue d’un long combat
PARC INDUSTRIEL DE BARKAN, Cisjordanie – Lorsque Moshe Lavran se rend sur son lieu de travail chez TwitoPlast, une usine de systèmes d’air conditionné nichée dans les collines vallonnées de Cisjordanie, il affirme qu’il n’a pas l’impression de traverser un territoire contesté.
« Par notre présence, nous affirmons que nous voyons cette terre comme une partie d’Israël, que nous n’allons pas n’importe où », a déclaré Lavran, responsable export de la société depuis dix-huit ans.
L’usine se situe à 15 minutes de la colonie d’Ariel et sur des terres que la majeure partie de la communauté internationale considère comme étant occupées illégalement ; celle-ci condamne également l’expansion des colonies, qui contribue à remettre en cause de futures négociations israélo-palestiniennes.
Cette usine, comme beaucoup d’autres, se trouve au centre d’une controverse grandissante autour du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui appelle le monde entier à éviter toutes les entreprises israéliennes implantées de l’autre côté de la Ligne verte, dans des territoires que les Palestiniens voient comme une partie de leur futur État.
Lavran explique que les juifs et les Palestiniens travaillent ici dans une relation de coexistence pacifique et que l’influence juive dans la région a été positive, notamment avec l’injection de fonds dans l’économie et la construction d’infrastructures palestiniennes dont les villages palestiniens voisins peuvent également bénéficier. Il a cependant refusé de commenter les réalités distinctes vécues par ses employés palestiniens, qui subissent l’obligation de passer par des postes de contrôle militaires, des violations des droits de l’homme et des confiscations de terres, et qui ont peu de possibilités d’emploi alternatives.
Environ 1 000 entreprises opèrent sur 16 à 20 zones industrielles coloniales, 9 300 hectares de terres agricoles coloniales et 11 carrières coloniales sous licence. Elles ne représentent qu’une partie de l’économie coloniale, qui comprend également les sociétés qui entretiennent et financent les colonies. Environ 30 000 travailleurs palestiniens sont employés actuellement dans les colonies de Cisjordanie, selon Jumaa Jamal, un des membres fondateurs du comité BDS.
Le parc industriel de Barkan a été construit en 1982 dans le cadre d’un programme visant à renforcer la présence israélienne en Cisjordanie, où au moins 400 000 Israéliens vivent aujourd’hui en violation du droit international. Lavran a expliqué qu’ici, l’impact économique du BDS a jusqu’à présent été minime, mais il s’attend à ce que cela change si le boycott est étendu. Si tel est le cas, les Palestiniens seront les premiers perdants, estime-t-il.
« Notre capacité sera réduite et nous licencierons les Palestiniens [...] Ils n’auront nulle part où aller », a soutenu Lavran.
BDS menace d’augmenter le fardeau financier que les colonies imposent à Israël du fait de leur important budget en matière de coûts militaires et infrastructurels.
L’impact mitigé du BDS
Le débat sur le BDS chauffe depuis le mois de novembre, lors duquel l’Union européenne a publié des directives pour l’étiquetage des produits issus des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens et syriens occupés, ce qui a suscité l’inquiétude d’entreprises en Cisjordanie, sur le plateau du Golan et dans la vallée du Jourdain, face au danger de perdre l’un de leurs partenaires commerciaux les plus précieux. Suite à cette politique, les produits en provenance de ces zones sont facilement identifiables et soumis à des frais de douane plus élevés que les produits importés d’Israël, qui a conclu un accord de libre-échange avec l’UE.
L’entreprise de machines à gazéifier Sodastream, Teva Pharmaceuticals, ainsi qu’Ahava, société de cosmétiques à base de minéraux de la mer Morte, ont toutes déménagé, alors que des signes indiquent que d’autres fermetures pourraient être en projet.
Selon le groupe Gush Shalom, qui surveille les entreprises israéliennes opérant en Cisjordanie, 20 à 30 % de l’ensemble des entreprises israéliennes qui s’y trouvent ont fermé leurs portes et se sont délocalisées au cours des vingt dernières années.
Adam Keller, porte-parole du groupe, a reconnu pour Haaretz qu’il s’agissait d’une « estimation très approximative », mais a affirmé que la tendance à la baisse était néanmoins « très claire ».
Cependant, la menace pour les entreprises dans les territoires occupés ne doit pas être exagérée.
