« Ils étaient tous morts » : un survivant raconte la frappe aérienne libyenne contre le centre pour migrants
Nihal, 31 ans, originaire du Bangladesh, partageait un repas et discutait avec les autres de leurs difficultés au quotidien. Ils vivaient dans le centre de détention pour migrants de Tajoura, dans la capitale libyenne, Tripoli, lorsque la catastrophe est survenue.
« Je me souviens que je mangeais avec un garçon venu du Soudan. Nous avons parlé de la difficulté d’être ici sans savoir où aller et comment sortir de cet endroit, lorsque nous avons entendu une frappe », raconte-t-il. « Je suis tombé sur le sol et j’ai rampé. Nous disions juste : ‘’Aidez-nous, aidez-nous !’’ Et nous nous sommes accroupis près des murs. Puis nous avons entendu une autre frappe. »
Dans la nuit du 2 au 3 juillet, 44 migrants ont été tués et une centaine blessés, selon un dernier bilan de l’AFP, au cours d’un raid aérien qui a frappé un centre de détention, alors que migrants et réfugiés deviennent à nouveau la cible d’un siège qui empire à Tripoli, mené par les forces loyales au maréchal Khalifa Haftar.
« De nombreux autres réfugiés et migrants sont toujours détenus ailleurs en Libye, où persistent les souffrances et le risque de violations des droits de l’homme »
- L’OIM et le HCR
En avril, des militaires soupçonnés de travailler avec Haftar avaient ouvert le feu sur le centre de détention pour migrants de Qasr bin Gashir, au sud de Tripoli, et auraient tué au moins deux personnes.
En parlant de ce qu’il a vu cette nuit à Tajoura, immédiatement après l’attaque, Nihal secoue la tête et lance : « Ils étaient tous morts, ils étaient tous morts ». Il explique à Middle East Eye qu’il craint d’autres frappes aériennes ciblant les personnes détenues dans des centres.
Le centre de détention de Tajoura a fermé ses portes cette semaine et environ 400 survivants ont été transférés dans un nouvel établissement déjà surpeuplé, ont annoncé vendredi l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Les deux agences ont continué d’appeler à la libération de plus de 5 000 migrants et réfugiés détenus dans des centres à travers le pays, devenu une route importante pour l’Europe via la Méditerranée. : « Cependant, de nombreux autres réfugiés et migrants sont toujours détenus ailleurs en Libye, où persistent les souffrances et le risque de violations des droits de l’homme. Un processus de libération sûr et géré, avec des informations appropriées sur l’assistance disponible, est essentiel pour tous », a déclaré l’OIM dans un communiqué.
Comme presque toutes lespersonnes détenues dans les centres de détention, Nihal a été capturé en mer et ramené sur le continent par les gardes-côtes libyens, dans le cadre d’une opération financée par l’Union européenne (UE), malgré la détérioration de la situation en matière de sécurité à Tripoli.
Vincent Cochetel, envoyé spécial des Nations unies pour les migrations en Méditerranée, a déclaré avoir vu dans les centres de détention des personnes qui n’avaient plus « que de la peau et des os » et comparant les conditions dans lesquelles se trouvent les camps de concentration en Bosnie dans les années 1990 et au Cambodge sous les Khmers Rouges à la fin des années 1970.
Des groupes de défense des droits ont documenté des abus à l’intérieur des centres, notamment des viols, des actes de torture et la conscription forcée. Nihal raconte qu’il a accepté de travailler comme nettoyeur d’armes pour tenter de collecter suffisamment d’argent pour partir.
« Nous ne pouvions pas parler à nos femmes »
Munir, un Érythréen de 27 ans qui a survécu à l’attaque perpétrée au centre de détention Qasr bin Gashir à Tripoli en avril, affirme qu’il n’y avait pas assez de nourriture pour se déplacer et que les gens « étaient traités comme des animaux ». Il ajoute : « Mais surtout, nous ne pouvions pas parler à nos femmes et nous savions que la nuit, elles risquaient d’être violées par des hommes des milices ».
Munir, qui a traversé le Soudan avec son épouse et ses deux enfants avant d’arriver en Libye, où ils ont été arrêtés et emmenés à Qasr bin Gashir, a déclaré que les soldats gardant le camp avaient pris la fuite au début de l’offensive du maréchal Haftar en avril.
« Nous sommes restés seuls pendant cinq jours, sans nourriture et avec peu d’eau. Nous avons donné de l’eau et du sucre uniquement aux enfants. »
Au cours de la semaine, des groupes d’hommes armés sont arrivés dans le camp non protégé, demandant de l’argent et des téléphones portables, raconte Munir. La situation a tout d’un coup dégénéré.
« Il y avait un groupe de chrétiens qui priaient. Les hommes armés leur ont demandé de cesser de prier. Les chrétiens ont refusé et ils ont commencé à tirer au hasard dans le hangar, blessant certaines personnes. Beaucoup de personnes ont disparu à ce moment-là. Nous ne savons pas ce qui leur est arrivé, s’ils se sont échappés ou ont été forcés de rejoindre les soldats pour se battre au front. »
Munir, qui est maintenant transféré dans un camp du Croissant-Rouge libyen ailleurs à Tripoli, confie qu’il ne se sent toujours pas en sécurité. « Ils disent que nous sommes en sécurité ici, mais il n’y a pas de lieu sûr pour nous dans ce pays."
Amnesty International a demandé l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre. « Ces incidents démontrent la nécessité urgente pour tous les réfugiés et les migrants d’être immédiatement libérés de ces centres de détention horribles », assure la porte-parole de l’organisation, Magdalena Mughrabi.
Haftar a lancé une offensive terrestre et aérienne il y a trois mois pour s’emparer de Tripoli, la base du gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale dans le nord-ouest du pays.
Les forces qui lui sont fidèles ont nié toute responsabilité dans l’attaque de Tajoura.
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].