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« J’ai découvert des corps éparpillés » : au moins 100 morts dans une attaque au gaz en Syrie

L’opposition demande une enquête de l’ONU sur une attaque contre Khan Sheikhun, près d'Idleb, alors que des rapports signalent que du gaz sarin aurait été utilisé
Un infirmier porte une victime de l'attaque chimique à Idleb, le 4 avril 2017 (Reuters)

Jusqu'à cent personnes, dont des enfants, selon les secours, ont été tuées et des centaines d’autres ont été intoxiquées ce mardi lors d’une frappe aérienne qui a relâché des « gaz toxiques » dans une ville du nord-ouest de la Syrie.

Des témoins ont évoqué des corps éparpillés dans une zone résidentielle de la ville de Khan Sheikhun (Idleb), après la dispersion tôt ce matin de ce que les médecins et spécialistes pensent être un puissant agent neurotoxique tel que le gaz sarin.

J’ai découvert des corps éparpillés dans toute la zone […] les victimes étaient en grande majorité des civils – Ibrahim al-Seweid, un témoin

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a déclaré que de nombreuses victimes étaient mortes d’asphyxie et des effets du gaz.

Suite à l’attaque, de nombreuses victimes suffoquaient et avaient de l’écume à la bouche, ont déclaré les secouristes. Les images des victimes avec des pupilles rétrécies suggéraient également l’utilisation d’un agent neurotoxique comme le gaz sarin.

Le gouvernement syrien a affirmé qu’il n’avait pas utilisé d’armes chimiques, « que ce soit par le passé ou à l’avenir ». La Russie a quant à elle déclaré qu’elle n’avait mené aucune opération sur la ville ce mardi.

Traduction : « Les dates de téléchargement des vidéos sur YouTube sont définies à l’heure de la Californie, vous pouvez vérifier l’heure de téléchargement réelle ici »

« Pupilles rétrécies, signe que le gaz sarin pourrait être l’arme chimique utilisée dans l’attaque d’aujourd’hui. En outre, pas d’odeur de chlore » 

Témoignant pour Middle East Eye depuis Idleb, Ibrahim al-Seweid, 26 ans, a raconté qu’il était arrivé sur le site de l’attaque vers 11 h, environ trois heures après la frappe initiale. « J’ai découvert des corps éparpillés dans toute la zone. L’hôpital local n’était prêt pour un tel nombre de victimes. »

« Ils ont touché une zone résidentielle, les victimes étaient en grande majorité des civils. Il était évident qu’il s’agissait d’une sorte d’attaque chimique à l’apparence des victimes, ils avaient de l’écume aux lèvres. »

« Je n’ai pas pu rester longtemps, personne n’a pu : des avions survolaient encore la zone et nous craignions une nouvelle attaque. »

Un militant local a indiqué à MEE que les travailleurs de la protection civile et les journalistes qui sont arrivés assez vite sur le site ont été également touchés et emmenés à l’hôpital, quinze à Maarat al-Numan et deux à Kafranbel. Toutefois, il semble certain que le bilan est plus lourd.

Un responsable local de la défense civile a déclaré à l’agence de presse hostile au gouvernement all4Syria que la zone cible était des terres basses, entraînant davantage de blessures et de décès puisque l’agent chimique s’est fixé dans des zones concentrées.

Une roquette a ensuite frappé un hôpital de la ville alors que les médecins traitaient les victimes. L’entrée du bâtiment a été touchée, faisant s’effondrer les décombres sur les médecins qu’on avait vus plus tôt arroser un flux constant d’arrivants pour éliminer les résidus chimiques.

Le présentateur, Yaman Khateeb, a indiqué plus tard dans un poste sur Facebook : « Il y avait une petite fille qui avait inhalé des gaz toxiques et était soignée par un médecin à l’hôpital de Khan Sheikhun. »

« Je regardais son père prier Dieu de la sauver, mais les avions l’ont achevée. »

Shajul Islam, un médecin britannique travaillant à Idleb, a déclaré dans une vidéo postée sur YouTube que cet hôpital avait été « submergé » par les patients affectés par « une sorte de produit chimique ».

