Les minorités au Moyen-Orient : l’éternel recommencement ?
Quand on parle de minorités au Moyen-Orient, l’expression doit être entendue au sens le plus large puisqu’il s’agit à la fois des non Arabes (Kurdes, Arméniens, Assyriens, Nubiens), des non musulmans (chrétiens, juifs, bahá’ies, yézidis), ainsi que des non sunnites (chiites, druzes, ismaéliens, alaouites, ahmadis, etc.).
Il est à souligner, s’agissant de ces minorités qui se retrouvent à nouveau en danger, que nous ne sommes pas là en présence de communautés récemment établies dans la région et qui seraient issues de mouvements migratoires. Ce sont des communautés endogènes qui appartiennent à l’histoire même de la Mésopotamie et de toute la région et leurs membres en sont le plus souvent peuples autochtones.
Les chrétiens d’Irak, assyriens et chaldéens, considérés parmi les plus anciennes communautés chrétiennes dans le monde, habitent la plaine de Ninive depuis près de deux millénaires. Bien qu’ils aient majoritairement eu le temps de s’enfuir avant l’arrivée du groupe État islamique (EI) en 2014, ils sont pourchassés, exilés et dispersés partout dans le monde.
Alors qu’ils ont tout perdu et se sentent totalement oubliés, que leur présence en Irak est aujourd’hui si fragilisée, on se pose des questions sur la survie même, à long terme, de la chrétienté dans ce pays.
« Ce qui se passe actuellement est le résultat de décennies de manque de protection des coptes qui a fait d’eux une cible facile »
- Makarios Lahzy, avocat et militant copte des droits humains
La situation des chrétiens d’Égypte, en majorité coptes-orthodoxes, est loin d’être meilleure. Pour Makarios Lahzy, avocat et militant copte des droits humains, « les agressions contre les coptes d’Égypte se répètent depuis plusieurs décennies, notamment à travers des attentats sanglants contre des églises, nourris en grande partie par un discours haineux envers les chrétiens égyptiens, de plus en plus banalisé, distillé dans les médias et à travers les réseaux sociaux ».
Il ajoute que « la situation change en fonction de nombreux facteurs : la situation politique, le bien-être économique et les discours religieux aussi bien islamique que chrétien. Ce qui se passe actuellement est le résultat de décennies de manque de protection des coptes qui a fait d’eux une cible facile ».
Le massacre des yézidis
Alors que les chrétiens d’Orient sont ciblés à intervalles depuis plusieurs décennies, les yézidis ont connu une énième agression de grande ampleur, souvent qualifiée de génocide, par les combattants de l’EI, en août 2014.
Une série de tueries commises par les djihadistes contre les populations yézidies a eu lieu à Sinjar (nord-ouedt de l’Irak). Lors de ces événements, les hommes ont été systématiquement exécutés tandis que des milliers de femmes et d’enfants ont été en majorité enlevés et convertis de force à l’islam.
Des centaines de femmes et de jeunes filles ont été réduites à l’esclavage sexuel et les jeunes garçons, enrôlés de force comme enfants soldats.
L’histoire des yézidis, adeptes d’un système religieux syncrétique, est une longue suite de persécutions. Il ne resterait plus que quelques dizaines de milliers de yézidis dans tout l’Irak contre plus de 300 000 avant la guerre.
Réfugiés dans la région kurde autonome d’Irak ou poussés à l’exil en Europe, leur présence plusieurs fois millénaire en Irak est en train de s’effacer petit à petit.
En effet, pour Ali Sedo Rasho, auteur et militant yézidi résident en Allemagne, « les yézidis ont subi plusieurs campagnes de nettoyage ethnique à travers leur histoire et l’horrible agression perpétrée par les éléments de Daech en août 2014 semble être une répétition de ce qui s’est déjà produit à maintes reprises de par le passé ».
