Crise des migrants : l’Europe doit cesser d’utiliser la Libye comme décharge
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un problème nouveau, la question des migrations a pris de l’ampleur au cours des cinq dernières années et la migration, essentiellement depuis les pays d’Afrique subsaharienne vers l’Europe via la Libye, remonte à l’an 2000.
La Libye n’est pas la seule route migratoire, le Maroc et la Tunisie l’étant également, bien que dans une moindre mesure. Les migrants viennent de nombreux pays tels que le Nigeria, la Gambie, le Mali, le Sénégal, le Soudan, la Somalie, l’Érythrée et l’Éthiopie.
Récemment, le nombre de migrants du Bangladesh qui traversent la Libye a également grimpé en flèche.
Les migrants pensent naïvement qu’en atteignant l’Europe, ils décrocheront des emplois, auront de l’argent et une qualité de vie dont ils n’auraient jamais pu rêver chez eux
Rêves brisés
Les migrants qui risquent leur vie sur les milliers de kilomètres de routes périlleuses dans le désert et dans les traversées maritimes dangereuses sur de petits bateaux bondés sont motivés par la pauvreté, le manque d’emplois et la persécution dans leurs pays d’origine. Ils pensent – probablement naïvement – qu’en atteignant l’Europe, ils décrocheront des emplois, auront de l’argent et une qualité de vie dont ils n’auraient jamais pu rêver chez eux.
Cependant, les rêves de la majorité de ces migrants se brisent souvent. L’Europe les qualifie de migrants « illégaux », mais d’autres affirment que la recherche d’asile pour des raisons politiques ou humanitaires, y compris économiques, est on ne peut plus légale selon les conventions et lois internationales sur les droits de l’homme.
La Libye n’est ni l’origine ni la cause du problème migratoire, mais est malheureusement prise au milieu d’un réseau international de migration et d’un modèle de trafic d’êtres humains qui commence et s’étend à toute l’Afrique subsaharienne vers le sud et au-delà jusqu’au Bangladesh.
Les centres de rétention en Libye sont surpeuplés et les autorités ont du mal à faire face aux exigences minimales en matière d’hébergement, de nourriture et de médicaments
Dans les pays subsahariens, des recruteurs gagnent de l’argent en recrutant des migrants potentiels. La ville d’Agadez dans le nord du Niger est une célèbre plaque tournante utilisée par les trafiquants africains.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui surveille les points de contrôle, environ 270 000 personnes sont passés par Agadez en direction de la Libye entre février et fin septembre 2016.
La principale raison pour laquelle les migrants préfèrent se rendre en Europe depuis le nord-ouest de la Libye est purement géographique. L’île italienne de Lampedusa se situe à moins de 300 km de Tripoli.
Le réseau des passeurs
Certaines parties du modèle de trafic international sont actives en mer Méditerranée et sur les rives sud de l’Europe au nord. Un réseau de contrebandiers comprenant des citoyens maltais et italiens ainsi que des Libyens a récemment été démasqué pour avoir introduit clandestinement du pétrole raffiné bon marché de Libye vers le sud de l’Europe, en utilisant la même voie et les mêmes moyens que le trafic de migrants.
Ces révélations sont survenues après le récent assassinat d’une journaliste maltaise qui enquêtait sur les opérations illégales. La mafia malto-italienne accusée d’avoir assassiné la journaliste avait apparemment un partenaire libyen, bien connu pour sa contrebande de carburant et son activité de passeur, actuellement en état d’arrestation à Tripoli.
Oui, il y a des trafiquants d’êtres humains libyens qui exploitent le vide sécuritaire pour gagner de l’argent en mettant des migrants sur des bateaux en direction de l’Italie. Cependant, ceux-ci disparaîtront facilement une fois que la sécurité aura été améliorée par un gouvernement central fort en Libye, qui commencera à reprendre le contrôle de ses frontières.
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Le commissaire européen aux droits de l’homme, Nils Muiznieks, a récemment écrit au gouvernement italien que l’Italie violerait la Convention européenne des droits de l’homme si elle jouait un rôle direct dans le retour des migrants secourus en mer en Libye, où, selon le commissaire, ils risquent la torture et des traitements inhumains.
