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La bataille à l’ONU pour « couvrir de honte » Israël pour sa maltraitance des enfants

L’attaque contre Gaza de l’année dernière accroît la pression sur Ban Ki-moon afin qu’il place l’armée israélienne sur la même liste que l’Etat islamique et les Talibans
Les enfants de la famille palestinienne Bakr, qui ont survécu à l’attaque israélienne, marchent sur la plage de Gaza (AFP)

Les groupes de solidarité avec la Palestine s’activent sur les réseaux sociaux afin de faire monter la pression sur le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, afin qu’il inclue pour la première fois Israël sur la « liste de la honte » des pires agresseurs des droits des enfants.

La campagne, qui culmine le 7 mai prochain avec le dépôt d’une pétition électronique au bureau de Ban Ki-moon, a été lancée suite à des rapports indiquant qu’Israël exercerait une pression considérable sur les responsables de l’ONU pour éviter d’être inclus dans la liste.

Le cabinet de Ban Ki-moon devrait rendre la liste publique dans les semaines à venir.

Une source onusienne de haut niveau qui souhaite garder l’anonymat en raison de la sensibilité diplomatique de la question a indiqué à Middle East Eye que les conseillers principaux de Ban Ki-moon lui avaient conseillé de considérer l’armée israélienne comme un agresseur majeur des droits des enfants.

Cela la placerait pour la première fois aux côtés de groupes tels que l’Etat islamique, les talibans et les milices affiliées à al-Qaïda, renforçant davantage l’isolement international d’Israël.

Ce dernier rassemble de moins en moins de partisans dans la communauté internationale dans ses efforts visant à empêcher les démarches des Palestiniens de reconnaissance de leur Etat à l’ONU et d’admission dans des organismes internationaux comme la Cour pénale internationale de La Haye. Les relations d’Israël avec la Maison Blanche ont aussi connu récemment une crise sans précédent.

Une telle décision, a ajouté la source de MEE, est devenue pratiquement inévitable compte tenu des conclusions de l’enquête menée récemment par l’ONU sur l’attaque lancée par Israël contre Gaza l’été dernier. Connue sous le nom d’opération « Bordure protectrice », celle-ci a tué plus de 500 enfants palestiniens et blessé au moins 3 300 autres.

L’investigation a conclu que l’armée israélienne avait ciblé six écoles de l’ONU où des civils, y compris de nombreux enfants, avaient trouvé refuge et ce, bien qu’elle ait été informée en avance de la présence de ces sites et de leurs coordonnées GPS.

Ban Ki-moon avait décrit les attaques – qui causèrent la mort de 44 Palestiniens et en blessèrent 227 autres – comme « une affaire de la plus haute gravité ».

Le meurtre et la mutilation d’enfants à grande échelle ainsi que les attaques sur des écoles comptent parmi les éléments « déclencheurs » de l’inclusion d’une entité dans la liste. Celle-ci participe d’un processus de surveillance du respect des droits de l’enfant dans des zones de conflit de par le monde introduit par l’ONU il y a dix ans.

Intimidation du personnel

Des membres de l’ONU et des experts des droits de l’enfant s’inquiètent du fait que malgré les preuves contre Israël, la pression politique de ce dernier et des Etats-Unis pourrait permettre à l’armée israélienne d’être exclue de la liste.

L’inquiétude d’Israël était visible en février dernier quand les responsables politiques du pays ont protesté vigoureusement à l’annonce d’une réunion du personnel local de l’ONU à Jérusalem visant à ratifier une note recommandant au siège de l’ONU d’inclure Israël dans la liste. La réunion a été annulée au dernier moment.

L’un des collaborateurs de Ban Ki-moon s’est plaint en privé auprès de Ron Prosor, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, des manœuvres d’intimidation dont a été victime le personnel de l’organisation à Jérusalem, selon un article paru dans le quotidien britannique The Guardian.

Malgré l’intervention d’Israël, a indiqué la source onusienne de MEE, les représentants de l’ONU à Jérusalem et les conseillers de Ban Ki-moon à New York estimeraient que les preuves à charge contre Israël sont irréfutables.

Si Ban Ki-moon a reçu une telle recommandation, la pression sur ses épaules doit être intense, a indiqué Gérard Horton, un avocat spécialisé dans le traitement des enfants par Israël. « Une fois que les choses arrivent à New York, elles deviennent extrêmement politiques », a-t-il expliqué à MEE.

« Après tout, la contribution des Etats-Unis au budget de l’ONU est des plus importantes, donc les officiels onusiens ne peuvent pas se permettre d’ignorer les souhaits de Washington. Si les responsables de l’ONU veulent aider les enfants en Afrique et en Irak, ils doivent se demander s’il vaut la peine de mettre tout cela en péril pour un désaccord sur la question d’Israël. »

Des activistes ont créé un nouveau groupe sur les médias sociaux, 4Palkids, pour tenter d’accroître la pression populaire sur Ban Ki-moon.

« Notre espoir est que, si Israël est inclus dans la liste, cela déclenchera un processus de sanctions contre Israël de la part de la communauté internationale », a déclaré Ariyana Love, l’une des fondatrices du groupe.

La crédibilité de l’ONU en jeu

La source de l’ONU a observé que si Ban Ki-moon ignore les conseils de son équipe new-yorkaise en charge du dossier des enfants dans les zones de conflit armé, qui se trouve sous la direction de Leïla Zerrougui, ce serait du jamais vu.

