J’ai été nourri de force par Israël dans les années 1970 : voici mon histoire
Alors que le gréviste de la faim palestinien Mohammed Allan est tombé dans le coma et oscille dangereusement entre la vie et la mort, l’Association médicale israélienne (IMA) continue de refuser de le nourrir de force.
La possibilité de nourrir de force les prisonniers en grève de la faim a toujours existé dans les prisons israéliennes, mais n’a été autorisée légalement que le 30 juillet dernier lorsque le parlement israélien, la Knesset, a voté en faveur avec une majorité de 46 contre 40.
Arguant qu’elle contrevient à la réglementation juridique et éthique, l’IMA a contesté cette loi devant la Cour suprême israélienne, promettant de « tout faire pour empêcher sa mise en œuvre ».
Pourtant, à l’époque, quand ce procédé avait été utilisé comme une forme de torture lors des premières grèves de la faim de masse des prisonniers palestiniens, il n’avait suscité que peu d’opposition des Israéliens de tous bords, même après la mort de trois prisonniers.
Du comité d’accueil aux conditions de détention déplorables
Mousa Sheikh (69 ans), ancien prisonnier du village d’Aqraba à Naplouse, a participé à la première grève de la faim de masse en 1970 et de nouveau en 1976. Décrivant des conditions de détention à l’époque « comparables à la Bastille ou au camp nazi d’Auschwitz », Sheikh dépeint la dure réalité de l’environnement qui a englouti tant de prisonniers dans les geôles israéliennes.
« L’administration pénitentiaire israélienne recevait à l’époque tout nouveau prisonnier en lui rasant la tête, suivi par un comité d’accueil », a déclaré Mousa Sheikh à Middle East Eye. « Le prisonnier était encerclé par un groupe de soldats qui rouaient de coups chaque partie de son corps, laissant le prisonnier dans un état pitoyable avant de finalement l’emmener à sa cellule. »
Sheikh, qui vit maintenant à Ramallah, a été arrêté à l’âge de 21 ans en 1963 après s’être engagé dans un affrontement armé avec l’armée israélienne. Cinq de ses camarades ont été tués, et il a été condamné trois fois à la perpétuité assortie de 20 ans de prison supplémentaires. Il a été transféré de la prison de Naplouse pour une prison située à Ashkelon, où les conditions étaient si terribles qu’en 1970, 400 prisonniers ont décidé de lancer la première grève de la faim.
« La nourriture était infecte, et en quantité restreinte. Nous n’avions que 150 à 200 calories par jour. Il n’y avait presque pas de loisirs », a déclaré Sheikh.
Les revendications des prisonniers étaient simples. Ils demandaient plus de temps en plein air, une nourriture de meilleure qualité et en plus grande quantité, et l’accès à des livres et à des magazines.
Cette grève avait duré à peine une semaine et aucune des demandes n’avait été satisfaite. Mousa Sheikh raconte que le directeur de la prison avait déclaré avoir reçu l’ordre du gouvernement israélien d’humilier les prisonniers chaque jour parce qu’ils avaient du sang sur les mains. L’alimentation forcée a commencé presque immédiatement.
Souffrance atroce
Décrite comme une procédure dangereuse, l’alimentation forcée viole le droit d’un détenu à la grève de la faim en tant que forme de protestation en les nourrissant par voie intraveineuse, contournant ainsi le processus habituel d’alimentation et de digestion.
L’acte consiste à insérer un tube nasal, parfois mesurant plus d’un mètre, jusqu’à ce qu’il atteigne l’estomac du gréviste de la faim. Le tube risque de manquer l’estomac et de pénétrer dans les poumons, ce qui est fatal. Des nutriments ou des liquides sont ensuite administrés à travers le tube pendant une heure ou deux.
« Le prisonnier entre dans la pièce menotté et entravé », a indiqué Sheikh, se remémorant l’alimentation forcée dans la prison d’Ashkelon.
« Deux policiers se tiennent de chaque côté du prisonnier et le terrorisent physiquement et mentalement. Ils lui donnent des coups dans les côtes et sur la nuque, cherchent constamment à briser son état d’esprit en lui disant des choses comme ‘’vous êtes pratiquement mort maintenant’’ ». Le prisonnier est attaché à une chaise afin de l’empêcher de bouger. Le médecin colle alors le tube dans le nez du prisonnier d’une manière très brutale, raconte-t-il.
« Quand on me l’a fait, j’ai senti mes poumons se fermer tandis que le tube atteignait mon estomac », poursuit Mousa Sheikh. Je suffoquais presque. Ils ont versé du lait dans le tube, ce qui m’a paru comme du feu. Il était en ébullition. Je ne pouvais pas rester immobile et j’ai ressenti une douleur atroce. J’ai beaucoup souffert. »
Selon Sheikh, tous les prisonniers ont été soumis à cette procédure douloureuse jusqu’à ce que son compagnon de cellule, Abd al-Qader Abu al-Fahm, en meure. Abu al-Fahm était un combattant de Gaza et lorsqu’il a été arrêté, il souffrait de 32 blessures qui n’ont pas été traitées par l’hôpital de la prison, selon Sheikh.
