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Miraculée de la bataille de Mossoul, l’église Saint-Thomas n’attend plus que ses fidèles 

L’église Saint-Thomas célèbrera sa première messe de Noël depuis la chute de l’État islamique en juillet 2017. Son prêtre depuis 50 ans, Pios Affas, conserve l’inlassable espoir que ses fidèles reviennent s’installer un jour dans cette cité meurtrie
Le prêtre Pios Affas, gardien de Mar Toma depuis près de 50 ans, admire son église réhabilitée, trois ans et demi après la chute du groupe État islamique dans la vieille ville de Mossoul, en Irak (MEE/Sarah-Samya Anfis)
Par Sarah-Samya Anfis à MOSSOUL, Irak 

« Pour la première fois depuis la libération de la vieille ville, nous allons célébrer une messe le lendemain de Noël, ma joie est immense », déclare d’un ton solennel Pios Affas, le prêtre de « la miraculée de Mossoul », l’église Saint-Thomas (Mar Toma), dont il est le gardien depuis près de 50 ans.

L’événement coïncide avec la fin des travaux de réhabilitation de l’édifice chrétien soutenus par l’ONG française Fraternité en Irak.

Trois ans après le départ du groupe État islamique (EI), la vieille ville de Mossoul offre toujours le même spectacle de désolation, des rives du fleuve du Tigre à la rue al-Farouq, autrefois ornée de commerces et de cafés où les Mossouliotes se donnaient rendez-vous quotidiennement.

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Dans un paysage toujours figé dans les ruines et les immeubles éventrés par les bombardements, Pios Affas garde l’espoir de voir les quelque 250 familles chrétiennes qui peuplaient Mossoul avant l’arrivée de l’EI revenir s’installer dans leur cité meurtrie. Aujourd’hui, il ne resterait plus qu’une trentaine de familles chrétiennes, principalement installées sur la rive gauche, à Mossoul-Est.

« Avec cette messe, j’ai l’espoir que les chrétiens remplissent de nouveau nos églises et reviennent s’installer à Mossoul. Je ne serai sans doute plus de ce monde, mais j’ai l’intime conviction que ce jour viendra. »  

Depuis la chute du califat autoproclamé de l’EI dans sa ville, vaincu par les forces de sécurité irakiennes et la coalition internationale dirigée par les États-Unis, le prêtre, âgé de 82 ans, n’a pas ménagé ses efforts pour réhabiliter son église, avec l’appui des habitants et des artisans locaux.

« Les djihadistes avaient peint des ronds noirs sur les murs de l’église pour placer des dynamites et la faire exploser avant leur chute. Mais par miracle, ils n’ont pas réussi à temps et Mar Toma est la seule toujours debout dans la vieille ville »

-  Pios Affas, prêtre de l’église Saint-Thomas

Mar Toma est le seul édifice chrétien resté debout après la bataille qui a emporté près de 90 % de la vieille ville de Mossoul. Pourtant, l’église a failli connaître le même sort que la Grande Mosquée al-Nouri, quelques rues plus loin. Ce monument du XIIe siècle, trésor historique de Mossoul, a été dynamité par l’État islamique lors de la bataille finale en juin 2017. Le groupe a également fait exploser, quelques mètres plus loin, le minaret penché surnommé « la tour de Pise irakienne ».

« Les djihadistes avaient peint des ronds noirs sur les murs de l’église pour placer des dynamites et la faire exploser avant leur chute. Mais par miracle, ils n’ont pas réussi à temps et Mar Toma est la seule toujours debout dans la vieille ville. » 

Cicatriser les plaies de Saint-Thomas 

Pour autant, cette église, qui aurait, selon la tradition, été bâtie sur l’emplacement de la maison où l’apôtre Thomas aurait reçu l’hospitalité au cours de son voyage vers l’Inde, n’a pas été épargnée par l’EI.

Mar Toma, qui comprend également un centre d’études bibliques, une bibliothèque et un musée du patrimoine culturel et religieux de Mossoul, a été vandalisée, pillée et incendiée.

« Les djihadistes ont détruit les statues, les croix et ont brûlé les icônes des saints, mais aussi des centaines de manuscrits, des livres et des œuvres sacrés », déplore le prêtre.

Un ouvrier irakien nettoie les décombres lors de la reconstruction de la Grande Mosquée al-Nouri de Mossoul, le 15 décembre 2019 (AFP)
Un ouvrier irakien nettoie les décombres lors de la reconstruction de la Grande Mosquée al-Nouri de Mossoul, le 15 décembre 2019 (AFP)

Peu après la libération de la ville, Pios Affas s’est vite rendu sur le site pour constater les dégâts et a découvert, incrédule, que la voûte de la nef principale avait été partiellement détruite par un bombardement. Les trois autels en marbre avaient, quant à eux, été pulvérisés par l’EI. 

