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Coronavirus : le plus grand hôpital palestinien de Jérusalem risque la fermeture

L’« hôpital des pauvres » à Jérusalem, véritable institution palestinienne au cœur de la capitale occupée, est confronté à la pire crise financière depuis des décennies
Un nouveau-né dans le service des prématurés de l’hôpital al-Makassed à Jérusalem-Est (MEE/Aseel Jundi)
Un nouveau-né dans le service des prématurés de l’hôpital al-Makassed à Jérusalem-Est (MEE/Aseel Jundi)
Par Aseel Jundi à MONT DES OLIVIERS, Jérusalem-Est occupée

Les couloirs de ce qui était autrefois l’un des hôpitaux palestiniens les plus animés de Jérusalem sont vides et le taux d’occupation des lits a chuté de 50 %. 

Avec une crise financière accablante et la pandémie de COVID-19, la menace de fermeture se fait chaque jour plus pressante.  

Depuis sa création en 1968, al-Makassed Islamic Charitable Society Hospital a travaillé d’arrache-pied pour satisfaire les besoins médicaux des Palestiniens venant de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem, devenant partie intégrante du système de santé palestinien. 

Au fil du temps, ce centre est devenu le principal hôpital pour les patients qui préfèrent avoir affaire au ministère de la Santé palestinien plutôt qu’au ministère israélien, et qui ont des problèmes de santé complexes pour lesquels il n’y a pas de soins spécialisés en Cisjordanie ou à Gaza.

Cependant, en raison d’une myriade de facteurs, dont le coronavirus et l’interruption de la coordination en matière de sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) à cause de la menace d’annexion de pans de la Cisjordanie, les patients de ces régions qui ont normalement besoin d’une autorisation médicale délivrée par l’armée israélienne pour accéder à Jérusalem sont dans l’incapacité de rejoindre l’hôpital. 

L’entrée principale de l’hôpital al-Makassed (MEE/Aseel Jundi)
L’entrée principale de l’hôpital al-Makassed (MEE/Aseel Jundi)

Izz al-Din Hussein, directeur de l’hôpital et des services de médecine interne et de cardiologie, explique à Middle East Eye que les dettes de l’hôpital s’élèvent à environ 160 millions de shekels (soit 47 millions de dollars). 

Environ 60 millions de shekels (18 millions de dollars) doivent être réglés à l’hôpital par le ministère de la Santé palestinien, qui couvre les patients de Cisjordanie et de Gaza qui sont adressés à l’hôpital. De son côté, l’hôpital doit 20 millions de dollars aux sociétés d’équipement médical et environ 9 millions de dollars en taxes, assurance maladie israélienne et prêts bancaires. 

En raison de sa nature caritative et à but non lucratif, les factures d’al-Makassed se sont accumulées au fil des années. Pendant des décennies, l’hôpital a soigné gratuitement de nombreux Palestiniens, notamment les victimes d’attaques israéliennes, ainsi que ceux dont les cartes d’identité de Jérusalem ont été révoquées par Israël ou appartenant à d’autres communautés marginalisées à Jérusalem. 

La couverture des soins par l’Autorité palestinienne varie entre 80 et 100 %, tandis que l’hôpital prend en charge ce qui reste de la facture, notamment pour ceux qui sont dans l’incapacité de la régler. 

Des soins spécialisés

En raison de la récente crise financière exacerbée par la pandémie de coronavirus, l’hôpital a été dans l’incapacité de payer les salaires de son millier de salariés, qui viennent pour 75 % de Cisjordanie et dont certains ne peuvent désormais rejoindre l’hôpital en raison des frais élevés de transport.

Le directeur de l’hôpital, Izz al-Din Hussein, qui a quitté le Royaume-Uni en 1990 pour traiter ses concitoyens dans son pays, a été témoin du développement de l’hôpital : de 40 lits au départ jusqu’à 270 aujourd’hui – dont 88 destinés aux soins intensifs. 

Il a également été témoin de l’inauguration de plusieurs services où des chirurgies compliquées et de qualité sont réalisées, notamment sur le cerveau, les nerfs, les os, le cœur et le thorax. 

L’hôpital offre des soins spécialisés et accueille des médecins en cours de spécialisation.

