En Égypte, une académie de football copte lutte contre la discrimination
ALEXANDRIE, Égypte – Mina Bindari, 23 ans, ne manque jamais l’entraînement hebdomadaire avec les joueurs de l’académie de football Je Suis, la première consacrée aux chrétiens coptes en Égypte.
Tous les samedis de 20 heures à minuit, Bindari entraîne environ 150 footballeurs de différents âges à l’Alex Sports Stadium, un terrain de football situé dans le quartier de Victoria, à Alexandrie, généralement loué par les amateurs de sport.
Avec ses crampons roses, l’entraîneur aux cheveux noirs épais et à la barbe naissante s’entraîne aux côtés des hommes. Sans son sifflet, on pourrait même le prendre pour un joueur comme les autres. Bindari est tellement attaché à l’équipe qu’il porte l’inscription « Je Suis » sur le bras, entre autres tatouages.
Il affirme que sa passion prend racine dans son désir d’offrir aux footballeurs une chance d’exceller dans ce sport au sein d’une industrie que lui comme d’autres jugent discriminatoire à l’encontre des chrétiens coptes.
« J’ai commencé à jouer au football à l’âge de 12 ans dans des centres de jeunesse, dans la rue et dans des stades indépendants », raconte Bindari à Middle East Eye. « En général, les familles chrétiennes en Égypte n’emmènent pas leurs enfants à des essais à cause de ce qu’elles savent de la discrimination à l’encontre des coptes dans les clubs de football. »
Dans un contexte de tensions plus larges entre coptes et musulmans, le football en Égypte est de plus en plus entremêlé à la religion.
En novembre, au moins sept chrétiens coptes ont été tués par des hommes armés qui ont ouvert le feu sur un bus transportant des fidèles qui revenaient d’un monastère dans la province centrale d’al-Minya.
« En général, les familles chrétiennes en Égypte n’emmènent pas leurs enfants à des essais à cause de ce qu’elles savent de la discrimination à l’encontre des coptes dans les clubs de football »
– Mina Bindari, fondateur de Je Suis
Le groupe État islamique a revendiqué cette attaque, sans toutefois apporter de preuves de son implication.
L’attentat a visé le même axe routier qu’en mai dernier, lors d’une attaque qui a tué 28 coptes et fait plusieurs dizaines de blessés.
Bien que la population égyptienne compte au moins 10 % de chrétiens coptes, l’équipe nationale et la première division de ce pays à majorité sunnite ne comportent aucun joueur copte.
« Rien n’est impossible »
Mina Bindari, qui est en dernière année de licence à l’institut d’informatique El-Seyouf à Alexandrie, affirme avoir été lui-même victime de discrimination à l’âge de 14 ans, lorsqu’il a été repéré par un entraîneur local qui lui a suggéré de participer à un essai pour le club Al-Ittihad Alexandrie.
Enthousiaste, Bindari s’est présenté à l’essai, mais le responsable de l’équipe en charge des candidatures a conseillé au footballeur en herbe de « changer de nom ». Bindari a interprété cette suggestion comme un comportement discriminatoire, son nom pouvant être distingué localement comme étant chrétien, ce qui a suscité en lui un sentiment de colère.
Deux ans plus tard, il a effectué un essai pour Abu Qair Semad, un autre club local, à l’issue duquel il affirme avoir également été rejeté sans raison. Bindari a pris les choses en main et décidé de créer l’académie de football en 2015.
« Il est insensé qu’il n’y ait jamais eu de joueur chrétien jugé suffisamment bon dans l’histoire de l’équipe nationale égyptienne, mis à part Hany Ramzy »
– Mina Bindari
En l’espace de quatre ans, Mina Bindari a accumulé assez d’économies – environ 15 000 livres égyptiennes, soit 735 euros – pour créer Je Suis.
Au sein de son école de formation, qui n’a cessé de se développer grâce au bouche à oreille, les footballeurs chrétiens qui ont été refoulés d’autres clubs ont enfin trouvé un lieu pour se réunir.
Bindari dit avoir choisi le nom français Je Suis « pour montrer que rien n’est impossible » et parce qu’il aime la sonorité des mots. Les footballeurs de l’académie, âgés de 18 à 33 ans, jouent actuellement en quatrième division sous le nom d’Egypt Victoria Club.
