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Mises enceinte, endoctrinées et brisées : le calvaire des esclaves sexuelles de Daech

Une association demande à l’ONU un recensement officiel du nombre de femmes réduites en esclavage et de prendre des mesures pour racheter et libérer les captives
Des Irakiennes yazidies qui ont fui la violence du nord de l’Irak ont trouvé refuge dans la ville kurde de Dohouk en août 2014 (AFP)

NATIONS UNIES – « Que tu le veuilles ou non, dès le moment où j’ai eu un rapport sexuel avec toi, tu es devenue musulmane. » Tels furent les propos d’un combattant de l’Etat islamique (EI) à une Irakienne réduite en esclavage et soumise au cauchemar des abus sexuels et de la cruauté mentale de son geôlier.

Les commentaires du militant ont été rapportés à Jacqueline Isaac, une dirigeante associative qui s’est rendue à trois reprises au cours des sept derniers mois dans la zone autonome kurde du nord de l’Irak, où elle a rencontré des dizaines de yazidies, de Turkmènes et de chrétiennes sauvées des griffes de l’Etat islamique.

Jacqueline Isaac, une Égypto-Américaine qui co-préside l’association Roads of Success, se trouvait au siège de l’ONU cette semaine pour témoigner de la torture mentale et physique, des conversions forcées et des grossesses malheureuses subies par les esclaves sexuelles de l’EI. Elle appelle désormais les Nations unies à établir un groupe de travail dirigé par l’organisation onusienne pour retrouver la trace des captives et aider à les libérer.

« Ces gens sont des sauvages », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.

« Ils cherchent à détruire ces femmes, à les réduire en esclavage, à leur laver le cerveau et à prendre le contrôle de leur corps et de leur âme, au point qu’elles sont même forcées de prélever leur propre sang pour les transfusions sanguines des soldats blessés. »

Elle s’est récemment rendue à Dohuk où elle s’est entretenue avec soixante-dix yazidies ayant réussi à s’échapper. Toutes ont raconté la même histoire : en août dernier, des soldats de l’EI ont fait irruption après minuit à leur domicile dans la ville de Sinjar, tuant les hommes et embarquant les femmes dans des camions en direction d’un « centre de tri » situé à Mossoul, contrôlée par les militants de l’EI.

Les filles âgées de moins de 5 ans ont été libérées, tandis que les femmes de 25 ans et plus ont été envoyées en Syrie. Les autres ont été évaluées en fonction de leur beauté, testées pour savoir si elles étaient encore vierges et partagées entre les vétérans de l’assaut éclair donné par l’EI l’année dernière au nord de l’Irak, a expliqué Jacqueline Isaac.

Certains combattants parlaient avec des accents américain, allemand ou russe, a-t-elle ajouté. Les femmes ont été violées à plusieurs reprises pendant des jours avant d’être vendues au marché aux esclaves – souvent dans d’anciennes salles de classe reconverties – afin de devenir la « propriété » d’autres combattants.

Selon Isaac, les esclaves sont victimes de passages à tabac prolongés, de viols collectifs, de grossesses non désirées et de conversions forcées à l’islam. Le but, dit-elle, est de les briser psychologiquement afin qu’elles se transforment en mères dociles pour les enfants du califat islamique.

Ça ne marche pas toujours, a précisé Isaac. Certaines femmes ont préféré se donner la mort plutôt qu’abandonner leur foi ; les plus chanceuses se sont échappées.

« [Les militants de] l’Etat islamique considèrent les yazidis comme des adorateurs du diable et pensent qu’il est légitime de disposer d’eux comme bon leur semble », a expliqué Isaac à MEE.

« Ils prennent des filles yazidies, les brisent, les endoctrinent », a-t-elle ajouté. « Ils veulent voir les yazidis disparaître complètement. Si les filles refusent, la torture et les abus s’intensifient. Certaines ont perdu la vie en cherchant à s’enfuir. »

Un an après la chute de Mossoul aux mains des miliciens, le nombre exact de personnes capturées lors des conquêtes de l’EI demeure inconnu. Les estimations varient entre 3 000 et 5 000. Selon Jacqueline Isaac, 1 270 personnes ayant échappé à l’EI reçoivent actuellement des soins fournis par les autorités kurdes.

Les révélations d’Isaac viennent s’ajouter au témoignage de Zainab Bangura, l’envoyée de l’ONU chargée de la violence sexuelle en zone de conflit, interviewée par MEE le mois dernier alors qu’elle rentrait d’un déplacement dans la région. Elle avait alors déclaré que l’EI était en train « d’institutionnaliser la violence sexuelle » à travers la pratique généralisée du viol.

Bangura avait raconté comment une femme avait été vendue vingt-deux fois, comment une autre s’était vu inscrire le nom du cheikh qui l’avait capturée sur le dos de la main pour montrer qu’elle était sa « propriété », ou encore comment un combattant saoudien avait brûlé vive une jeune femme de 20 ans qui avait refusé de pratiquer « des actes sexuels extrêmes ».

Les Etats-Unis dirigent une coalition d’États menant des frappes aériennes contre des cibles de l’EI, pendant que des forces kurdes, irakiennes et autres combattent sur le terrain. Mercredi, le Président américain Barack Obama a annoncé un plan de déploiement de 450 troupes américaines non-combattantes en Irak.

Cependant, pour Jacqueline Isaac, les tactiques militaires ne suffisent pas. Lors de ses réunions avec des ambassadeurs des Nations unies cette semaine, elle a demandé à l’ONU de procéder à un recensement officiel du nombre de femmes réduites en esclavage et de prendre des mesures pour racheter et libérer les captives

« Les Nations unies ont été créées pour une crise pareille à celle-ci. Il est temps de s’activer et de demander à la communauté internationale de nous aider à sauver les filles qui se trouvent toujours entre les mains de l’EI », a-t-elle déclaré à MEE.

Traduction de l’anglais (original).

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