Jusqu’à présent, environ 400 médecins de Cisjordanie ont achevé leur spécialisation en médecine interne, pédiatrie, gynécologie, obstétrique, chirurgie générale, orthopédie, cardiologie ainsi qu’en neurochirurgie, sans compter la radiologie diagnostique et l’anesthésie.

Une infirmière s’occupe d’une patiente dans le service d’orthopédie de l’hôpital al-Makassed (MEE/Aseel Jundi)
Une infirmière s’occupe d’une patiente dans le service d’orthopédie de l’hôpital al-Makassed (MEE/Aseel Jundi)

Si l’hôpital ne survit pas à la menace de fermeture, tous les patients se verront contraints d’aller se faire soigner dans les hôpitaux israéliens ou en dehors du pays. 

Le directeur de l’hôpital pense que le monde doit épauler al-Makassed dans cette crise suffocante pour préserver son existence en tant qu’institution palestinienne au cœur de la capitale revendiquée, Jérusalem.

Contrôle israélien 

La menace de fermeture s’accompagne d’autres problématiques. L’hôpital est enregistré auprès de la Fédération des associations israéliennes et est soumis à la loi israélienne du fait de l’occupation et de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël en 1967.

« Aucune institution palestinienne à Jérusalem qui est fermée ne peut rouvrir. Si l’hôpital ferme, son sort sera entre les mains d’Israël », déclare Izz al-Din Hussein à MEE

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Selon lui, Israël ne s’épargne aucun effort pour tenter de prendre le contrôle de l’hôpital tout en faisant mine d’essayer de le soutenir, offrant même de payer les dettes de l’Autorité palestinienne vis-à-vis de l’hôpital en puisant directement dans les fonds fiscaux qu’il collecte justement auprès de l’AP pour son propre compte. 

Mais al-Makassed a refusé, indique Hussein, expliquant qu’il n’accepterait pas de faire partie du complot israélien contre Jérusalem et le peuple palestinien dans son ensemble. 

L’hôpital a lui-même, à de nombreuses occasions, souffert des raids militaires israéliens dans ses locaux, déplorant l’enlèvement de manifestants palestiniens blessés et des corps de ceux tués par les forces israéliennes ainsi que la destruction d’équipements et la confiscation de documents, créant un fardeau encore plus lourd pour l’hôpital et l’état et la santé psychologique des patients. 

Au cours d’un incident lors d’un raid militaire, des Palestiniens ont été contraints de porter à la hâte un cadavre par-dessus les murs de l’hôpital et de l’enterrer rapidement dans un cimetière à proximité pour empêcher qu’il ne soit emporté par les forces israéliennes. 

« L’hôpital des pauvres »

Le directeur général d’al-Makassed, Ahmed Jadallah, confie à MEE que l’hôpital, qui est décrit comme l’« hôpital des pauvres » ou l’« hôpital de l’intifada », est désormais incapable de fournir un traitement aux défavorisés en raison de la crise actuelle. 

Il ajoute qu’il n’a pas connu une situation économique aussi compliquée depuis qu’il a commencé à y travailler il y a 35 ans.

Le rapporteur du syndicat du personnel hospitalier, Ahmed Ayyad, indique pour sa part à MEE qu’avant l’Aïd al-Adha, les syndicats avaient pris des mesures en signe de contestation pour réclamer à l’AP le paiement de ses dettes. Mais selon lui, cette dernière aurait répondu que les factures étaient inexactes et démenti que l’hôpital ait des comptes non soldés avec le ministère des Finances. 

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Malgré ce différend, l’Autorité palestinienne a transféré 4 millions de shekels (1 million de dollars) à l’hôpital quelques jours avant l’Aïd al-Adha, montant qui a été redistribué entre les employés.

L’hôpital met également en place une commission qui effectuera un audit des factures des patients avec le ministère des Finances de l’AP. 

Dans l’éventualité où l’Autorité palestinienne ne transférerait pas le reste de l’argent qu’elle doit à l’hôpital, annonce Ayyad à MEE, le syndicat n’hésiterait pas à prendre d’autres mesures contre l’AP pour préserver la survie de cet édifice médical clé à Jérusalem.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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