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Séisme : les Turcs et les Syriens de France se mobilisent pour apporter de l’aide aux victimes

Par avion et par bateau, des tonnes de vivres et de matériel sont acheminées vers les zones sinistrées depuis la France. Parmi les donateurs, certains ont perdu des proches dans le double tremblement de terre qui a frappé la Syrie et la Turquie
 Des bénévoles d’ONG turques et syriennes ont organisé plusieurs points de collectes de dons à travers la France (Facebook)
 Des bénévoles d’ONG turques et syriennes ont organisé plusieurs points de collectes de dons à travers la France (Facebook)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Rayif Keskin est resté collé à son téléphone pendant plusieurs jours, la semaine dernière, pour suivre l’avancée d’un convoi d’aide humanitaire envoyé en Turquie depuis Châteaubriant, son lieu de résidence dans l’ouest de la France.

Dans cette ville de 12 000 habitants près de Nantes, l’association culturelle turque ACT, qu’il préside, s’est mobilisée, aussitôt après le double séisme qui a touché les régions sud d’Anatolie le 6 février dernier, pour soutenir les sinistrés avec toutes sortes de vivres.

« Les gens ont fait preuve d’une grande générosité », confie, très touché, le Franco-Turc, élu municipal de Châteaubriant depuis plusieurs années, à Middle East Eye.

En plus des nombreuses familles de la diaspora turque (environ 15 % de la population locale), des habitants sans lien avec la Turquie ont répondu massivement à l’appel aux dons.

« Nous nous attendions à envoyer un camion et, finalement, deux sont partis avec 45 tonnes de produits à bord », se félicite Rayif Keskin, en listant des quantités de cartons remplis de denrées alimentaires (pâtes, riz, farine, lait pour bébé), de couvertures, vêtements, chaussures, biberons et matériel médical (fauteuils roulants, tensiomètres, glucomètre, etc.).

Après une escale au port de Sète, près de Marseille, les semi-remorques sont arrivées à celui de Yolova, à côté d’Istanbul, le jeudi 16 février. De là, direction Ankara, où les attendaient des agents de l’AFAD, une organisation gouvernementale turque chargée de la gestion des catastrophes et des situations d’urgence.

Les camions ont été ensuite acheminés vers les zones sinistrées, au grand soulagement de Rayif Keskin et de ses amis de l’ACT, qui se tiennent prêts à envoyer d’autres convois.

Un tissu associatif turc très actif

« Nous restons en contact avec le consulat turc de Nantes et, s’il le faut, nous mènerons d’autres opérations de collecte de dons », promet le conseiller municipal, également à l’origine d’une quête d’argent au profit des rescapés du séisme qui a rapporté en quelques jours seulement 70 000 euros.

Ailleurs en France, la diaspora turque, deuxième plus grande communauté turque en Europe après celle d’Allemagne, se démène aussi pour récolter des fonds et des vivres.

« Les gens ont fait preuve d’une grande générosité »

- Rayif Keskin, président d’ACT

« Avec l’argent, nous pourrons aider quelques familles à obtenir de la nourriture, de l’eau ou des vêtements », affirme à MEE Zeynep Demir, une mère au foyer qui a fait appel à ses connaissances pour confectionner des pâtisseries traditionnelles turques et les vendre dans le restaurant de kebabs qu’elle tient avec son mari, dans le 10e arrondissement de Paris.

Dans ce quartier surnommé « la petite Turquie » en raison d’une forte concentration de commerces tenus par des Turcs, dans le secteur du textile et de l’habillement en particulier, les riverains sont hantés par les scènes de désolation qui défilent sur les écrans de télévision.

« Nous sommes branchés toute la journée sur les chaînes d’information turques et nous n’arrêtons pas de pleurer », soupire Zeynep, qui a perdu des cousins dans l’effondrement d’un immeuble dans la ville d’Antakya, à environ 400 km de la frontière syrienne.

« Je ne les avais pas revus depuis plusieurs années car je ne suis jamais retournée en Turquie après mon arrivée en France. C’est la seule famille qui me restait après le décès de mes parents », ajoute-t-elle, très peinée.

À Alençon, dans l’Orne, Zehra Gunur a également perdu des membres de sa famille, huit précisément, tous originaires de Kahramanmaraş, l’épicentre du séisme. La mère de famille a appris la catastrophe par sa mère au téléphone au petit matin du 6 février.