« Ces autels ont été faits à partir d’un marbre originaire de Mossoul, c’est notre savoir-faire local. Les autels étaient en mille morceaux sur le sol, j’ai cru devenir fou en voyant ça. Par miracle, un ingénieur français de l’ONG Fraternité en Irak a réussi à reconstituer deux des trois autels à partir des milliers de morceaux éparpillés sur le sol », explique le prêtre à Middle East Eye.

« Le troisième est incomplet mais nous avons souhaité le garder ainsi pour que les gens se souviennent que cet autel dédié à Saint-Joseph a été démoli. Par qui ? Par Daech [l’EI]. On doit garder en mémoire que ces djihadistes sont passés par là. »

Ce jour-là, Pios Affas et des fidèles installent l’icône de l’Ascension en amont de l’autel central. Brûlées par ses occupants, les icônes de Saint-Thomas, de Saint-Joseph et de l’Ascension dominent de nouveau les trois autels de l’église grâce à ce prêtre 2.0.

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« J’ai trouvé des images en haute résolution sur internet, je les ai enregistrées et transmises à un imprimeur de Mossoul pour qu’il en fasse de grands tableaux », dit-il d’un air malicieux.

Le père Pios est l’un des derniers chrétiens à avoir quitté Mossoul, après le prêche fondateur d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’organisation État islamique, dans la mosquée al-Nouri en juin 2014. 

Pendant le « califat » éphémère de l’EI, le prêtre a été contraint de fuir à Erbil, ville située à 80 kilomètres au sud-est de Mossoul, considérée comme la capitale de la région autonome kurde d’Irak.

« C’était dur pendant trois ans. L’exil et la dépression. Mais pas au point de perdre tout, j’avais une certaine ténacité, une patience », raconte-t-il.

« J’ai relancé le centre d’études bibliques dans le quartier chrétien d’Erbil, j’ai donné des cours à des étudiants et ils ont été diplômés à Qaraqosh un an après la guerre. C’était une période difficile mais l’enseignement m’a redonné goût à la vie », confie-t-il.

Les musulmans au chevet de Saint-Thomas 

Après la libération de la rive ouest de Mossoul le 9 juillet 2017, le père Pios Affas a pu compter sur le soutien des artisans musulmans, issus du voisinage proche, pour réhabiliter l’église et soigner les maux d’une absence longue de trois ans.

Comme des milliers d’autres Mossouliotes, ces artisans musulmans ont vécu sous le règne de l’EI et ont été témoins, malgré eux, des exactions commises au cœur de l’église Saint-Thomas. 

« Je suis né ici, les chrétiens sont nos frères depuis toujours. Nous avons été si tristes quand Daech est arrivé et les a chassés de chez eux »

- Ramzi Hamdi, gardien de Saint-Thomas

Dans la grande cour, le prêtre donne une poignée de main chaleureuse à Ramzi Hamdi, le gardien de l’église. Ce père de famille âgé de 33 ans, qui vit toujours à quelques rues de là, garde un œil sur la miraculée de sa cité, en l’absence de ses fidèles.

« Je suis né ici, les chrétiens sont nos frères depuis toujours. Nous avons été si tristes quand Daech est arrivé et les a chassés de chez eux », déclare-t-il à MEE.

Pendant trois ans, Ramzi a guetté discrètement les activités de l’EI dans l’église. 

« Quand les hommes de Daech vivaient ici, ils endoctrinaient des enfants de moins de 10 ans dans l’église. Ces gamins arrivaient dans des camions couverts, les djihadistes ne voulaient pas qu’on voie ces enfants entassés dans leurs camionnettes, très certainement arrachés de leurs familles. Des djihadistes français les éduquaient pour qu’ils soient prêts à faire le djihad », affirme le jeune Mossouliotte.

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« Je n’étais pas au courant de ça », lâche le père Pios, surpris. 

Le gardien détaille davantage les activités des membres de l’EI. En plus d’avoir pillé 5 000 pièces du musée, ils auraient fait de l’édifice un lieu de stockage pour le mobilier et les objets volés dans les maisons chrétiennes de la vieille ville. 

De son côté, le prêtre raconte qu’il a appris par un artisan venu installer des échafaudages pendant les travaux que l’église aurait été un point administratif de la « hisba », la police des mœurs de l’EI.