Actuellement, Je Suis n’a pas de siège et s’appuie sur des cotisations mensuelles de 100 livres égyptiennes (environ 5 euros) pour poursuivre son activité. Les fonds servent à louer des terrains de football locaux, comme l’Alex Sports Stadium, ainsi qu’à acheter des vêtements et du matériel de sport.
Environ 90 % des joueurs de Je Suis sont chrétiens, les autres étant musulmans, bien que l’académie ait été créée principalement pour offrir aux chrétiens un espace pour pratiquer ce sport. « Nous ne voulions pas remplacer une forme de discrimination par une autre », a déclaré Bindari au sujet de cette approche en faveur de la diversité.
« Du pur racisme »
Bishoy Malak, 14 ans, affirme avoir également été victime de discrimination sur le rectangle vert avant de rejoindre Je Suis. En 2016, il a participé à des essais dans divers clubs égyptiens, notamment l’Olympic Club, en deuxième division. Le footballeur explique qu’il a été interrogé sur son nom, avant d’être informé que quelqu’un le recontacterait. Personne ne l’a jamais recontacté, ajoute Malak, alors même que les joueurs sont généralement informés s’ils sont recalés ou acceptés après un essai.
« En particulier pour les coptes, la religion peut être un obstacle »
– Patrick George, ancien footballeur et chercheur à l’EIPR
Bolas Fayez, 18 ans, déclare avoir vécu une expérience similaire. En 2014, il a effectué un essai pour le PetroJet Football Club. Bien qu’on lui ait demandé son numéro de téléphone, le footballeur n’a jamais eu de nouvelles du club. Comme Bindari et Malak, il soupçonne qu’il a été refoulé en raison de son nom et de sa religion. Il a rejoint Je Suis en 2015.
« Je considère la discrimination à l’encontre des joueurs chrétiens comme du pur racisme », a déclaré Fayez à MEE. « Il est insensé qu’il n’y ait jamais eu de joueur chrétien jugé suffisamment bon dans l’histoire de l’équipe nationale égyptienne, mis à part Hany Ramzy. Il y a eu beaucoup de talents chrétiens, mais aucun ne s’est vu offrir cette chance. »
Rares sont les chrétiens coptes qui ont accédé à la première division égyptienne (Egyptian Premier League) et seul Hany Ramzy, un ancien défenseur, a joué pour l’équipe nationale. Ramzy a passé plus de quinze années de sa carrière dans des clubs allemands et suisses, notamment Kaiserslautern et le Werder Brême en Allemagne ou encore Neuchâtel Xamax en Suisse.
Il s’est fait un nom à Al-Ahly avant d’intégrer l’équipe nationale égyptienne, qui s’est qualifiée pour la Coupe du monde 1990 en Italie. Ramzy est actuellement entraîneur adjoint de l’équipe nationale.
Parmi les autres joueurs coptes qui ont réussi à intégrer le championnat figurent Ashraf Youssef, un ancien défenseur qui a joué pour plusieurs équipes dont Zamalek, Nasser Farouk, ancien gardien de but du Ghazl El-Mahalla et d’Asyut Petrol, ou encore Mohsen Abdel-Massih, arrière gauche d’Ismaily entre 1978 et 1988.
Dans une interview accordée au journal copte orthodoxe Watani en septembre 2016, Abdel-Massih a déclaré qu’il avait été rejeté de l’équipe nationale « parce [qu’il ne savait] pas lire le Coran ».
Mina Bindari affirme que ces succès constituent plutôt des exceptions qui confirment la règle et que la discrimination se manifeste souvent tôt dans la carrière d’un footballeur copte.
Walid Salah El-Din, entraîneur d’Al-Ittihad Alexandrie, a pour sa part exprimé son désaccord, soulignant qu’il n’y avait pas de discrimination dans le football égyptien.
