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Jordanie : un sanctuaire où les animaux d’Alep, Mossoul ou Gaza essaient d’oublier la guerre

Exfiltrés non sans difficulté de zoos en zones de conflit, ces ours, lions, tigres… ont survécu à la faim et aux bombardements. Aujourd’hui, toute une équipe est à leurs petits soins dans le plus grand sanctuaire pour animaux du Moyen-Orient
Pendant les premiers jours dans son nouveau foyer, Loz, secouru à Alep, en Syrie, courait se cacher dès qu’il entendait des camions ou des hélicoptères (MEE/Marta Vidal)

JÉRASH, Jordanie – À l’âge de 8 ans, Loz a été évacué d’Alep. C’était en juillet 2017, sept mois après la chute de la deuxième ville de Syrie par les forces du gouvernement de Bachar al-Assad.

Bien qu’il ait rapidement trouvé un nouveau foyer sur une colline cernée d’oliviers au nord de la Jordanie, Loz n’a pas pu oublier la Syrie. 

Au cours de ses premiers jours en Jordanie, il courait se cacher chaque fois qu’il entendait des camions ou des hélicoptères, encore marqué par les explosions et les coups de feu qui déchiraient sa ville natale.

Aujourd’hui, Loz est toujours méfiant, mais il a moins peur. S’il a réussi à sortir d’Alep vivant, c’est grâce à une organisation à but non lucratif appelée Four Paws International.

Loz est un ours noir d’Asie. Parmi ses nouveaux voisins, dans le sanctuaire pour les animaux sauvages d’al-Ma’wa, dans le gouvernorat de Jérash, figurent plusieurs autres animaux sauvés du Magic World Zoo, situé en périphérie d’Alep.

Loz a été sauvé avec douze autres animaux d’un zoo situé en dehors d’Alep (MEE/Marta Vidal)

Four Paws sauve des animaux maltraités appartenant à des zoos, ainsi que des animaux exotiques maltraités par des propriétaires privés dans diverses régions du monde – souvent dans des zones de guerre. Elle dispose de bureaux dans quinze pays et sept sanctuaires pour les animaux sauvages sauvés.

« Le sanctuaire a été ouvert pour fournir une solution aux animaux provenant de zones de guerre », explique Mustafa Khraisat, directeur d’al-Ma’wa à Middle East Eye, « mais également aux animaux confisqués à des contrebandiers. »

Lions, tigres et ours

Raghad Zeitoun est vétérinaire au sanctuaire jordanien. Elle s’occupe de la population composée de dix-huit lions, de quatre ours et de deux tigres. Elle souligne que les animaux ont dû se remettre du traumatisme mental causé par les guerres qu’ils ont vécues.

La vétérinaire raconte qu’au moment où Loz, l’ours, et douze autres animaux ont été sauvés du Magic World Zoo, la zone dans laquelle ils se trouvaient était contrôlée par les rebelles.  

Le propriétaire a précisé à Four Paws que le zoo comptait environ 300 animaux avant la guerre, mais que la plupart d’entre eux étaient morts des suites de bombardements et de tirs croisés, ou de faim. Four Paws a sauvé les animaux qui avaient survécu.

« Quand ils sont arrivés, ils étaient en très mauvaise condition, avec de nombreuses blessures et très maigres. Les ours étaient deux fois plus maigres », explique Zeitoun. « Ils avaient l’air terrifiés, mais ils vont mieux maintenant. »

Les gardiens et les bénévoles d’al-Ma’wa se consacrent au bien-être des animaux (MEE/Marta Vidal)

Avec plus de 110 hectares, al-Ma’wa est le plus grand sanctuaire pour grands animaux du Moyen-Orient et dispose d’enclos adaptés aux espèces. 

Il a été fondé en 2015 par le biais d’un partenariat entre la Princess Alia Foundation et Four Paws International pour accueillir des animaux ne pouvant être ni renvoyés dans leur pays d’origine, ni relâchés dans la nature.  

La position stratégique de la Jordanie entre l’Afrique et le Golfe en fait un carrefour pour le trafic illégal d’espèces sauvages. Dans les pays riches du Golfe, il existe une forte demande pour les animaux exotiques, souvent passés en contrebande via la Jordanie, en dépit du fait que le royaume a légiféré et signé la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES).

Saif Rwashdeh, un soignant, a récemment accompagné deux lions dans un sanctuaire pour lions en Afrique du Sud. « C’était dur de les laisser partir mais ils auront une vie meilleure avec d’autres lions » (MEE/Marta Vidal)

Le centre a ouvert ses portes au public en octobre 2017. Les visites sont limitées à une par jour, avec une capacité maximale de vingt visiteurs, afin de ne pas inquiéter les animaux qui ont déjà connu le pire ce dont l’homme est capable.

