En Syrie, la Ghouta orientale a connu « la journée la plus meurtrière depuis des années »
Il était environ 11h lorsque les frappes russes et syriennes ont commencé à bombarder les quartiers de la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas, mercredi.
En ce troisième jour d’intenses bombardements qui ont ciblé l’enclave tenue par les rebelles, le bilan est monté à 145 victimes, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) et les témoignages de locaux.
« C'était la journée la plus sanglante depuis neuf mois dans toute la Syrie, et l'une des plus meurtrières dans la Ghouta orientale depuis des années, a indiqué l'OSDH.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a prévu ce jeudi une réunion à huis clos pour discuter d'une trêve humanitaire d'un mois réclamée par les représentants d'agences de l'ONU basées à Damas.
Traduction : « Les équipes de la Défense civile travaillent pour évacuer les enfants blessés après une nouvelle attaque aérienne sur #Hamouriyah, dans la Ghouta orientale »
Pourquoi cette escalade de violence ?
Assiégée depuis 2013, la Ghouta orientale, dernière enclave rebelle aux portes de Damas, est régulièrement bombardée par Bachar al-Assad
Un avion russe, abattu samedi par un missile sol-air au-dessus de la région d'Idleb, a contribué à ce regain de violence, l’attaque ayant été revendiquée par le groupe Hayat Tahrir al-Cham, dominé par l’ex-branche locale d'Al-Qaïda.
Bachar al-Assad, qui a vaincu les rebelles sur plusieurs fronts grâce au soutien militaire de la Russie et contrôle désormais plus de la moitié du territoire, tente de reprendre les dernières régions aux mains des rebelles en faisant avancer ses forces vers le nord.
Lors des bombardements à travers la Ghouta orientale, Omran Aldoumani, photographe, se cache avec sa famille dans leur maison à Douma. « Tous les jours, c’est un massacre. Nous restons assis là, sans savoir ce qui va se passer ensuite », raconte Aldoumi à Middle East Eye. « Seul Dieu peut arrêter ces bombes. »
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Que sont les « zones de désescalade » ?
La Ghouta orientale, qui compte près de 400 000 habitants, est censée être une des quatre « zone de désescalade » où les belligérants s'engagent à réduire le niveau des violences. Ces zones ont été créées en vertu d'un accord entre la Russie et l'Iran, principaux soutiens du régime, et la Turquie qui appuie l'opposition.
Mais sur le terrain, la Ghouta est visée presque chaque jour par les frappes aériennes ou les tirs d'artillerie, qui ont fait des milliers de morts et de blessés depuis 2011. En représailles, selon l’agence officielle Sana, les insurgés tirent obus et roquettes sur Damas, tuant des centaines de civils.
Mardi, les Nations unies ont condamné Bachar al-Assad et la Russie pour ces nouvelles frappes, et les ont accusés de « se moquer » des zones de désescalade.
Pourquoi parle-t-on d’attaques chimiques ?
Parce que depuis plusieurs semaines, le président syrien est accusé d’avoir recours à des armes chimiques, notamment du chlore, sur la Ghouta orientale et dans la province d’Idleb.
L'une de ces attaques serait survenue à Saraqeb, localité de la province d'Idleb (nord-ouest) contrôlée par les islamistes armés et les rebelles, où onze cas de suffocation ont été rapportés, selon l'OSDH. Le 22 janvier, l'ONG a également rapporté 21 cas de suffocation dans la Ghouta orientale, des habitants et des sources médicales évoquant une attaque au chlore.
Ce ne serait pas la première fois : en août 2013, des centaines de personnes dont un grand nombre d'enfants avaient été tuées dans une attaque chimique dans la Ghouta orientale et à Mouadamiyat al-Cham, un autre bastion de la rébellion près de Damas. L'opposition avait accusé le régime de Bachar al-Assad et en septembre, un rapport de l'ONU révélait des « preuves flagrantes » de l'utilisation de gaz sarin.
Mardi 6 février, la Commission internationale d'enquête mandatée par l'ONU annonce l’ouverture d’une enquête sur des attaques chimiques présumées du régime notamment dans la Ghouta orientale.
Comment les habitants arrivent-ils à survivre ?
La situation est critique, car comme le souligne Amar al-Bashy, un habitant de la Ghouta orientale, Bachar al-Assad « empêche les humanitaires d’entrer dans la Ghouta orientale ».
Les bombardements ne font qu’aggraver la situation de pénurie de nourriture et de médicaments provoquée par le siège. En 2017, l'ONU a condamné la « privation de nourriture délibérée de civils » comme une tactique de guerre, après la publication de photos « choquantes » d'enfants squelettiques.
Traduction : Volontaires du Croissant-Rouge syrien à #Douma
Selon l’UNICEF, 11,9 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de sévère malnutrition, la pire crise depuis 2011.
Ces trois derniers jours, les frappes aériennes ont frappé des zones résidentielles, des centres médicaux et des marchés. Depuis des mois, les écoles sont fermées pour assurer la sécurité des enfants et des enseignants.
« Nous avions quelques centres médicaux, mais quatre d’entre eux ont fermé suite aux bombardements », témoigne Amar al-Bashy à MEE. « Les structures médicales restantes souffrent d’un manque de produits médicaux de base. Les gens sentent la peur. Il n’y a ni abri, ni endroit sûr pour éviter les bombardements. »
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« Nous sommes particulièrement préoccupés par les attaques contre les civils et les installations civiles comme les hôpitaux », a déclaré l'ambassadeur suédois, Olof Skoog. Ces attaques sont à l'origine de nouveaux déplacements de population et il n'y a aucun progrès pour permettre à l'ONU et à ses partenaires d'accéder aux zones assiégées. Un cessez-le-feu humanitaire permettrait de livrer une première aide vitale et d'évacuer des centaines de personnes malades nécessitant des soins urgents. »
En Syrie, plus de 13 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire pour survivre.
« Depuis que le siège a commencé, nous n’avons plus trois repas par jour. Aujourd’hui, la plupart des gens ont de la chance s’ils peuvent avoir un repas, et ils sont nombreux à ne survivre qu’avec un seul repas tous les deux jours, voire plus. Notre vie dépend de puits que nous avons creusés pour trouver de l’eau. Nous savons que c’est dangereux mais nous n’avons pas d’autre choix. »
Pour Aldoumani, comme pour de nombreux autres Syriens vivant dans la Ghouta orientale et ne pouvant en sortir, les frappes aériennes font partie de leur quotidien. « Quand les bombent approchent de votre maison, vous avez peur. Mais après un moment, vous vous y habituez », témoigne-t-il à MEE.
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