« Les autres prisonniers ont essayé de le convaincre de ne pas faire de grève de la faim parce qu’il était blessé », se souvient-il. « Mais il n’a pas écouté et a répondu ‘’Je suis comme vous tous. Je ne peux pas manger alors que vous faites tous une grève de la faim’’. Le médecin qui lui a fait avaler le tube a appliqué tellement de pression sur son estomac que cela a provoqué sa mort par hémorragie interne.
Décès causés par alimentation forcée
Les conditions de détention se sont aggravées au fil des ans, selon Mousa Sheikh. La torture physique était régulièrement utilisée. Ce qui a abouti à la deuxième grève de la faim, en 1976. Entreprise par environ 500 prisonniers, elle a duré 45 jours.
L’alimentation forcée a également été utilisée à cette occasion, les différentes prisons ayant recours à diverses méthodes. Dans la prison de Nafha située dans le désert du Néguev, par exemple, les tubes étaient insérés dans la bouche des prisonniers.
En 1980, près de 1 000 prisonniers ont participé à une troisième grève de la faim de grande ampleur. Il n’y eut à nouveau aucun répit à l’alimentation forcée, qui entraîna la mort de trois prisonniers : Ali al-Jafari, Rasim Halaweh et Ishaac Maragheh.
Mousa Sheikh a été libéré lors d’un échange de prisonniers en 1983 et exilé en Algérie. Il est revenu en Cisjordanie après la création de l’Autorité palestinienne (AP) au début des années 1990, après la fin de la Première Intifada.
Les conditions de détention se sont progressivement améliorées après la signature des accords d’Oslo en 1993. Les prisonniers ont été placés dans divers quartiers pénitentiaires en fonction de leur appartenance politique et certains ont été nommés en interne pour agir en tant que représentants des prisonniers et traiter avec l’administration pénitentiaire d’Israël. Un service éducatif leur a été accordé.
Mettre fin à la protestation d’un détenu contre sa volonté
Au cours des dernières années, cependant, les grèves de la faim de détenus n’ayant pas été officiellement accusés de quoi que ce soit et ayant passé des mois, sinon des années, à croupir en prison sont devenues plus fréquentes.
La détention administrative, héritière d’une forme d’internement utilisée par les Britanniques au cours de leur mandat sur la Palestine, a été largement utilisée par les autorités israéliennes au cours des dernières décennies et encore à l’heure actuelle contre les Palestiniens.
Ces détentions permettent à Israël de détenir un suspect indéfiniment et sans procès ni accusation portée contre lui jusqu’à ce que l’État ait rassemblé des preuves suffisantes. Les détentions sont utilisées presque exclusivement à l’encontre des Palestiniens. Les prisonniers administratifs ne font pas de grève de la faim pour de meilleures conditions de détention, mais simplement pour le droit d’être inculpés ou libérés.
Plusieurs grévistes de la faim célèbres, comme Khader Adnan et l’ancien joueur de football Mahmoud Sarsak, ont soulevé la question de la détention administrative à l’échelle internationale, les organisations des droits humains comme Amnesty International condamnant son utilisation, qualifiée d’illégale.
Mousa Sheikh a affirmé que l’accent devrait être mis sur la détention administrative et sur le fait que l’alimentation forcée est une façon pour l’État d’Israël de contraindre les prisonniers à ne pas exercer leur droit de protester.
« La détention administrative viole le droit international », a-t-il dit. « La Convention de Genève de 1949 stipule comment une puissance occupante doit traiter les prisonniers. Toutefois, Israël se considère comme au-dessus de toute loi et suit sa propre législation. Il ne cesse de répéter, comme un disque rayé, qu’il est le seul pays démocratique de la région, alors qu’il ne respecte pas les lois internationales. »
L’absence de soutien populaire maintient le statu quo
Mousa Sheikh souffre encore des conséquences de l’alimentation forcée sur sa santé au niveau du cœur et des poumons.
Le personnel médical de l’hôpital Barzilai, où Mohammed Allan est tombé dans le coma après avoir connu des crises d’épilepsie après 60 jours sans nourriture, lui administre une solution saline et de glucose au goutte-à-goutte pour stabiliser son état.
Cela a provoqué la colère de sa famille, qui est déchirée entre le maintien en vie d’Allan et le respect de son souhait de poursuivre sa grève de la faim. Pourtant, les observateurs disent que la volonté d’un seul homme ne changera pas la politique d’Israël contre lui ; un mouvement populaire qui fasse pression à la fois sur l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien est jugé essentiel pour faire pencher la balance en faveur d’Allan.
« Lorsque nous avons dépassé notre 30e jour de grève de la faim en 1976, il y avait presque une intifada », a déclaré Sheikh. « Mais personne ne parle de cela. Dans toutes les grandes villes et villages palestiniens, il y avait une vague massive de manifestations populaires.
« L’administration pénitentiaire israélienne a alors pris conscience de la pression montante et a cherché à désamorcer la situation, accédant à nos demandes et mettant ainsi fin à la grève de la faim. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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