La mesure prise par l’UE est non contraignante pour les États membres et son impact ne touche qu’une petite partie de l’économie. Alors que l’Europe représente le plus grand marché d’exportation d’Israël, la plupart des entreprises israéliennes en Cisjordanie produisent annuellement environ 600 millions de dollars de marchandises, soit une petite fraction des 300 milliards de dollars de PIB annuel d’Israël.
La législation de l’UE qui exige l’étiquetage du lieu d’origine affecte principalement les produits agricoles, les vins et les produits cosmétiques, qui représentent au total moins d’1 % de l’ensemble des exportations israéliennes vers l’Europe.
Malgré cela, les responsables politiques israéliens font part de leur inquiétude au sujet de BDS et beaucoup ont condamné ces pressions qu’ils jugent discriminatoires et antisémites.
« Il y a ceux qui observent les alliances solides d’Israël [avec des puissances occidentales] et qui aspirent, pour une raison ou une autre, à isoler Israël et à affaiblir sa position à l’échelle internationale », a déclaré le président israélien Reuven Rivlin, qui a participé à une conférence anti-BDS organisée par l’organe de presse israélien Yediot Aharonot.
« Le mouvement BDS est un mouvement qui rejette l’existence d’Israël et qui a répandu à plusieurs reprises des accusations modernes de meurtre rituel. Il ne fait pas avancer la paix, mais la haine. Il en va de notre responsabilité de démanteler cette organisation. »
Cependant, de nombreux Israéliens prétendent également que la couverture médiatique constitue la plus grande arme du BDS et le groupe a fait preuve de son habileté à exploiter les fissures au sein de l’administration pro-coloniale composée d’une coalition de partis de droite et d’extrême droite dirigée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou.
« Malheureusement, c’est le modus operandi appliqué depuis quelques années par la gauche israélienne : créer un épouvantail pour effrayer le public israélien et le pousser à se retirer de Judée et de Samarie », a écrit David M. Weinberg, directeur des affaires publiques au Centre Begin-Sadate d’études stratégiques de l’Université Bar Ilan, dans le quotidien pro-Netanyahou Israel Hayom. « En parallèle, les responsables politiques de la droite israélienne sont parfois revenus eux aussi à ce type de tactiques alarmistes. Tout comme certains militants d’extrême-droite dans la communauté juive mondiale, ils semblent de plus en plus heureux de crier "Gevalt, boycott !", car cela prouve que les antisémites qui veulent démanteler Israël sont partout, comme la droite l’a toujours averti. »
Au revoir la Grande-Bretagne, bonjour la Chine
Quelle que soit la nature du débat politique, cependant, les propriétaires d’entreprises israéliennes dans les territoires occupés ont juré de se battre bec et ongles pour y rester.
Kuki Elbaz, directeur des dattiers Medjhoul de la vallée du Jourdain, a expliqué qu’il a perdu environ 25 % de son marché d’exportation vers l’Europe depuis que les directives ont été mises en place il y a près de six mois, mais que cela ne l’inquiète pas en général.
Il a consacré des fonds considérables à des campagnes publicitaires dans des marchés alternatifs en Chine, en Afrique et en Amérique du Sud, ainsi qu’auprès des communautés juives ou chrétiennes religieuses pro-israéliennes en Europe.
« Si nous subissons des pertes dans un magasin à Londres, nous les rattrapons et nous allons même au-delà avec des ventes dans d’autres pays qui n’ont pas d’intérêt à s’immiscer dans notre politique », a déclaré Elbaz.
Les bosquets de dattes d’Elbaz ont été plantés à l’origine en 1967 ; néanmoins, ce dernier réfute l’affirmation selon laquelle ses plantations représentent une menace pour de futures négociations de paix, qui « ne viendront pas de sitôt, étant donné que les responsables politiques ne veulent pas permettre aux juifs et aux Arabes de vivre tranquilles », a-t-il affirmé.
Il a ajouté qu’il attend de l’Europe qu’elle revienne sur ses politiques de BDS dès qu’elle se rendra compte qu’elle a plus de points communs sur le plan culturel avec les Israéliens qu’avec les Palestiniens, ou « Arabes ».
« L’Europe commencera à se réveiller et se rendra compte que la problématique est la religion, qu’ils veulent expulser les juifs d’abord, puis les chrétiens. L’objectif des Palestiniens n’est pas qu’il y ait un État palestinien, mais qu’il n’y ait pas de juifs », a-t-il affirmé.
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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