« Il ne s’agit pas de chlore. On ne sent pas l’odeur du chlore sur ce patient », explique-t-il dans la vidéo qui contient des images explicites et doit être visionnée avec prudence.

« Il ne s’agit pas de chlore, nous avons subi de nombreuses attaques au chlore. Ce patient a clairement les pupilles rétractées », a-t-il précisé, en référence à un symptôme des agents neurotoxiques.

Le gouvernement syrien nie toute implication

Le gouvernement syrien du président Bachar al-Assad a renoncé à ses réserves de sarin après un accord négocié par les États-Unis et la Russie suite à une attaque au gaz sarin dans la Ghouta, en dehors de Damas, en 2013, qui avait tué des centaines de civils.

Damas nie l’utilisation d’armes chimiques et a, à son tour, accusé les rebelles d’utiliser des armes interdites.

Ce mardi, un responsable non-identifié a déclaré à l’agence de presse Reuters que le gouvernement « n’utilise pas et n’a pas utilisé » d’armes chimiques, « que ce soit par le passé ou à l’avenir ».

Ce même jour, des activistes ont partagé des images de nombreux cadavres, affirmant qu’il s’agissait des victimes, rappelant l’attaque de 2013.

Un cratère sur le site de l’attaque chimique à Idleb, en Syrie, le 4 avril 2017 (Reuters)

Dan Kaszeta, un spécialiste britannique des armes chimiques auprès de Strongpoint Security, a confié à Middle East Eye que bien qu’il soit difficile de diagnostiquer les causes à distances, il était « hautement probable » que du gaz sarin ou un autre agent neurotoxique ait été utilisé.

« Les rapports initiaux et les vidéos montrent qu’il ne s’agit pas de chlore. De nombreux médecins, qui examinent de près les victimes, affirment que du sarin ou un autre agent neurotoxique a été utilisé. C’est hautement probable. »

Le gouvernement d’Assad a reconnu avoir les capacités de fabrication du sarin et du VX », a-t-il poursuivi, ajoutant que le tabun, un autre agent neurotoxique, pouvait être fabriqué plus facilement.

Une enquête de l’ONU réclamée

La coalition nationale de l’opposition de la Syrie a demandé une enquête de l’ONU sur l’attaque.

« La Coalition nationale demande au Conseil de sécurité de convoquer une séance d’urgence, d’ouvrir une enquête immédiate et de prendre les mesures nécessaires pour que ses responsables, ses auteurs et ses partisans en soient tenus responsables », a déclaré l’organisme dans un communiqué.

« Ne pas le faire sera interprété comme une bénédiction envers le régime pour ses actions. »

Il a accusé le « régime du criminel Bachar » d’avoir mené l’attaque en utilisant des « obus contenant des gaz chimiques ».

Peu après, la France a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité tandis que Jean-Marc Ayrault, le ministre des Affaires étrangères, qualifiait l’attaque d’« ignoble ».

Le ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, a déclaré que les responsables devraient « rendre des comptes ».

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a jugé l’attaque « inhumaine ». Il a prévenu qu’elle risquait « de ruiner les efforts dans le cadre du processus d’Astana » afin de parvenir à la paix en Syrie, selon des sources présidentielles, sans mentionner les responsables de l’attaque.

Il y a eu plusieurs signalements récents par des militants de l’utilisation de produits chimiques par le gouvernement syrien, dans la province d’Alep et dans d’autres régions d’Idleb, malgré un prétendu cessez-le-feu.

Une conférence sur l’avenir de la Syrie, organisée par l’ONU et l’UE, débutera mardi à Bruxelles.

Reportage additionnel de Mohamed Shimale depuis Idleb.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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