EN IMAGES : En France, la bike-life gagne les banlieues parisiennes
Née dans les quartiers défavorisés de Londres en 2014, la bike-life a fait son apparition en France en 2019. Ismaël Ben Chaib, 16 ans, a été l’un des premiers à importer cette pratique en France. Le lycéen, qui vit à Brétigny-sur-Orge, dans le département de l’Essonne, s’entraîne sans relâche depuis deux ans et demi. Aujourd’hui, il est considéré comme l’un des prodiges de cette discipline. « La bike-life, c’est ma vie », explique l’adolescent à Middle East Eye.
Tous les jours, dès la sortie du lycée, il grimpe sur son vélo pour enchaîner les « roues arrière » et autres figures acrobatiques dans son quartier. Lancé à toute vitesse, sans les mains, sans les pieds, parfois debout sur sa selle, l’adolescent maîtrise chaque figure, qu’il a répétée des centaines de fois. Des exploits qu’il poste sur son compte Instagram. (Photos : Laurence Geai)
Bretigny-sur-Orge est l’une des villes de banlieue parisienne qui compte le plus de passionnés de bike-life. Plus d’une vingtaine de collégiens et de lycéens se retrouvent chaque fin de semaine autour d’Ismaël Ben Chaib dans les rues et les parcs de la ville. Un groupe devenu inséparable : « En fait, pour nous la bike-life, ce n’est pas un sport individuel, on est comme un collectif », explique à MEE Anas El Hamdaoui, un autre jeune prodige de la bike-life. « On est toujours ensemble, on rigole. Moi, je n’ai pas d’autre passion. J’ai bien essayé le football et la natation, mais ça ne me plaisait pas ! »
Pour Ismaël Ben Chaib, la bike-life est une histoire de famille. Le parvis de l’appartement familial de Brétigny-sur-Orge s’est converti en atelier de réparation. Le père d’Ismaël, Mustafa – passionné de vélo également – officie en maître des lieux. Patiemment, il ajuste les chaînes de vélos des jeunes riders – nom donné aux adeptes de la bike-life –, règle leurs freins, les selles…
Informaticien, Mustapha Ben Chaib connaît le prénom de chacun, et prévient les parents des jeunes quand ces adolescents restent plus longtemps que prévu avec lui, endossant presque un rôle d’éducateur : « Je dis à tous de rester bien concentrés sur leur vélo. Je suis là pour les cadrer, les rappeler à l’ordre aussi quand ils font des histoires pour rien. »
La bike-life a rapproché Ismaël Ben Chaib de son père. Ils passent désormais beaucoup de temps ensemble. « À la fin de l’école primaire, avant d’entrer au collège, Ismaël est devenu un enfant sombre. Il n’allait pas bien. Je ne savais plus quoi faire… Le vélo l’a sauvé, ça l’a ouvert au monde ! », raconte Mustafa Ben Chaib. Après une pause, la gorge serrée, il poursuit : « S’il n’y avait pas eu la bike-life, Ismaël aurait peut-être fugué, ou basculé dans la délinquance. Encore aujourd’hui, quand je vous en parle, je suis très ému. »
Mais tous les parents à Brétigny-sur-Orge ne suivent pas leurs enfants dans leurs activités acrobatiques. « Mon père n’a pas compris que c’était ma passion. Je lui demande de venir me voir, de regarder mes vidéos…il ne vient pas et ne regarde pas », confie Anas El Hamdaoui.
En fin de semaine, les riders de Brétigny-sur-Orge prennent la direction de Paris. Après une heure de trajet avec leurs vélos dans les transports en commun, les lycéens sont au pied de la tour Eiffel, leur autre terrain de jeux. Avant la bike-life, Ismaël Ben Chaib et Anas El Hamdaoui ne venaient quasiment jamais passer la journée dans la capitale. Désormais, ils connaissent les rues parisiennes aussi bien que celles de leur ville de l’Essonne.
Tout l’après-midi, malgré la chaleur, les adolescents parcourent les rues de Paris à toute vitesse, enchaînant les figures. Dans leur jargon, les amateurs de bike-life appellent cela des « baraudes », une expression venue du verbe peu usagé barauder, qui signifie flâner. « Swerves », « steps », « criss cross »… chacune des figures exécutées par les jeunes de Brétigny-sur-Orge porte un nom. Seuls les initiés les connaissent.
Pendant leurs baraudes, les adolescents se faufilent entre les voitures et ne restent que très rarement sur les pistes cyclables. Au milieu de la circulation dense des rues parisiennes, les jeunes ne portent ni casque, ni protection. « Si tu ne contrôles pas ton vélo à Paris, tu es mort ! », explique Anas El Hamdaoui. « Oui, on grille des feux rouges souvent, mais on essaie de regarder avant de passer. Nous, on s’entraîne pendant des heures avant de débouler comme ça dans les rues de Paris. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, plein de jeunes veulent nous suivre sans aucun entraînement », ajoute le lycéen.
Dans les rues des quartiers les plus chics de la capitale, les passants s’écartent pour laisser passer les adolescents sur les trottoirs. « Je comprends que l’on fasse un peu peur. Les automobilistes ont surtout peur pour leur carrosserie », s’amuse Ismaël Ben Chaib. À ses côtés, son ami Anas El Hamdaoui abonde : « Même mes parents nous prennent pour des sauvages ! Mais la bike-life, c’est un état d’esprit, une façon de vivre. On respecte les gens et on s’excuse quand on passe un peu trop près d’eux. » Les deux amis tombent souvent. Leurs genoux, leurs mains, leurs coudes sont écorchés, mais pour le moment, aucune chute grave n’est à déplorer.
Pour l’heure, la police parisienne se montre plutôt clémente avec ces cyclistes d’un nouveau genre. Si Ismaël Ben Chaib et son groupe sont souvent rappelés à l’ordre, ils n’ont jusqu’à présent jamais été sanctionnés. « Les policiers nous arrêtent parfois, mais ils sont cools. Ils nous connaissent », assure l’adolescent. Cependant, dans certaines villes françaises, comme à Quimper dans le Finistère, la pratique de la bike-life est désormais interdite dans les rues des centres-villes.
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