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Depuis, Zehra parvient passablement à surmonter son deuil pour aider son mari, Tarik, président de l’Association culturelle et sportive franco-turque alençonnaise (ACFTA), dans l’organisation de l’aide au profit des rescapés.

« 70% de Marash [Kahramanmaraş] est par terre. Les immeubles sont tombés comme des châteaux de cartes. C’est une énorme catastrophe. Après le tremblement de terre, la ville est restée 24 heures sans eau ni électricité », raconte Tarik Gunur à MEE. Il a coordonné avec des membres de l’association et des connaissances en Turquie l’envoi sur les lieux, depuis Ankara, de deux semi-remorques remplies de dons.

Un autre convoi vient de quitter la France avec des tonnes de denrées alimentaires, des kits d’hygiène, des vêtements, des chaussures, de la literie, des fauteuils roulants, des béquilles, des poêles à bois pour les sinistrés regroupés dans des tentes et des générateurs d’électricité.

Les dons proviennent des 288 familles franco-turques d’Alençon, de beaucoup d’autres habitants et des commerçants qui ont offert leur aide spontanément. Selon Tarik Gunur, le directeur d’un supermarché n’a pas hésité, par exemple, à prêter un de ses camions pour transporter les vivres, tandis qu’une entreprise a fait don de générateurs d’électricité.

« C’est le moins que nous puissions faire face à une telle catastrophe », résume à MEE Vanessa, une masseuse qui a rempli une camionnette de dons et l’a conduite sur une distance de 100 km, depuis son domicile à Pellerin jusqu’à Châteaubriant, où l’attendait Rayif Keskin.

De jeunes Syriens dans le feu de l’action

Partout, l’élan de solidarité ne faiblit pas, y compris avec les victimes du séisme en Syrie, où la situation est par ailleurs compliquée par le conflit entre le gouvernement de Bachar al-Assad et les groupes d’opposition qui continuent de contrôler certaines zones du pays.

À Paris, des donateurs se relayent depuis plusieurs jours dans la Cantine syrienne, un espace de rencontre et de restauration fondé il y a quelques années par des exilés syriens à Montreuil. Là, Paris Response, un groupe de bénévoles formé notamment par des Syriens, centralise l’aide pour l’acheminer dans les territoires sinistrés dans le nord du pays.

« C’est le moins que nous puissions faire face à une telle catastrophe »

- Vanessa, bénévole

Le collectif a vu le jour sur les réseaux sociaux dans les premières heures qui ont suivi le tremblement de terre. Grace à une communication efficace, il est parvenu à collecter deux tonnes de vivres et de médicaments, prêts à partir par camion pour la Syrie.

« Une fois en Turquie, les dons seront confiés à une association humanitaire que nous connaissons. Celle-ci les acheminera jusqu’au sud du pays avant de les remettre à une autre ONG qui leur fera traverser la frontière syrienne pour les distribuer aux sinistrés », explique à MEE, Nora, membre de Paris Response.

Sara (prénom d’emprunt), une autre bénévole qui se trouvait dans la province de Lattaquié, sur le littoral méditerranéen, au moment du tremblement de terre, décrit à MEE une situation chaotique, avec des rescapés abandonnés à leur sort.

« L’immeuble où je me trouvais et dans lequel vivent mes parents menaçait de s’écrouler après chaque réplique. Les murs sont lézardés par les fissures », raconte, terrifiée, la jeune femme qui vient de revenir en France.

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Lorsque la terre a tremblé, la chambre où elle était couchée a tangué violemment. Autour de son lit et ailleurs dans l’appartement, tous les meubles sont tombés à terre.

« Pendant les premières nuits qui ont suivi le séisme, nous avons dormi dans la voiture mais il faisait très froid. Il n’était pas possible d’allumer constamment le chauffage à cause de la pénurie de carburant », relate la jeune femme, précisant qu’aucun édifice de la ville n’est suffisamment sûr pour accueillir les sinistrés.

Sara déplore par ailleurs le manque de réactivité des autorités locales (sous le contrôle du gouvernement), pas assez outillées pour affronter la catastrophe. « L’aide est organisée par des particuliers qui se mobilisent avec les moyens qu’ils ont », souligne-t-elle.

À Lattaquié, le tremblement de terre a fait des centaines de morts, dont beaucoup à Jableh, une ville côtière partiellement détruite où Sarah a perdu une amie.  

Au total, selon un dernier bilan, 45 000 personnes ont trouvé la mort dans le double séisme, 41 000 en Turquie et 4 000 en Syrie.

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