Dix femmes à suivre sur la scène alternative arabe
Si le milieu est encore majoritairement masculin, la musique indépendante et électronique arabe comporte désormais de nombreuses figures féminines. La Libanaise Yasmine Hamdan a été la pionnière du genre en posant sa voix de velours obscur sur les synthétiseurs dans les années 90 au sein du groupe Soapkills.
Depuis, du Maghreb à la Palestine en passant par l’Égypte et le Liban, elles sont nombreuses à lui avoir emboîté le pas et à se produire dans les salles du monde entier. Petit tour d’horizon.
Les lumières de l’électro arabe
Glitter
Originaire de l’Atlas, la DJ marocaine Glitter a quitté le quartier de l’Océan, à Rabat, pour venir s’installer dans le nord de la France. Sur sa route, elle a emporté avec elle quelques vinyles de chaâbi marocain, qu’elle fusionne aujourd’hui à des beats techno lors de sets envoûtants et nostalgiques. Un style hybride intimement lié à son parcours, mélangeant musiques traditionnelles arabes, mélodies rétro et sonorités occidentales comme le hip-hop ou le rap.
Elle a fait ses premiers pas sur les ondes de la célèbre webradio Rinse France, où elle est régulièrement invitée et présente des collectifs de producteurs marocains.
Elle est à l’affiche de la programmation du Beirut Electro Parade, qui se tient à la Bellevilloise à Paris ce vendredi 20 avril, et à l’agenda de l'Electron festival de Genève.
Na Dee
Derrière les platines, la Suisso-Marocaine Nadia Langesand, alias Na Dee, est éclectique. Ses mix font voyager de l’acid house à la techno de Détroit en passant par le disco et le funk. Une seule ligne directrice : un arrière-goût de sons vintage venus d’Afrique du Nord.
Son set, « Habibti roots », se situe à la frontière de la transe soufie, de la techno et des rythmiques pop-raï orientales.
Graphiste le jour, elle est DJ régulière à Klub Kegelbahn, l’un des plus célèbres clubs underground de sa ville natale de Lucerne, en Suisse allemande. Elle mixera lors de la Beirut Electro Parade à Paris.
Sama, alias Skywalker
Sama Abdulhadi est une pionnière de la musique électronique en Cisjordanie. Née en Jordanie, retournée s’installer en Palestine à l’âge de 10 ans, elle est la première à avoir introduit la techno dans les bars de Ramallah.
En 2006, alors qu’elle fait ses débuts de DJ en diffusant des titres de hip-hop lors de soirées, son monde sonore bascule soudainement : son frère revient d’un séjour en Europe et lui fait découvrir la trance du DJ néerlandais Tiesto.
Sama se passionne pour ces beats entêtants qui deviendront sa nouvelle lubie et lui donneront, comme elle le confie dans Trax, « plus d’énergie que le darbouka ».
Elle part ensuite étudier à Beyrouth, où elle explore le monde de la techno, avant de retourner en Jordanie pour apprendre à mixer.
Proche du Jazar Crew, un collectif musical palestinien, elle parcourt aujourd’hui les festivals du Caire, de Londres et de Paris avec sa techno minimale.
Elle était en janvier 2017 à « La nuit des Lanceuses d’alerte » de la Gaîté Lyrique à Paris et aux Trans Musicales de Rennes en décembre.
Missy Ness
Née et élevée dans le XVIIIe arrondissement de Paris, Inès est la fille de dissidents politiques tunisiens émigrés en France.
Tous les étés, elle retourne dans son pays d’origine pour les vacances, mais à 19 ans, la jeune fille décide de prendre un aller-simple. Direction Tunis, où elle rencontre des artistes de la culture alternative locale comme le groupe Klandestina et la Tunisienne Badia Bouhrizi, et découvre la musique du Ramallah Underground, à laquelle elle s’identifie immédiatement.
Rapidement, elle rejoint un collectif, « Electro Party », à Tunis, avec lequel elle organise des soirées mixant à la fois hip-hop, dub et musique arabe.
Elle est aujourd’hui une figure majeure du deejaying tunisien, et la fondatrice du projet IN Transit, une série de concerts d’artistes du Maghreb et du Moyen-Orient, faits par et pour les personnes en exil.
Deena Abdelwaheb
Après avoir grandi au Qatar, Deena Abdelwaheb retourne dans son pays d’origine, la Tunisie, à l'âge de 20 ans. D’abord chanteuse de jazz aux côtés du musicien Fawzi Chekili au sein du groupe So Soulful, elle joue avec lui dans les salles de Tunis.
Puis en 2011, elle rejoint le collectif WFOB (World Full Of Bass), créé par Zied Meddeb Hamrouni, l’un des premiers artistes tunisiens de musique électronique. Un tournant musical qu’elle approfondira aussi avec le groupe Arabstazy, qui fusionne expériences électroniques contemporaines et musiques païennes arabes.
Elle est aujourd’hui l’une des icônes de la scène d’avant-garde tunisienne, se produisant dans les festivals d’Europe et d’Afrique du Nord. Du Berghain de Berlin à la Villette Sonique de Paris, Deena Abdelwahed expérimente et innove la techno actuelle.
Elle se produira en juin prochain au festival We Love Green à Vincennes.