« Notre objectif est de sensibiliser à la protection et au bien-être des animaux et de fournir une éducation et une formation en matière de préservation de la nature », explique Khraisat. Le centre devrait ouvrir des écolodges et un restaurant végétarien au printemps. 

Lors de son ouverture, Al-Ma’wa a eu son lot de détracteurs. Au début, les habitants des villages voisins craignaient que des animaux, notamment des lions et des tigres, s’échappent.

« Maintenant qu’ils [les villageois] se savent en sécurité, nous recevons énormément de soutien. Beaucoup de gens veulent faire du bénévolat avec nous », assure Khraisat.

Parfois, les villageois amènent leurs propres animaux pour une consultation par les vétérinaires du sanctuaire.

Un lieu bien plus sûr 

Certains animaux ont foulé le sol pour la première fois à leur arrivée à al-Ma’wa : Sultan et Sabreen, deux lions sauvés d’un zoo gazaoui en 2014, n’avaient jamais quitté leur cage bétonnée avant leur arrivée en Jordanie.

Tous deux ont été sauvés lors de l’été 2014, alors que l’enclave palestinienne assiégée était pilonnée par Israël. Des milliers de personnes sont mortes et le zoo al-Bisan de Gaza a subi de lourds dommages. 

Al-Ma’wa s’étend sur plus de 110 hectares et est le plus grand sanctuaire en son genre au Moyen-Orient (MEE/Marta Vidal)

Selon Four Paws, plus de 80 animaux sont morts et les 30 animaux qui ont survécu étaient abandonnés sans eau ni nourriture. Les lions souffraient d’un stress important et leurs enclos avaient été endommagés. Alors Four Paws est intervenu et a transféré les animaux au centre New Hope en Jordanie puis à al-Ma’wa. Les corps momifiés de dizaines d’animaux jonchaient le zoo. 

« Lorsqu’ils sont arrivés, c’était la première fois qu’ils touchaient des arbres », se souvient Khraisat. « La plupart des animaux étaient nés en captivité et n’étaient pas capables de survivre seuls. »

Les animaux devraient-ils être une priorité ?

« Parfois, les gens nous demandent pourquoi nous sauvons des animaux plutôt que les gens », rapporte Khraisat, « mais qui va se battre pour leurs droits ? Quelqu’un doit parler au nom des animaux. Lorsqu’ils sont en captivité, vous devez en prendre soin comme s’ils étaient vos enfants car ils relèvent de votre responsabilité. »

L’ours Balou a été sauvé d’un zoo jordanien (MEE/Marta Vidal)

Amir Khalil, le directeur d’origine égyptienne des interventions d’urgence pour Four Paws, collabore avec l’organisation depuis 24 ans, risquant sa vie pour sauver des animaux des zones sinistrées et des zones de guerre.

L’année dernière, il s’est retrouvé à Mossoul en mars et à Alep pendant l’été, sauvant des animaux livrés à leur sort dans des zoos abandonnés.

Lorsque l’équipe d’intervention d’urgence de Four Paws entend parler d’animaux piégés dans des zones sinistrées ou des zones de guerre, elle fait de son mieux pour les sauver. Dans le cas de la Syrie, la décision d’y aller a été prise après que l’organisation eut reçu des messages de Syriens qui évoquaient la situation des animaux au Magic World Zoo, leur demandaint d’intervenir.

Ils ont travaillé en étroite collaboration avec des experts en sécurité et ont bénéficié de l’appui des autorités turques. Les missions sont effectuées après négociation avec les diverses parties sur le terrain.

La lionne Halab a été sauvée du Magic World Zoo en périphérie d’Alep en 2017 (MEE/Marta Vidal)

Pour la mission en Syrie, Khalil a contacté le propriétaire du zoo et l’a prévenu que s’il ne donnait pas les animaux à Four Paws, ils mourraient. Le propriétaire a donc accepté.

À Alep, Khalil devait traverser le territoire tenu par des rebelles liés à al-Qaïda, s’arrêter à une douzaine de points de contrôle et négocier avec les différentes parties en conflit.

Le voisin de Loz, Lula, venait de Mossoul dans le nord de l’Irak. 

Échapper à Mossoul

Le zoo de Mossoul a été abandonné pendant la bataille pour la ville, au cours de laquelle les forces gouvernementales irakiennes et les milices kurdes alliées se sont battues pour la libérer du groupe État islamique (EI).

La bataille a débuté en octobre 2016. Pendant plusieurs mois, le zoo fut un lieu de rassemblement pour les combattants de l’EI. La plupart des animaux sont morts des suites de tirs croisés ou de faim.

Lorsque la moitié est de Mossoul a été libérée en janvier 2017, il ne restait plus que deux animaux en vie : un ours et un lion. Les habitants de Mossoul ont envoyé des messages à Four Paws demandant de l’aide pour les secourir.

