En 2018, les Tunisiens devront se serrer un peu plus la ceinture
TUNIS – Avec un taux d’inflation à 5,5 % et la chute du dinar, l’économie tunisienne reste en crise malgré une embellie cet été, en partie due au retour des touristes – près de 4 millions d’entre eux sont venus en Tunisie en 2017 – et une croissance dans le secteur minier, agricole, les transports et les finances.
Après une rentrée politique faite de remaniement et de tractations entre les partis politiques majoritaires, le chef du gouvernement Youssef Chahed doit plancher sur le nouveau projet de loi de finances pour 2018.
Le projet dans sa forme actuelle ne fait pas l’unanimité des experts en raison des hausses d’impôts sur le citoyen ordinaire et de mesures peu radicales contre l’évasion fiscale ou le commerce informel.
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« Nous sommes aussi dans un contexte où les inégalités se creusent énormément, comme l’a montré l’enquête de l’Institut national de la statistique sur le budget des familles en 2015, avec une fragilisation de plus en plus importante de la classe des seniors, et une augmentation du nombre de chômeurs. Donc s’il y a réellement un problème qui doit préoccuper les politiques publiques, c’est celui des inégalités », atteste l’économiste Riadh ben Jelilli à Middle East Eye.
Mais pour l’instant, la nouvelle loi de finances s’attaque surtout comme chaque année au déficit public qui continue d’augmenter. Pour les experts, cette vision de court terme ne pourra pas fonctionner sans réelle réforme, plus globale, de l’économie tunisienne.
Fin août, le déficit budgétaire de la Tunisie représentait 1,2 milliard d’euros et la dette publique s’élevait à près de 70 % du PIB
Fin août, le déficit budgétaire de la Tunisie représentait 3,8 milliards de dinars (1,2 milliard d’euros) selon le rapport de la Banque centrale, et la dette publique s’élevait à près de 70 % du PIB.
Ce déficit s’explique par la hausse des dépenses de l’État dans les subventions versées au secteur des hydrocarbures, qui ont atteint 565 millions d’euros. Différents accords syndicaux ont aussi entraîné une augmentation des salaires (200 millions d’euros).
Pour compenser ces dépenses, le gouvernement a gelé la plupart des recrutements dans la Fonction publique pour 2018 mais n’a pas réussi à maîtriser le niveau de sa masse salariale qui n’aurait pas dû dépasser les 14 % selon le Fonds monétaire international (FMI) et qui est déjà aujourd’hui à 14,7 %.
Cette année, le projet de loi de finances est encore conditionné par les recommandations du FMI qui doit débloquer en 2017 la troisième tranche de l’aide, de 2,4 milliards d’euros, pour réduire le déficit d’ici à 2020.
Le discours du créancier principal de la Tunisie a été clair : la réduction du déficit public doit être une priorité. Lors d’une visite les 4 et 6 octobre à Tunis, une délégation du FMI avait d’ailleurs recommandé d’orienter la loi de finances sur la réduction du déficit budgétaire par une réforme fiscale globale et une rationalisation des dépenses inefficaces.
Parmi les mesures prévues par le gouvernement, une fait déjà polémique : la hausse des impôts et des taxes.
Une pression fiscale
Première cible de ces hausses d’impôts : les entreprises. Malgré une taxe exceptionnelle de 7,5 % appliquée en 2017 aux entreprises – une des mesures phares de la dernière loi de finances – ces dernières n’ont pas vraiment contribué aux recettes fiscales, comme l’indique un graphique de l’Observatoire tunisien de l’économie publié le 8 octobre.
Ce qui témoigne « des difficultés par lesquelles passent les entreprises [manque de croissance, perte de marchés, augmentation de la pression fiscale et des charges financières, climat des affaires, etc.] dont les résultats ne cessent de se détériorer », selon Walid ben Salah.
Deuxième cible : le contribuable, qui verra augmenter la TVA, la taxe sur le timbre de voyage ou encore l’impôt sur le revenu en fonction de la plus-value foncière. Des « solutions de facilité », dénoncent selon certains experts.
« Cette pression fiscale et sociale ne cesse d’augmenter depuis plusieurs années. Avec les hausses prévues, elle serait de plus de 35 %, soit le taux le plus élevé d’Afrique, au-dessus de la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique [OCDE] ! », relève Waliden Salah.
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Côté politique, les forces syndicales et patronales n’ont pas apporté leur soutien au nouveau projet de loi. Dans une note publiée en septembre sur la loi de finances, le syndicat patronal, l’UTICA, préconise d’abandonner ces hausses d’impôts et de taxes « contreproductives ». Elle préconise d’élargir la base des personnes et sociétés imposables plutôt que d’augmenter les taux. Pour la relance, la centrale patronale suggère par ailleurs de se pencher sur d’autres sources de revenus, notamment l’absorption du commerce informel via l’accélération de la lutte contre la contrebande et l’économie informelle.
Quant à l’UGTT, la centrale syndicale des travailleurs, elle propose dans une loi de finances complémentaires le recouvrement des dettes d’impôts impayés auprès de la douane et du fisc pour renflouer les caisses de l’État. Le syndicat recommande aussi de lutter contre la fraude en installant des caisses enregistreuses directement reliées au fisc chez les cafetiers et autres magasins, et aussi d’obliger les distributeurs de médicaments, de tabac, et les importateurs à mettre en place un système de facture électronique.
Pour Youssef Chahed qui a nommé un nouveau ministre des Finances il y a seulement un mois, Ridha Chalghoum, l’enjeu est de parvenir à trouver un équilibre entre la politique d’austérité nécessaire pour la transition économique du pays et la paix sociale.
Dans un entretien donné jeudi à la chaîne de télévision El Hiwar Ettounssi, le chef du gouvernement a affirmé sa volonté de faire une loi de finances qui prenne en compte les enjeux de justice sociale. « Nous avons opté pour une réorientation fiscale. Nous allons appliquer une taxation sur les établissements financiers et sur l’économie de rente, afin de financer les projets publics et d’instaurer une justice sociale », a-t-il expliqué. Il a également encouragé l’investissement, en promettant une exonération d’impôts pendant trois en cas de création d’emploi, surtout si ces emplois sont créés dans des régions de l’intérieur.
Mais le chef du gouvernement aura-t-il les moyens de ses ambitions ? Les discussions à l’assemblée qui doit examiner la loi serviront de baromètre politique. Mais Riadh ben Jelili s’interroge sur les priorités du gouvernement. « Il y a un vrai problème de confiance », conclut-il. « Pendant que les déficits se creusent et que la population ressent de plein fouet la crise, le président de la République se concentre sur des jeux de pouvoirs avec les partis et montre que les élections de 2019 passent avant le bien-être économique du pays. »
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