« Je ne suis absolument pas convaincu qu’il existe une discrimination fondée sur la religion dans le football. J’ai joué aux côtés de Hani Ramzy au sein de l’équipe nationale égyptienne et je n’ai jamais rien vu de tel. Il n’y avait aucune différence entre nous au sein de l’équipe nationale. J’ai également été formateur dans les équipes de jeunes d’Al-Ahly et je n’ai pas vu de discrimination dans les tests d’entrée », a-t-il déclaré à MEE. « Les tests d’entrée dans les clubs sont difficiles et le choix est basé sur le talent et non sur la religion […] Il s’agit peut-être de cas isolés ou de mauvaises interprétations de la part des joueurs mêmes. »
Pourtant, Mina Essam, un copte de 13 ans qui espérait devenir gardien de but professionnel, affirme avoir été victime de discrimination en 2016. Essam a tenté d’intégrer Al-Ahly au poste de gardien mais affirme avoir été finalement recalé. Essam soupçonne qu’il a été snobé après l’annonce de son nom et de sa religion. Le footballeur a l’habitude de participer aux tournois estivaux organisés par l’Église.
« En particulier pour les coptes, la religion peut être un obstacle », souligne Patrick George, ancien footballeur et chercheur à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). « Elle nous empêche de concrétiser notre carrière face à une persécution systématique. »
George affirme avoir été personnellement victime de harcèlement, parfois sous forme de sarcasme, en raison de son nom lorsqu’il s’entraînait avec l’El-Mansoura SC à l’âge de 10 ans. « Le problème est profondément ancré dans le système footballistique en Égypte, comme dans de nombreux autres domaines importants », explique-t-il. « Ces questions de racisme systématique à l’égard des minorités nécessitent une médiation. »
Changer la législation
La situation des chrétiens coptes qui éprouvent des difficultés pour devenir footballeurs professionnels en raison de ce qu’ils estiment être une discrimination est devenue si désespérée que certains sportifs de premier plan se sont exprimés publiquement à ce sujet.
Ahmed Hossam Hussein Abdelhamid, ancien footballeur connu sous le nom de Mido, a déclaré en avril dernier dans une interview accordée à la chaîne de télévision DMC que les coptes d’Égypte étaient victimes de racisme et de discrimination de la part des dirigeants et des entraîneurs de clubs en raison de leur religion.
« La discrimination à l’encontre des joueurs chrétiens en Égypte ne provient ni du gouvernement ni de la fédération de football, mais des clubs et des entraîneurs »
– Mina Bindari
Mido, qui a également joué pour un certain nombre d’équipes étrangères, notamment Tottenham, l’Olympique de Marseille et l’AS Rome, a imploré les responsables sportifs de son pays de réagir de manière proactive à cette discrimination en ajoutant à la législation sportive nationale des articles qui exigeraient une représentation chrétienne d’au moins 10 % au sein des clubs égyptiens.
« La discrimination à l’encontre des joueurs chrétiens en Égypte ne provient ni du gouvernement ni de la fédération de football, mais des clubs et des entraîneurs », soutient Bindari. « Il y a des entraîneurs en Égypte, principalement dans les sections de jeunes, que je qualifierais de malades mentaux, qui ont beaucoup de haine et de racisme contre les chrétiens au fond de leur cœur. »
Une progression en vue
Il y a deux mois, Bishoy Malak, le footballeur en herbe de 14 ans, a rejoint Je Suis après avoir entendu parler de l’académie par certains de ses amis.
« Bindari m’a présenté cette idée et cela m’a plu car je me disais que cela pourrait œuvrer en faveur des joueurs chrétiens en Égypte. Je joue donc ici depuis et nous nous efforçons toujours de progresser et d’avancer », affirme-t-il. « L’académie est une bonne initiative pour tenter de montrer qu’il y a des footballeurs chrétiens professionnels de haut niveau en Égypte, mais le racisme et la discrimination s’érigent toujours devant eux. »
Malak fait actuellement partie de la section de jeunes de l’Egypt Victoria Club et espère continuer de grandir avec l’équipe.
Bindari se veut également optimiste. Il espère que l’équipe continuera de s’améliorer et gravira les échelons jusqu’à la première division, et même que certains de ses joueurs pourront alors prétendre à jouer en équipe nationale. Il envisage également d’étendre les activités de l’académie en s’implantant dans plusieurs autres villes égyptiennes dont Damanhur, el-Mahalla et Le Caire.
« Nous travaillons dans des conditions très difficiles », souligne le jeune homme. « Mais nous essayons de réaliser quelque chose de positif. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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