En février, Khalil s’est rendu à Mossoul pour vérifier l’état de santé des animaux et leur laisser des médicaments et de la nourriture. Il a commencé à planifier la mission de secours et est revenu en mars pour essayer de faire sortir les animaux. Khalil a été arrêté à un poste de contrôle de l’armée irakienne où on lui a demandé d’autres documents et on lui a ordonné de ramener les animaux au zoo.

Des animaux comme Sukkar étaient confinés dans des cages, mal nourris et traumatisés lorsqu’ils étaient à Alep, en Syrie (MEE/Marta Vidal)

Après avoir négocié avec l’armée irakienne, Four Paws est revenu en avril avec des documents supplémentaires et a finalement réussi à transporter les animaux à Amman.

« Chaque mission est difficile », reconnaît Khalil, « mais Mossoul a été l’un des plus grands défis auxquels nous ayons dû faire face. Traiter avec l’armée fut très compliqué, et l’EI était très proche. » 

Le zoo se trouvait dans une zone qui avait déjà été libérée en mars, mais proche de la ligne de démarcation entre l’est libéré et l’autre moitié de la ville, encore sous le contrôle de l’EI à cette époque.

« Ils ont changé d’attitude et ont compris que les animaux ne faisaient pas partie de cette guerre. Il n’y a pas que la souffrance humaine, les animaux aussi souffrent »

- Amir Khalil, Four Paws

Il se souvient qu’en Irak, les soldats se sont d’abord moqués de la mission de sauvetage des animaux, puis sont venus le chercher avec de la nourriture et lui ont demandé s’ils pouvaient nourrir les animaux.

Un soldat a amené deux poulets qu’il avait confisqués à un poste de contrôle pour nourrir les lions, raconte Khalil à MEE.

« Ils ont changé d’attitude et ont compris que les animaux ne faisaient pas partie de cette guerre. Il n’y a pas que la souffrance humaine, les animaux aussi souffrent. Tout le monde souffre en temps de guerre. »

En quittant Mossoul, Khalil a été détenu pendant plusieurs jours jusqu’à ce qu’il obtienne l’autorisation de quitter la zone avec les animaux.  

Parmi les réfugiés qui passaient près de lui, se trouvaient des enfants qui avaient perdu leur maison.

« Ils avaient beaucoup de mauvais souvenirs, mais quand ils sont arrivés dans notre camion et ont vu un lion et un ours, ils ont commencé à sourire et étaient très heureux », raconte-t-il. « Pour moi, c’était très important de voir que les animaux peuvent apporter du bonheur aux gens ».

Sukkar a été sauvé d’Alep en Syrie. Cet ours beaucoup plus heureux aujourd’hui (MEE/Marta Vidal)

« Il est courant », constate-t-il, « que les parties au conflit mettent de côté leurs désaccords quand il s’agit de transporter des animaux ».

« En Irak », poursuit-il, « la guerre s’est arrêtée pendant quelques jours alors que l’armée et le gouvernement se concentraient sur le sort des animaux ».

Les combats stoppés pour les animaux

Les missions à haut risque peuvent prendre des mois de planification et de diplomatie, mais les soldats des parties belligérantes ont déposé les armes pour aider à sauver les animaux. 

Pour la mission de sauvetage d’Alep, d’autres organisations non gouvernementales telles que CEE4life ont conseillé l’équipe de Four Paws. Les habitants ont également aidé à négocier le passage en toute sécurité et le soutien de différentes factions en Syrie.

Les négociations impliquaient souvent de nombreuses personnes et organisations. En Syrie, par exemple, un activiste turc des droits des animaux a aidé l’équipe de Four Paws à obtenir le soutien des autorités turques qui ont accepté d’ouvrir la frontière pour les animaux.

Khalil se souvient d’avoir été coincé dans un hôtel à Gaza en 2015, lorsque Four Paws avait été sollicité pour secourir deux lionceaux d’un camp de réfugiés.

La frontière était fermée parce que c’était Shabbat, le sabbat juif. Finalement, un accord entre le Hamas et Israël a permis de transférer les animaux en toute sécurité en Jordanie.

« Ils ne sont jamais d’accord sur quoi que ce soit, mais quand je suis venu emmener les animaux, ils ont déposé les armes, car ces animaux ne sont pas avec le Hamas, ni avec Israël », relève Khalil.

« Ils n’ont pas de passeport. Ils n’ont rien fait et ne sont impliqués dans aucune guerre. La seule espèce qui fait la guerre, ce sont les humains, pas les animaux. »

Khalil explique que la souffrance animale ne doit jamais être ignorée : les animaux emprisonnés dans des cages dépendent trop souvent de l’homme pour leur liberté. « La bonté », assure-t-il, « fait de nous de meilleurs humains. Nous partageons la planète et devons apprendre à vivre ensemble. Seuls les humains sont incapables de vivre ensemble. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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