L’indie pop folk, d’Afrique du Nord au Levant
Maryam Saleh
À la fois auteure, chanteuse et comédienne, l’Égyptienne Maryam Saleh est un caméléon artistique. Sa musique mêle sa voix envoûtante à des textes profonds, politiques ou philosophiques, dans un style trip hop et pop rock.
Avant la révolution égyptienne, elle rencontre le petit prince de la musique alternative arabe, le Libanais Zeid Hamdan, et compose avec lui un premier EP, Esla7at (« réformes »). L’atmosphère angoissante du clip dépeint Maryam errant dans les rues du Caire, et sonne comme un prélude à l’agitation qui suivra.
Après son premier album Mich baghani (« je ne chante pas » – sorti en 2012), elle enregistre Halawella (« clown », 2015) : une compilation de reprises des titres du chanteur satirique Cheikh Imam et de textes d’autres auteurs égyptiens connus.
Elle est en ce moment à l’affiche du nouveau projet musical Lekhfa, un hommage au poète contemporain Mido Zoheir sur fond d’électro chaâbi égyptienne, avec Maurice Louca et Tamer Abu Ghazaleh. Programmés à la Cité de la musique le 7 avril dernier dans le cadre de l’événement Al Musiqa organisé par la Philharmonie de Paris, ils reviennent pour un concert au théâtre Levi Strauss du Quai Branly à Paris en juin prochain.
Maii Waleed
L’Égyptienne Maii Waleed était la batteuse de groupes de métal féminin d’Alexandrie, Mascara et Nailpolish, avant d’opérer sa métamorphose et de muer en papillon pop. En 2010, elle rencontre Zeid Hamdan alors qu’il est en Égypte pour travailler avec Maryam Saleh.
L’alchimie est instantanée, comme elle l’explique dans The National, et les deux enregistrent dix démos dans le même après-midi. Sa voix mélancolique se marie harmonieusement aux synthétiseurs et xylophones du Libanais.
Il leur faudra néanmoins deux ans avant de se recroiser et sortir Moga (« vague ») en 2013. Un premier album planant et onirique avec un tempo pop rock et une forte touche orientale. Ils signeront ensemble la bande-son originale du film saoudien When Barakah meets Barakah en 2016, avant de se retrouver en 2017 avec l’EP Ehdefni (« efface-moi »).
Ils ont fait quelques scènes européennes à Munich, Bruxelles et au New Morning à Paris fin 2017.
Yasmine Hamdan
Pionnière de la musique alternative arabe dans les années 90, la Libanaise Yasmine Hamdan débute avec le célèbre duo indie pop SoapKills, aux côtés de Zeid Hamdan. Elle compose avec lui des hymnes écorchés à Beyrouth et à l’amour.
Après une collaboration avec Mirwais sur Arabology, elle sort son premier album solo en 2013, Ya Nass (« Oh gens »). Elle a aussi signé un titre de la bande-son originale du film de Jim Jarmush Only lovers left alive, ainsi que la musique des pièces de théâtre du dramaturge syrien Saadallah Wannous à la Comédie française.
Sa voix est influencée par la tradition musicale arabe et les arrangements de ses chansons empruntent à la pop occidentale.
Elle a sorti en 2017 son second album, Al Jamilat (« les magnifiques »), en hommage au poème du poète palestinien Mahmoud Darwich, et effectué une tournée mondiale avec un passage au Trianon en octobre dernier.
L’expérimental oriental
Aya Metwalli
Originaire du Caire, Aya Metwalli est une chanteuse et compositrice autodidacte. Depuis 2011, elle a autoproduit plus de 30 chansons et possède plus de 300 000 fans sur SoundCloud.
Si elle a d’abord débuté avec sa voix et sa guitare acoustique, ses études de production musicale ont fait évoluer son style en y intégrant progressivement des beats et effets de modulation.
Aujourd’hui, sa musique est une sorte de poésie noire, à la fois romantique et funeste, où elle juxtapose habilement des sons d’orgues électroniques sur sa voix enchanteresse.
En 2016, elle a sorti un premier EP, Beitak (« ta maison ») et se produit depuis au Liban et en Égypte.
Elle vient juste de sortir un nouveau single, For Priests and Burning Houses, et sera en concert en Allemagne en avril prochain, à Marrakech en mai et à Brest en septembre.
Nur
Nur a été pendant un temps une artiste classique chantant au rythme de sa guitare. C’est en 2014, alors qu’elle étudie à l’Université allemande du Caire, qu’elle produit sa première pièce électroacoustique, The journey of a worshipper (« le voyage d’un fidèle »), sorte de chant soufi trafiqué aux sons électroniques.
Une exploration sonore qu’elle décide de poursuivre à l’Université Goldsmith de Londres, où elle entreprend un diplôme d’art acoustique. Telle une ethnomusicologue, elle y étudie les sons de la nature et de son entourage afin de créer de nouvelles musicalités.
Une musique concrète qui part de son intérêt pour les religions et plus particulièrement la tradition soufi. À travers ses expérimentations électroniques, l’artiste égyptienne cherche à provoquer cet état de communion spirituelle rencontré par les derviches tourneurs lors de leur transe rituelle.
Elle a sorti un second EP en 2017, Sounds from a distance, une série de morceaux oscillant entre lamentations vocales, piano et musique électronique.
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