« La différence réside dans la grande médiatisation qui a suivi l’émergence de l’État islamique ainsi que de la prise en otage de centaines de femmes yézidies réduites à l’état d’esclaves sexuelles par cette organisation ».
« Les Yézidis ont subi plusieurs campagnes de nettoyage ethnique à travers leur histoire »
- Ali Sedo Rasho, auteur et militant yézidi
En Iran, depuis la révolution islamique de 1979, une minorité religieuse est particulièrement la cible des autorités : les bahá’ies. Bien que les bahá’ies soient la plus grande minorité non musulmane d’Iran, ils ne sont pas officiellement reconnus comme une minorité dans la Constitution.
Depuis leur apparition, il y a un plus d’un siècle, ils font l’objet d’une persécution féroce en Iran. Après la révolution islamique de 1979, des institutions administratives bahá’ies ont été attaquées, leurs membres arrêtés, portés disparus ou exécutés.
Les persécutions des bahá’ies en Iran
Plus de 200 bahá’ies ont été exécutés en 1979. Selon un universitaire bahá’ie qui a requis l’anonymat, « depuis cette période, ils sont confrontés à de nombreuses discriminations et persécutions. Ils sont régulièrement arrêtés, détenus, torturés et emprisonnés ».
« Ils sont privés d’accès à l’université et sont licenciés du secteur public. Même quand ils lancent leur propre entreprise, les magasins des bahá’ies sont régulièrement fermés. Beaucoup de leurs avoirs ont été confisqués et leurs lieux sacrés profanés. Ils sont vilipendés et confrontés au discours de la haine aussi bien par le biais des médias traditionnels que sur les réseaux sociaux. Au cours des dernières années, le gouvernement s’est davantage employé à étouffer économiquement et culturellement la communauté bahá’ie. »
En Arabie saoudite, la minorité chiite souffre toujours de discrimination sociale, économique et politique. Les chiites sont sous-représentés dans les postes liés à la sécurité nationale, notamment au sein du ministère de la Défense, du ministère de l’Intérieur et de la Garde nationale, ainsi que dans les établissements d’enseignement.
Un très petit nombre de chiites occupent des postes de haut niveau dans les entreprises d’État et dans des organismes gouvernementaux. Plusieurs notables de la communauté chiite sont régulièrement exécutés, parmi lesquels l’éminent religieux Nimr al-Nimr dont l’exécution en janvier 2016 a suscité une grande indignation.
En mai et octobre 2015, des attentats-suicides ont tué des dizaines de fidèles chiites dans des mosquées et des salles de congrégation dans les localités de Dammam, Qatif et Najran, peuplées majoritairement de chiites.
Ainsi, ce qui est frappant dans le cas de ces minorités aussi bien ethniques – pensons notamment aux Kurdes – que religieuses au Moyen-Orient, c’est que l’histoire semble se répéter si cruellement et que la diversité est de plus en plus menacée.
En mai et octobre 2015, des attentats-suicides ont tué des dizaines de fidèles chiites dans des mosquées et des salles de congrégation en Arabie saoudite
Les États de la région, dont la plupart ont été bâtis selon le paradigme de l’État-nation, sont désormais appelés à revoir leur approche des minorités et bâtir un modèle plus inclusif afin de pouvoir prévenir les conflits et éviter de nouvelles crises susceptibles de mettre en péril des pans entiers au sein des différentes sociétés.
Par ailleurs, cette démarche, désormais perçue comme une sanction, est vécue comme une sorte d’injustice au regard des efforts consentis par les États de la région dans leur lutte contre le terrorisme. Elle s’apparente de plus en plus à une volonté de la France de distribuer les bons et les mauvais points, et ses conclusions sont de plus en plus décriées.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des fillettes irakiennes, chrétiennes chaldéennes, brandissent une icône représentant la Vierge Marie tenant l’enfant Jésus lors d’une messe de première communion chez les apôtres Pierre et Paul, dans l'église catholique chaldéenne à Erbil, capitale de la région kurde autonome d’Irak (AFP).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].