L’Italie a également été récemment critiquée pour avoir conclu des accords avec des groupes armés en Libye accusés d’être impliqués dans le trafic de migrants. Ces mêmes groupes auraient reçu des pots-de-vin pour empêcher les bateaux de quitter la Libye en échange d’aide, de hangars pour avions et d’argent de la part de l’Italie.
Soudoyer les groupes accusés de tirer profit du trafic de migrants et d’être l’une des causes de l’instabilité, de la violence et des conflits en Libye est le reflet d’une politique migratoire européenne chaotique.
Le nombre de migrants traversant la Libye vers l’Italie a en effet fortement diminué en septembre 2017 par rapport à septembre 2016. Cependant, le nombre de passages depuis la Tunisie et l’Algérie a augmenté, bien qu’ils restent insignifiants par rapport à la Libye.
À la suite de cette brusque réduction, le nombre de migrants renvoyés sur la côte libyenne ou déjà bloqués en Libye a considérablement augmenté.
Punir la Libye
Les centres de rétention en Libye sont surpeuplés et les autorités libyennes ont du mal à faire face aux exigences minimales en matière d’hébergement, de nourriture et de médicaments.
La Libye, au cours des six dernières années, a connu un conflit majeur et un manque d’institutions étatiques de base. La population libyenne dans son ensemble souffre de conditions socio-économiques difficiles.
La dernière chose dont la Libye a besoin, c’est que l’Europe continue de l’accabler en renvoyant des dizaines de milliers de migrants étrangers et s’attende à ce que la Libye constitue un foyer temporaire ou permanent pour eux, exacerbant ainsi une situation déjà désastreuse.
La Libye est effectivement punie simplement en raison de sa situation géographique en tant que route migratoire la plus commode, et de son absence de gouvernement central fort capable de faire face au problème.
L’Europe est en partie responsable de ce dernier point, car de nombreux grands pays européens – dont l’Italie et la France – ont tourné le dos au peuple libyen à la fin de la révolution en 2011.
Solutions de fortune
L’Europe a simplement cherché des solutions de fortune tandis que les gouvernements impopulaires essayaient de gérer leurs échecs en matière de politique migratoire. Ces gouvernements n’investissent pas en temps ni en ressources dans une solution permanente en s’attaquant aux causes profondes du problème migratoire.
L’une des causes profondes du problème est l’énorme fossé existant entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe en matière de développement humain.
Selon le Center for Global Development, un think tank de Washington DC, le flux d’Africains qui risquent tout pour une vie meilleure en Europe continuera. Le centre fait valoir qu’à mesure que les pays pauvres se développent, les taux de migration tendent à augmenter jusqu’à ce que le PIB annuel par personne atteigne 7 000-8 000 dollars. La plupart des pays africains sont bien plus pauvres que cela : par exemple, le revenu par habitant en Gambie n’est que d’environ 500 dollars par an.
La dernière chose dont la Libye a besoin, c’est que l’Europe continue de l’accabler en renvoyant des dizaines de milliers de migrants étrangers supplémentaires et s’attende à ce que la Libye constitue un foyer temporaire ou permanent pour eux
Paradoxalement, alors que l’Europe refuse l’entrée à des centaines de milliers d’Africains pauvres non qualifiés, elle mène également une politique à deux niveaux dans laquelle elle privilégie les Africains hautement qualifiés et instruits (médecins, ingénieurs, infirmières, etc.), leur accordant des visas pour migrer et travailler en Europe. Une telle politique exacerbe en fait la fuite des cerveaux d’un continent africain qui souffre déjà et entrave son développement.
Ce qu’il faut, c’est une approche holistique à long terme pour résoudre le problème des migrations internationales, dans laquelle l’hémisphère nord extrêmement riche commence à aider les pays pauvres d’Afrique subsaharienne à se développer véritablement, à travers le renforcement des capacités et la croissance économique permettant la création d’emploi et l’amélioration du niveau de vie.
Ce n’est qu’alors qu’il y aura une solution permanente et durable à un problème mondial. La solution n’est certainement pas d’exploiter les faiblesses actuelles de la Libye et d’utiliser le pays comme une arrière-cour pour se débarrasser et enterrer un problème et une responsabilité essentiellement européens.
- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des migrants sur le port commercial de Tripoli avant leur transfert vers un centre de détention à Tripoli, le 22 octobre 2016 (AFP).
Traduit de l'anglais (original) par VECTranslation.
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