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Fadel Soliman : lutter contre les idées fausses sur l’islam

Fadel Soliman aborde le rôle des spécialistes musulmans en déradicalisation et encourage une plus grande prise de conscience des doctrines de l’islam
Fadel Soliman tient une copie de The Fog is Lifting, une série de documentaires produits par The Bridges Foundation (MEE/Gofran Sawalha)

LONDRES – « Je suis un survivant des attentats du 11 septembre », déclare le cinéaste de renommée mondiale et conférencier sur l’islam, Fadel Soliman. Au matin du 11 septembre 2001, Soliman représentait l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (WAMY) à l’ONU et devait assister à une conférence pour les ONG du Département de l’information (DPI) se tenant à Manhattan ce même jour.

« Ce matin-là, j’avais trois heures devant moi avant ma conférence, alors j’avais décidé de faire un peu de tourisme. À 8 heures en ce 11 septembre, j’avais tenté d’arrêter un taxi pour me rendre, avec deux collègues, au World Trade Centre. Pendant une demi-heure, aucun taxi ne s’est arrêté. » Plus tard, Soliman a découvert que la première attaque contre les tours jumelles s’était produite à 8 h 45.

« J’étais plutôt frustré à ce moment-là, je ne réalisais pas que Dieu nous sauvait la vie. Ce moment a marqué un tournant pour moi. J’ai appris à me contenter. Nous ne savons pas ce qui est bon pour nous, ni ce qui est mauvais, nous ne pouvons qu’accepter. Cela signifie savoir se contenter et ce sentiment est plus stable que le bonheur. Pour faire simple, cette acceptation, c’est croire au destin et à la destinée. »

En 2001, lors d’un voyage aux États-Unis, Soliman a été introduit au dawah, un terme arabe qui signifie « inviter les gens à en apprendre davantage sur l’islam ». Soliman a été inspiré par le travail de certains des meilleurs contributeurs à la connaissance islamique en Amérique, en particulier, le Dr Jamal Badawi et Yusuf Estes, puis a commencé ses activités de sensibilisation à l’islam aux États-Unis.

Il a participé à des émissions à la télévision et à la radio publique nationale, s’est adressé à des non-musulmans dans des églises et des universités et, en l’espace d’un an, est devenu le présentateur de l’émission The Islamic Show ainsi que d’une émission hebdomadaire à la radio, appelée Let the Quran Speak, toutes deux à Washington. Peu de temps après, Soliman est devenu l’aumônier musulman de l’Université américaine de Washington DC.

Soliman est connu dans le monde entier pour sa contribution à la promotion d’une compréhension précise de l’islam et à la réfutation des idées fausses. Grâce à son organisation, The Bridges Foundation, Soliman a été en mesure de présenter l’islam à plus de 65 000 personnes dans 25 pays en travaillant avec des organismes religieux, des établissements d’enseignement et des organisations gouvernementales. Soliman s’est exprimé dans de nombreuses églises et établissements d’enseignement supérieur – y compris les universités de Hong Kong, Colombo, Trumso et Oslo.

Trouver l’islam

Soliman est né au Caire en 1966 dans une famille instruite de la classe moyenne. Son père était pharmacien et sa mère était une femme au foyer instruite qui parlait couramment français. Dans sa jeunesse, il fut champion de natation et pendant de nombreuses années, il a participé à des compétitions sportives dont le water-polo. Il évoque avec fierté ses deux oncles qui étaient des nageurs olympiques et la réussite de son grand-père nommé membre permanent du comité international olympique, appelé « la légende du sport arabe » dans son Égypte natale.

« Mon rêve était d’étudier la médecine et de devenir médecin », explique Soliman, « mais mon père rêvait que j’étudie l’ingénierie électronique. » Soliman a respecté les souhaits de son père et en 1988, est sorti diplômé de l’Université Ain Shams au Caire avec une licence dans ce domaine. Bien que Soliman n’ait pas concrétisé son ambition de vie de devenir médecin, il ne regrette pas ses choix de vie. « Le succès, ce n’est pas seulement de réaliser ses ambitions, c’est exceller dans tout ce que vous choisissez d’entreprendre », estime-t-il.

« Il n’y a pas de contrainte en religion », déclare-t-il, citant un verset du Coran. « Le choix de suivre et de pratiquer une religion doit venir entièrement de sa propre volonté »

Soliman n’a pas toujours été un fervent musulman. En fait, plus jeune, il ne respectait pas les enseignements islamiques. Soliman préféra explorer les différentes religions et les analyser de façon critique. « Il n’y a pas de contrainte en religion », déclare-t-il, citant un verset du Coran. « Le choix de suivre et de pratiquer une religion doit venir entièrement de sa propre volonté. »

Soliman se considère comme un « revert » à l’islam (le terme « revert » [qui signifie « retourner » en anglais] est utilisé par certains musulmans pour désigner le fait d’embrasser l’islam, qu’ils considèrent comme l’état naturel de l’ensemble des êtres humains). Il a approfondi ses connaissances de cette religion en étudiant sous la direction de grands savants en Égypte.

