EN IMAGES : À Mossoul, dans les coulisses des reconstructions d’al-Nouri et de Notre-Dame-de-l’Heure
La rive occidentale de Mossoul, bastion du groupe État islamique (EI) en Irak, a été le théâtre de très violents combats entre octobre 2016 et juillet 2017. Il aura fallu neuf mois d’une guerre totale menée par l’armée irakienne – épaulée par les forces de la coalition menée par les États-Unis, les peshmergas kurdes et les milices des Hachd al-Chaabi – pour déloger les combattants de l’EI, retranchés dans la vieille ville.
Un épisode extrêmement meurtrier : selon une enquête d’Associated Press qui cite des chiffres publiés par plusieurs ONG, entre 9 000 et 11 000 civils auraient été tués lors de ces seuls neuf mois de guerre.
Quatre ans plus tard, les traces de ces combats acharnés sont encore partout. Et si récemment de nombreux commerces ont pu rouvrir, les quartiers les plus touchés demeurent inhabitables.
Durant la reprise de Mossoul, la bataille pour la rue al-Farouk, axe stratégique au cœur de la vieille ville, a été âpre. Dans cette artère, derrière des mètres de gravas, apparaît ce qu’il reste de la mosquée al-Nouri.
Construite en 1172 sur les ordres de Noureddine al-Zinki – ancien sultan d’Égypte et de Syrie –, de qui elle tient son nom, elle a été détruite puis rebâtie en 1942.
Al-Nouri devait sa renommée mondiale à son minaret penché, qui a poussé les Mossouliotes à la surnommer affectueusement « al-Hadba », la bossue en arabe.
Le mercredi 21 juin 2017, au moment de leur retraite, les combattants de l’État islamique ont fait exploser une grande partie du site.
Sur les palissades qui protègent désormais al-Nouri, deux photos ont été placardées par les équipes de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), en charge de la réhabilitation du lieu : une antérieure à l’occupation de l’EI (à droite), et une juste après la reprise de la ville.
Si aujourd’hui la cour est dégagée, les équipes de l’UNESCO, quand elles ont pénétré sur le site en février 2019, avouent avoir été « dévastées ».
Omar Taqa, un Mossouliote de 30 ans, est responsable de projet pour l’organisation onusienne. Il témoigne à Middle East Eye : « J’ai été extrêmement triste la première fois où je suis entré. Tout était à l’envers, l’extension de la mosquée était à terre, le minaret également. Nous avons extrait 5 600 tonnes de gravats, ainsi que 11 IED [engins explosifs improvisés] qui n’avaient pas explosé. Ils voulaient faire sauter l’ensemble du site, mais ils n’ont pas réussi, ce qui nous a permis de sauver une petite partie de la salle de prière. »
Avec la chute du minaret, c’est un monument de la culture islamique qui a volé en éclats. Les Mossouliotes, eux, sont d’autant plus inconsolables qu’ils ont longtemps espéré que le site soit épargné.
Les équipes de l’UNESCO rapportent que l’État islamique a fait sauter le site « alors que les forces armées irakiennes n’étaient qu’à une centaine de mètres, et que ces dernières voyaient très distinctement le minaret ».
Omar Taqa, qui vivait sur l’autre rive de Mossoul, s’est précipité depuis un point de vue quand il a appris la nouvelle de l’explosion. « Cela a été très dur. Sans ce minaret penché, Mossoul n’était définitivement plus la même », rapporte-t-il.
À l’intérieur de ce qu’il reste de la salle de prière, le coordinateur de l’UNESCO montre du doigt le lieu où Abou Bakr al-Baghdadi fit sa première apparition publique le 5 juillet 2014 – derrière le pilier en rénovation visible sur l’image, à environ quatre mètres de hauteur. Ce jour-là, selon les témoignages, entre 200 et 300 hommes armés se tenaient autour et dans la mosquée, et les réseaux téléphoniques et internet étaient coupés.
Les images de propagande tournées par Al-Furqan, la « maison de production » officielle de l’EI, faisaient le tour du monde. Le « Califat » était né, et la mosquée al-Nouri était devenue dans l’inconscient collectif le sanctuaire de la terreur.
« C’est certainement pour cette raison qu’ils [l’État islamique] l’ont fait sauter avant d’être défaits. Parce que cette mosquée avait une grande valeur symbolique pour eux. C’est notre histoire et notre patrimoine qu’ils ont saccagés », poursuit Omar Taqa. Les colonnes de la salle de prière, en marbre de Mossoul, sont tombées en pièces sur le sol. Elles pourront ainsi, presque miraculeusement, être reconstruites à l’identique.
Le minaret, après son explosion, s’est effondré. Là encore, certaines briques ont pu être récupérées, ce qui permettra une reconstruction à l’identique.
Si pour l’heure, l’édifice qui le supporte ne compte qu’une vingtaine de mètres de hauteur, il culminera à 55 mètres à la fin des travaux en 2023.
« L’UNESCO a organisé une concertation avec de nombreux Mossouliotes, qu’ils vivent encore ici, soient déplacés ou réfugiés. Ils se sont prononcés à 95 % pour que le minaret soit reconstruit incliné, comme il l’était avant », explique Omar Taqa à MEE.
Ce dernier ne manque pas de préciser que les escaliers de ce minaret sont également particuliers : « Il y en a deux. Celui qui monte ne peut pas voir celui qui descend. »
Dans le quartier, les habitants sont enthousiastes à l’idée de voir leur mosquée renaître de ses cendres. Si les délais sont tenus, les travaux se termineront à la fin de l’année 2023.
