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EN IMAGES : Rescapées de Syrte

Après un séjour à Syrte, Nahed Zerouati, journaliste algérienne pour Echorouk TV, rentre dans son pays avec des images inédites de femmes qui ont pu échapper à l’EI. Son récit et ses photos en avant-première sur MEE
Opération de sauvetage à Syrte libérée du groupe État islamique : les militaires libyens récupèrent des femmes qui se rendent (MEE/Nahed Zerouati)
Par MEE

« J’ai vu les corps de femmes et d’enfants brûlés dans leur maison. Vous savez pourquoi ? Parce que l’État islamique [EI] considère que les femmes n'ont pas le droit pas se rendre. Alors les heures qui ont précédé la chute de la ville, les combattants les ont enfermées dans les maisons avec leurs enfants et ils y ont mis le feu. »

Elle est encore sous le choc des histoires qu’elle a recueillies et des scènes qu’elle a filmées. Nahed Zerouati, une Algérienne de 31 ans, journaliste pour Echorouk TV, a passé presque un mois à Syrte.

Syrte, dernier bastion du groupe État islamique en Libye, officiellement libérée en décembre 2016, où certaines femmes ont vécu l’enfer pendant un an et demi.

Nahed Zerouati auprès des femmes qui ont pu s'échapper de l'emprise de l'EI mais qui se retrouvent désormais prisonnières de l'armée libyenne (MEE/Nahed Zerouati)

Nahed a rencontré celles qui ont pu s’échapper et que l’armée libyenne garde aujourd’hui prisonnières. Des Tunisiennes, des Algériennes, des Marocaines, des Égyptiennes, des Philippines, des Françaises et surtout, une majorité de Subsahariennes.

« Ces dernières, qui venaient de Somalie, du Mali ou d'Érythrée, n’étaient pas des combattantes, mais des migrantes capturées par l’EI. Alors que la majorité des musulmanes étaient venues se battre dans les rangs de Daech. » Et pour la journaliste, ces dernières posent un vrai problème à la Libye « car il arrive que le pays d'origine refuse de les accepter ».

Triées en fonction de leurs compétences

Celles venues par conviction rejoindre Daech ont rapidement déchanté. Pour beaucoup recrutées via Internet, elles racontent leur arrivée en Libye – les Françaises sont par exemple passées par la Tunisie – et leur transit de « maisons en maisons » à partir de Sebrata jusqu’à Syrte.

« Dans ces maisons, il n’y avait que des femmes », raconte Nahed. « Dès la première étape, on leur enlevait le téléphone portable et on leur donnait un nouveau nom qui commençait toujours par ‘’Oum’’ [la mère de] suivi d'un prénom masculin. Elles ont rapidement compris que les promesses d’argent ou de liberté n’étaient que du vent. Une fois arrivées à Syrte, elles étaient triées en fonction de leurs compétences. Une femme médecin servait à guérir les blessés et à former d'autres femmes, une prof était affectée à la mosquée. J'ai trouvé cela surprenant. On croit à tort que celles qui ont choisi de rejoindre Daech ne sont pas instruites. »

Syrte est restée aux mains de l'EI pendant un an et demi. Certaines femmes ont eu des enfants qui, aujourd'hui, n'ont pas de papiers (MEE/Nahed Zerouati)

Les femmes musulmanes étaient ensuite mariées car l’EI avait interdit le célibat. « Les chrétiennes, elles, passaient d’homme en homme et se faisaient violer jour et nuit », poursuit la journaliste. « Elles racontent aussi que les hommes n'avaient pas le même comportement dehors et à la maison, où certains fumaient et ne faisaient même pas la prière. »

Une ceinture d’explosifs en guise de dot

Parmi les femmes qu’elle a rencontrées, Nahed en a trouvé avec un pied ou une main en moins. « Des Tunisiennes. Car ce sont elles que l’on envoyait se rendre à l’armée et qui portaient des ceintures d’explosifs pour se faire sauter à la dernière minute. Toutes ne sont pas mortes… »

Nahed Zerouati avec une ceinture explosive telle que les combattants de l'EI apportaient aux femmes en guise de dot (MEE/Nahed Zerouati)

La journaliste a même trouvé des ceintures qui portaient encore le surnom de la femme donné par l’EI : Oum Hamza ou Oum Mohamed. Ces ceintures, comme les kalashnikovs, étaient apportées en guise de dot pour un mariage. Nahed se souvient aussi du fait que des femmes, qui ne savaient pas où elles étaient tombées, appelaient les émirs des « kings » (rois en anglais).

Être aujourd’hui libre n’est pas forcément vécu par les femmes comme un soulagement. « Il y en a parmi elles qui disent qu’elles étaient heureuses avec Daech. D’autres affirment qu’elles sont contentes d’avoir pu s’échapper. Mais comme elles m’ont parlé en présence d’un militaire, peut-être qu’elles ne pensaient pas ce qu’elles disaient », imagine Nahed.

« Selon les services de sécurité britanniques et américains, Syrte comptait 6 000 combattants avant que commencent les bombardements américains. L’armée a rapporté en avoir tué plus de 2 000. Où sont les autres ? D'après certains témoignages, ils se sont enfuis. Une des femmes, qui parle de l’émir Abou Hatim, un Sénégalais, raconte l’avoir vu se sauver avec sa femme et ses enfants. »

D'après certains rapport des services de sécuité de la région, une partie se serait déjà repliée dans le sud de la Libye et une autre partie, en Tunisie.

Parmi les femmes rescapées, des Tunisiennes, des Algériennes, des Marocaines, des Égyptiennes, des Philippines, des Françaises et surtout, une majorité de Subsahariennes (MEE/Nahed Zerouati)

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