« Il ne revient pas à l’État d’organiser le culte musulman »
Le 11 février dernier, dans un entretien accordé au Journal du dimanche (JDD), le président français Emmanuel Macron a déclaré vouloir « poser les jalons de toute l’organisation de l’islam de France » au premier semestre 2018. Le président de la République française a en effet trouvé nécessaire de travailler à « une structuration de l’islam de France et aussi à la manière de l’expliquer » en consultant « des intellectuels, des universitaires et des représentants de toutes religions ».
Emmanuel Macron souhaite refonder les rapports de l’islam avec la République et repenser son organisation. Son objectif principal serait de « réduire l’influence des pays arabes, qui empêche l’islam français de rentrer dans la modernité », selon un conseiller de Macron cité par le JDD.
Au menu : financement des mosquées, formation des imams, réforme du Conseil français du culte musulman. Le président français a également dévoilé sa méthode : « Avancer touche par touche ».
Malgré sa dimension apparemment participative, cette initiative rencontre une forte résistance de la part de certains musulmans français, qui y voient une énième tentative d’ingérence dans leur culte.
Une critique dont le théologien réformiste Mohamed Bajrafil se fait l’un des porte-voix. « Je suis par définition opposé à toute forme d’ingérence dans la gestion d’un culte quelconque, en l’occurrence l’islam », a-t-il déclaré à MEE.
Selon lui, « les affaires du culte doivent rester celles des fidèles. On peut, de l’extérieur, émettre tel ou tel avis, mais c’est aux musulmans de prendre conscience des défis qui sont les leurs, de structurer leur culte et surtout d’éviter de se voir imposer des gens qui ne les représentent pas. »
Le théologien rejette également l’idée d’une « quelconque structure dont viendraient des ordres qu’il faudrait respecter », une structure souvent assimilée à un clergé, notion perçue négativement dans l’islam sunnite. « L’islam est par définition une religion sans clergé. Chercher à imposer une structure pyramidale est une aberration », insiste Mohamed Bajrafil.
Le théologien rappelle en outre que les musulmans sont « des citoyens comme les autres qui ne doivent pas être réduits à la seule dimension religieuse ».
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Une opposition partagée par Mehmet Saygin, juriste spécialisé dans les questions de laïcité et de liberté religieuse, qui explique à MEE qu’« il ne revient pas à l‘État d‘organiser le culte musulman ».
« Il s‘agit d’une inégalité de traitement et d’une discrimination par rapport aux autres cultes et philosophies présents sur le territoire français, puisque l’État français ne prétend pas les organiser, eux », constate-t-il.
Selon lui, cette initiative est même « contraire au principe de séparation des Églises et de l‘État, plus précisément de non-ingérence réciproque entre les Églises et l’État » et « s‘écarte tant du texte que de l’esprit de la loi de 1905 [sur la laïcité] ».
Une prise de position largement partagée sur les réseaux sociaux.
La non-ingérence de l’État dans le culte est d’autant plus essentielle, toujours selon Mehmet Saygin, qu’elle permet également que « les institutions cultuelles ne s’ingèrent pas dans l’élaboration des lois civiles. Chacun doit donc "se mêler de ses affaires", rester dans sa sphère de compétences », conclut-il.
L’islam a déjà fait l’objet en France de plusieurs tentatives d’organisation successives sous la houlette des différents ministres de l’Intérieur depuis le début des années 1990 : Pierre Joxe, qui a établi en novembre 1989 un bureau des cultes au sein du ministère de l’Intérieur réunissant notamment une commission de six « sages » musulmans, laquelle est devenue le « Conseil de réflexion sur l’islam de France » ; Jean-Pierre Chevènement, actuel président de la Fondation de l’islam de France, qui a proposé en 1997 la création d’une université destinée aux imams ; Nicolas Sarkozy, qui a créé le Conseil français du culte musulman en 2003.
Si la structuration de l’islam en France est critiquée par certains, d’autres voix approuvent la démarche d’Emmanuel Macron. Ainsi de l’islamologue Ghaleb Bencheickh, qui a indiqué dans une interview accordée à France Info que l’initiative du président français était « légitime » et « nécessaire » pour une organisation saine de l’islam en France.
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