« L’artisan est venu me parler des travaux puis il m’a dit : ”Je connais bien cette église. La hisba de Daech m’a emprisonné ici trois jours parce que j’avais fumé des cigarettes dans la rue !” »

Pios Affas, stupéfait, lui explique alors que son cachot était l’une des chambres des prêtres de l’église. 

Lors de l’assaut final des forces irakiennes et de la coalition internationale visant à arracher la vieille ville de Mossoul aux mains de l’EI en juin 2017, Jérémy André, ancien correspondant de L’Orient-Le Jour et de La Croix en Irak, a été l’un des premiers à avoir pu pénétrer dans l’église Mar Toma libérée aux côtés des forces spéciales irakiennes.

« La coalition avait reçu une liste de bâtiments sacrés à ne surtout pas frapper, en particulier des églises. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Daech établissait des bases militaires dans des lieux saints »

- Jérémy André, journaliste

En entrant dans l’édifice dévasté et noyé sous les cadavres de combattants de l’EI, le reporter a pu constater l’appareil militaire présent sur place.

« En pénétrant dans une petite cour, j’ai jeté un coup d’œil à une pièce entrouverte qui débordait de matériel militaire : des munitions, des vestes tactiques et peut-être des explosifs y étaient stockés », détaille-t-il à MEE.

« Je sais que la coalition avait reçu une liste de bâtiments sacrés à ne surtout pas frapper, en particulier des églises. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Daech établissait des bases militaires dans des lieux saints. »

Avant Daech, al-Qaïda 

Pios Affas fait de longues pauses sur sa chaise en plastique qu’il prend toujours soin de placer au centre d’un espace, que ce soit dans l’église ou la cour extérieure. En dépit de son âge avancé, il a coordonné les travaux, signé les devis et porté des matériaux, parfois lourds, pour remettre son église sur pied.

Devant le spectacle de désolation qu’offrent toujours les espaces jouxtant l’église, « Abouna » (père) Pios raconte, les yeux brillants, la vie dynamique des lieux avant l’arrivée de l’EI : les étudiants absorbés dans leurs lectures dans la bibliothèque du centre d’études bibliques, ou encore la troupe de visiteurs venus admirer le mobilier et les habits traditionnels de leurs ancêtres dans le musée du patrimoine mossouliotte.

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Mais le prêtre se remémore d’autres moments sombres, antérieurs à l’arrivée de l’EI. Alors que l’Irak se déchirait dans le sang des guerres interconfessionnelles entre sunnites et chiites, le prêtre est enlevé et pris en otage par al-Qaïda à Mossoul en 2007. 

Pios Affas était en visite chez une famille du quartier avec un jeune prêtre qui venait d’être ordonné 40 jours plus tôt lorsque les deux hommes ont été kidnappés.

« Pendant notre détention, la première chose que j’ai faite, c’est lui demander l’absolution car nous étions en danger de mort immédiate, on s’attendait à être martyrisés et à mourir. C’était la première fois qu’il faisait l’absolution, il n’avait pas eu l’occasion de confesser quelqu’un puisqu’il était tout jeune prêtre », confie-t-il avec humour.

« Le jour de notre libération, nous nous sommes précipités à l’église pour sonner les cloches et célébrer la messe, c’était un dimanche. Tous les chrétiens de Mossoul nous attendaient à l’église pour célébrer notre libération et prier avec nous pendant la messe », poursuit-il, ému. 

« J’espère que [le pape François] appellera tous les chrétiens de Mossoul à revenir s’installer ici après des années d’exil. Mossoul ne peut pas se reconstruire sans ses chrétiens »

- Père Pios

Récemment, une nouvelle a bousculé l’agenda du prêtre, déjà bien surchargé en raison des travaux dans l’église ces derniers mois. Le pape François a annoncé sa venue en Irak du 5 au 8 mars prochains et fera une tournée marathon d’Erbil à Mossoul, en passant par la capitale Bagdad.

« J’espère que les travaux seront définitivement terminés pour la venue du pape. Le toit de l’église a été refait et solidifié, c’est le seul bâtiment capable d’accueillir l’hélicoptère du pape avec un atterrissage sécurisé », affirme Pios Affas avec une pointe de fierté.

Le religieux aimerait que la visite du souverain pontife incite les chrétiens irakiens qui ont fui les violences dans leur pays à rentrer chez eux.

« Il visitera des églises détruites et peut-être celle-ci. Tout sera prêt pour l’accueillir. J’espère que le pape François viendra dans mon église et qu’il la bénira pour son renouveau, et celui de la vieille ville de Mossoul. J’espère qu’il appellera tous les chrétiens de Mossoul à revenir s’installer ici après des années d’exil. Mossoul ne peut pas se reconstruire sans ses chrétiens. »

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