En attendant, le 17 octobre dernier, plusieurs centaines de personnes ont été autorisées à se rassembler dans la cour de la mosquée à l’occasion des célébrations du Mawlid al-Nabi, l’anniversaire du prophète de l’islam, Mohammed.
À quelques centaines de mètres de là, l’église latine Notre-Dame-de-l’Heure compte parmi les quatorze édifices religieux de différentes confessions chrétiennes basés dans la vieille ville de Mossoul.
Située à l’intersection de deux axes majeurs, elle a été construite sous l’impulsion des frères dominicains – connus aussi sous le nom d’ordre des Prêcheurs, créé en 1215 – entre 1856 et 1873, par des chrétiens et des musulmans mossouliotes. Depuis, son clocher surplombe Mossoul-Ouest.
C’est en réalité un complexe important, qui compte, en plus de l’église latine de style romano-byzantin, un couvent. Une partie importante du site a été détruite ou lourdement endommagée durant l’occupation de l’EI.
Le chantier de réhabilitation, là aussi mené par l’UNESCO, n’a pu débuter qu’en septembre 2020, après un gros travail de sécurisation effectué par l’armée irakienne.
Le Mossouliote Omar al-Taweel, coordinateur du projet, explique à MEE : « J’ai été choqué et très peiné la première fois où j’ai pu pénétrer à nouveau ici. Les vitraux, les horloges et une partie de l’édifice avaient été détruits. Nous avons déblayé 1 530 tonnes de gravats. Cela en dit long sur la période très sombre que Notre-Dame-de-l’Heure venait de subir. »
Car Notre-Dame-de-l’Heure est un lieu saturé d’histoire : elle est connue pour avoir abrité la première horloge de Mésopotamie, un cadeau fait en 1881 aux chrétiens d’Irak par l’impératrice Eugénie, la femme de Napoléon III.
Le frère Olivier Poquillon, prêtre dominicain français, connaît particulièrement bien les lieux depuis une vingtaine d’années : « Cette horloge, la première de la région, a fait la fierté de tous les Mossouliotes. D’ailleurs, elle a donné son nom au quartier, appelé par ses habitants ‘’al-Saa’a’’, l’heure en arabe. »
Peu après leur arrivée, les combattants de l’État islamique ont détruit les quatre horloges. Aujourd’hui encore, nous pouvons apercevoir un trou béant à l’endroit de leur emplacement (au centre sur la photo), sur le campanile.
Mais la longue histoire de Notre-Dame-de-l’Heure ne s’arrête pas à l’horloge, puisque le site, comme le rappelle à MEE Olivier Poquillon, a accueilli la première école pour filles peu après sa construction : « Rapidement, les frères dominicains, qui manquaient de livres, ont fait venir par chameau et par bateau tout le nécessaire pour les imprimer ici. C’est ainsi que la première imprimerie de Mésopotamie a vu le jour. C’est en ces murs qu’ont été imprimés la première Bible en arabe, la première grammaire kurde, puis tout un tas de manuels. »
Cette imprimerie lithographique, créée dès 1857, sera détruite par les Ottomans durant la Première Guerre mondiale, en 1915.
À leur entrée en septembre 2020, Omar al-Taweel (sur la photo) et les équipes de l’UNESCO ont trouvé des gilets pare-balles, des vêtements criblés du logo de l’EI, des ceintures d’explosifs, des armes…
Le nombre impressionnant d’impacts de balles et la présence de manuels d’instruction militaire laissent deviner que le lieu a servi de camp d’entraînement. Les témoignages recueillis auprès des Mossouliotes qui ont pu rester sur place concordent : le groupe État islamique aurait installé un tribunal au cœur même de l’église.
Les équipes de l’UNESCO rapportent avoir enlevé un certain de nombre de cordes accrochées aux fenêtres, laissant imaginer que le pire s’était produit ici. « Si l’église a été sauvée et qu’elle n’a pas été totalement détruite, c’est uniquement parce qu’ils utilisaient ce lieu pour leurs œuvres macabres », ajoute Omar al-Taweel.
Ici, un des couloirs du couvent qui n’a pas été détruit. En plus des traces de balles et des dégâts sur les murs, les ouvriers ont eu beaucoup de mal à enlever les drapeaux frappés du sigle de l’EI sans endommager encore un peu plus les murs.
Entre al-Nouri et Notre-Dame-de-l’Heure, plusieurs centaines de travailleurs ont été engagés, à 95 % des habitants de Mossoul. « Il y a des chrétiens et des musulmans qui travaillent main dans la main. C’est aussi un message de paix pour le monde, les Mossouliotes reconstruisent leur ville », conclut Omar al-Taweel. Fin des travaux également prévue en 2023.
Dans les rues, les Mossouliotes se montrent autant enthousiastes qu’impatients, motivés par une irrépressible envie de tourner la page. « Nous en avons besoin, et vite. C’est important pour tout le monde », déclare un commerçant à MEE.
Inclus dans le projet « Faire revivre l’esprit de Mossoul » – qui comprend en outre la réhabilitation de l’église chaldéenne al-Tahira, ces travaux sont financés entièrement par les Émirats arabes unis, à hauteur de 50,4 millions de dollars.
L’UNESCO entend rapidement permettre « le redressement et la reconstruction de la ville, par l’éducation, le patrimoine et la culture ».
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