Lutter contre les idées fausses

Les attentats du 11 septembre ont suscité de nombreuses discussions souvent mal informées sur l’islam, à la fois au sein de la communauté musulmane et au-delà, et ont abouti à une forte augmentation des comportements islamophobes. « Il est devenu plus important que jamais d’expliquer les véritables enseignements de l’islam, non seulement pour les non-musulmans, mais aussi pour les jeunes musulmans vulnérables », explique-t-il.

Dans le but de construire une plateforme de discussion interreligieuse éducative, Soliman a lancé une initiative, The Bridges Foundation, pour surmonter les malentendus et améliorer l’éducation à l’islam. « Afin de vivre dans un monde plus sûr, il vous faut construire des ponts », juge-t-il. Ce programme a été un grand succès et a été mis en œuvre à grande échelle. Soliman a été invité au Pentagone pour s’exprimer plusieurs fois au ministère de la Défense et au Congrès, ainsi que pour parler aux prisonniers dans les prisons.

Fadel Soliman s’est exprimé dans plusieurs établissements correctionnels aux États-Unis et a parrainé certains prisonniers afin qu’ils en apprennent davantage sur l’islam lorsqu’il s’est rendu compte qu’ils avaient des opinions extrêmes, les encourageant à suivre des études islamiques à travers des programmes en ligne comme celui de l’Université ouverte américaine à Washington DC.

« De nombreux représentants du gouvernement nous consultent sur la façon de traiter avec les musulmans. L’un de nos plus grands succès est le fait qu’un pays européen a retiré un projet de loi parlementaire visant à interdire le hijab après avoir consulté notre organisation. »

Soliman pense que ce ne sont pas les attentats du 11 septembre qui ont nourri l’accroissement palpable de la haine envers les musulmans, mais le lavage de cerveau dû à la propagande perpétuée par les médias. « Nous avons beaucoup de travail à faire pour contrer la rhétorique dangereuse et cela doit passer par les médias », affirme-t-il.


Pour cette raison, la fondation a entrepris un grand projet consistant à produire une série de documentaires appelé The Fog is Lifting. « Nous croyons que l’ignorance est le véritable ennemi. Voilà pourquoi notre slogan est ‘’faire la paix par l’éducation’’. »

La première partie de la série, Islam in Brief, vise à guider les gens afin de leur faire comprendre les croyances et les concepts essentiels de l’islam. Il a été traduit en 30 langues. Les commentaires par e-mails et messages du monde entier ont été très positifs, avec plus de 300 000 DVD d’Islam in Brief distribués. « En dépit de notre peu d’expérience et de l’équipement technique basique utilisé, le résultat a été incroyable : plus de 7 000 personnes ont accepté l’islam. »

Une autre partie de la série, Jihad on Terrorism, remet en question ce qui est peut-être l’idée fausse la plus répandue sur l’islam aujourd’hui : il permettrait le meurtre d’innocents. Le documentaire démystifie la rhétorique d’al-Qaïda et de Daech. « Le djihad réel n’a rien à voir avec le terrorisme et le terrorisme ne peut être justifié dans l’islam. Notre objectif est de donner aux jeunes des connaissances qui leur permettent de comprendre leur religion. »

En remettant en question les idées fausses qui se perpétuent chez les jeunes musulmans vulnérables, Soliman espère contrecarrer les efforts de radicalisation. Il a donné une conférence intitulée « L’illusion Daech » à travers toute la Grande-Bretagne et a animé un atelier d’une journée à Leeds appelé « Comment déradicaliser un extrémiste », qui a été suivi par des enseignants, des imams et des conseillers de la jeunesse.

Parmi les travaux produits par Soliman sur la déradicalisation qui ont eu le plus de succès figurent deux vidéos dans lesquelles il conteste le point de vue de l’influent et désormais célèbre religieux américain affilié à al-Qaïda, Anwar al-Awlaki, et l’évolution de ses opinions. En raison de son travail sur la déradicalisation des jeunes, le gouvernement britannique a tenté de recruter Soliman pour son programme de lutte contre le terrorisme, « Channel Project », en 2009. Soliman a toutefois décliné l’offre, jugeant qu’il serait plus accessible aux jeunes et qu’il gagnerait plus facilement leur confiance en travaillant de façon indépendante.


L’identité musulmane

Après avoir parcouru l’Europe et interagi avec diverses communautés musulmanes, Soliman a entamé une réflexion sur leurs différences. « Pour moi, les communautés musulmanes américaines sont en avance d’une centaine d’années sur les communautés européennes. »

« Pour moi, les communautés musulmanes américaines sont en avance d’une centaine d’années sur les communautés européennes »

Fadel Soliman pense que les musulmans américains ont été davantage en mesure de s’intégrer dans la société américaine car ils se sont considérés comme Américains dès leur arrivée aux États-Unis. Selon lui, la plupart des musulmans américains se sont vus comme des colons venus pour rester, pas seulement à la recherche d’une éducation avant de rentrer dans leur pays. Ils se sont donc battus pour leurs droits et ont établi leur présence. En Europe, assure-t-il, ce n’a pas été le cas car, jusqu’à encore très récemment, de nombreux musulmans qui se rendaient en Europe le faisaient pour trouver du travail ou pour leurs études, avec l’intention de retourner ensuite dans leur pays d’origine.

Soliman pense que les musulmans vivant au Royaume-Uni traversent une crise d’identité. Il considère que les attentats de Londres du 7 juillet 2005 ont été bien pires que ceux du 11 septembre 2001 parce qu’ils ont été commis par de jeunes Britanniques appartenant à la société britannique. La seule façon de développer une identité musulmane britannique est, selon lui, d’encourager l’intégration.

« De nombreux jeunes sont découragés par l’intégration, pensant qu’ils peuvent perdre leur religion s’ils s’intègrent. Ils doivent se rappeler que le Prophète s’est pleinement intégré quand il a déménagé à Médine et a même changé certains aspects de sa culture en fonction de la nouvelle société sans compromettre sa religion. Cependant, l’intégration ne signifie pas que les musulmans devraient commencer à boire ou à cesser d’aller à la mosquée. L’intégration est le partage de cultures, non l’élimination de l’une d’entre elles. » Bien que certains aspects de l’islam puissent différer du mode de vie occidental, les valeurs islamiques fondamentales sont des valeurs humaines qui ne s’opposent pas aux valeurs britanniques.

Soliman pense que les musulmans vivant au Royaume-Uni traversent une crise d’identité

En raison de la grande influence de son travail dans le domaine de la sensibilisation à l’islam, Soliman a été choisi le samedi 15 octobre dernier pour recevoir une récompense des British Imams and Scholars Contributions and Achievements Awards (BISCA) pour ses contributions positives au dawah.

Soliman minimise modestement sa récompense : « C’est le dur labeur de nombreux bénévoles désireux de construire des ponts qui a abouti à ce succès, pas moi personnellement. » Toutefois, il estime qu’il est très important de reconnaître le travail acharné des imams pour encourager l’excellence dans ce domaine.

Soliman a été choisi pour recevoir une récompense des BISCA (British Imams and Scholars Contributions and Achievements Awards) (Photo fournie par Fawad Khan)

Interrogé sur le rôle le plus important joué par les savants musulmans en Grande-Bretagne, Soliman met l’accent sur leur contribution au développement d’une identité musulmane britannique, qu’il sent menacée. « Les imams doivent veiller à ce que les musulmans ne tombent pas dans l’un des deux extrêmes, la radicalisation ou le manque de rigueur vis-à-vis de leur religion. »

Il pense que les imams ne devraient pas se contenter de délivrer des sermons hebdomadaires dans les mosquées, mais devraient être des modèles inspirants vers lesquels les jeunes peuvent se tourner pour obtenir des conseils. Soliman a souligné l’importance d’encourager les imams à parler de sujets sensibles. « De nombreux imams évitent de parler de questions importantes telles que le djihad et la radicalisation. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur d’être mal interprétés. Donc, ils parlent de purification, car c’est plus sûr. »

Soliman estime également que de nombreux sujets importants ne sont pas abordés parce que les imams craignent d’être pris pour cibles et diabolisés. Soliman a lui-même été victime d’une campagne médiatique qui l’a présenté comme un extrémiste par un montage de ses vidéos et en prenant ses propos hors de leur contexte, explique-t-il.

« Les imams musulmans sont constamment pris pour cibles et vilipendés par les médias. Ce qui est vraiment dangereux parce que les médias brisent la société pour leur propre bénéfice », affirme-t-il.

« Les jeunes chercheront à en apprendre davantage sur le thème du djihad. Si on décourage les imams d’en parler, les jeunes se tourneront vers d’autres moyens plus dangereux pour obtenir des réponses. »

Soliman estime que les imams doivent avoir l’assurance de pouvoir parler librement. Il a présenté une demande au Comité spécial du ministère de l’Intérieur britannique sur la lutte contre l’extrémisme pour s’assurer que cet objectif soit atteint.

Le parcours de Fadel Soliman sur la voie de l’enseignement de l’islam n’est pas terminé. Il travaille actuellement au développement d’une nouvelle traduction du Coran. Le projet est appelé Tadabur – ce qui signifie « réfléchir ». La traduction incite à la contemplation des versets coraniques en anglais. « Elle ne sera peut-être pas aussi éloquente que d’autres traductions, mais sera la plus proche du texte original arabe. Par exemple, certains versets se réfèrent à des événements de l’au-delà au passé ; à la différence des traductions actuelles, nous allons les garder ainsi, car c’est plus précis et cela encourage la réflexion sur la signification qui se cache derrière ces versets. »

La passion de Soliman pour la recherche et la diffusion des connaissances sur l’islam est ce qui continue à motiver son travail de diffusion de la véritable image de cette religion afin de contrer la fausse image souvent propagée par les médias.

« Je sens que j’ai un devoir envers cette religion et envers la jeunesse musulmane. Et partout où je peux faire le dawah, c’est ma patrie. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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