« Le secrétaire général n’a jamais auparavant réfuté une recommandation en faveur de l’inclusion d’une entité dans cette liste et ce serait difficile pour lui de le faire sans mettre à mal la crédibilité de l’ONU au Moyen Orient », a ajouté la source.

Un porte-parole de l’UNICEF à Jérusalem, qui dirige le processus local de monitoring des droits des enfants, a renvoyé toute demande de commentaires à New York, affirmant que le dossier était « confidentiel ».

Le cabinet de Ban Ki-moon a pour sa part précisé que le rapport serait publié en juin, sans toutefois se prononcer sur les pays qui seraient inclus dans la liste ou sur les pressions éventuelles d’Israël sur le secrétaire général.

De façon officieuse, des fonctionnaires de l’ONU ont fait remarquer que Ban Ki-moon devra prendre en compte le fait que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU est censé remettre son rapport sur l’opération Bordure protectrice dans les prochains mois. On s’attend à ce que ce rapport adopte une position très critique sur l’opération militaire israélienne qui a duré cinquante jours et fait un nombre élevé de victimes civiles palestiniennes.

Israël est régulièrement condamné par les commissions des droits de l’homme des Nations unies, le cas le plus récent étant une résolution de la Commission sur le statut des femmes. Cependant, Israël et les Etats-Unis rejettent habituellement ces accusations comme étant partisanes en raison du fait que ces commissions représentent des gouvernements nationaux, dont des pays arabes et musulmans.

Une inclusion d’Israël dans la liste par Ban Ki-moon – avec l’appui implicite du Conseil de sécurité, qui est à l’origine du projet de surveillance du respect des droits des enfants dans les zones de conflit – aurait beaucoup plus de poids.

Gérard Horton, qui est aussi un fondateur du Military Court Watch, une organisation qui surveille la pratique de détention d’enfants palestiniens par Israël, estime que le mécontentement actuel des Etats occidentaux envers Israël pourrait donner à Ban Ki-moon la marge de manœuvre diplomatique nécessaire pour prendre des mesures punitives.

« La colère envers le gouvernement israélien est grande en Europe et aux Etats-Unis, en particulier depuis que [le Premier ministre d’Israël] Benjamin Netanyahou a déclaré publiquement pendant la récente campagne électorale qu’il ne permettrait pas la création d’un Etat palestinien », a-t-il expliqué.

« Placer Israël sur la liste pourrait être un coup de semonce. Ce serait une source d’embarras majeur pour Israël, mais ce serait moins douloureux qu’un véto des Etats-Unis sur une résolution du Conseil de sécurité relative, par exemple, aux colonies israéliennes. »

La « liste de la honte »

Depuis 2005, les agences de l’ONU sont chargées de surveiller les graves violations des droits des enfants dans vingt-trois zones de conflit, dont celui entre Israël et les Palestiniens.

Six violations graves ont été identifiées comme critères en vue de l’inclusion des parties prenantes d’un conflit dans la liste, à savoir : le meurtre et la mutilation d’enfants, les abductions, les agressions sexuelles, les attaques contre des écoles et des hôpitaux, le déni d’accès humanitaire, et le recrutement d’enfants soldats.

Le bureau du secrétaire général de l’ONU publie chaque année des rapports détaillés sur l’ensemble de ces conflits, soulignant les plus graves violations des droits des enfants. Or jusqu’à présent, l’armée israélienne n’a pas été incluse dans l’annexe désormais connue sous le nom de « liste de la honte ».

Dans le rapport de l’année dernière, cinquante-deux entités ont été désignées comme responsables des plus graves violations à l’encontre des droits des enfants dans des pays comme l’Afghanistan, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Mali, Myanmar, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan, la Syrie et le Yémen. Les forces armées de plusieurs gouvernements ont été incluses.

Bien que l’armée israélienne n’ait pas été identifiée dans ce rapport comme l’un des agresseurs les plus importants, elle a été critiquée pour ses violations des droits des enfants palestiniens, qui incluent notamment des actions causant la mort et des blessures, des arrestations nocturnes, des traitements cruels et dégradants pendant les interrogatoires, des menaces de violence sexuelle, le transfert dans des prisons israéliennes en violation des conventions de Genève, des attaques contre des écoles, et le déni de traitement médical requis pas des patients de Gaza.

Human Right Watch (HRW), une organisation de défense des droits de l’homme basée à New York, a constaté que l’inclusion dans la liste a permis de juguler les pires abus des droits des enfants perpétrés par certains Etats.

« La ‘‘liste de la honte’’ s’est avérée un instrument remarquablement efficace pour pousser les gouvernements à améliorer leur respect des droits des enfants », a déclaré Bede Sheppard, vice-directeur de la division des droits de l’enfant à HRW, en début d’année.

Issam Yunis, directeur d’al-Mezan, un groupe de défense des droits de l’homme de Gaza, a indiqué à MEE que l’inclusion Israël dans la liste était vitale pour améliorer la protection des Palestiniens vivant sous occupation. 

« Pour le moment, Israël n’est absolument pas tenu pour responsable, spécialement à Gaza, où il a le feu vert pour faire tout ce qui lui plait. Gaza est une société d’enfants [les chiffres indiquent que 44 % de la population ont moins de 14 ans] donc, inévitablement, ce sont eux qui paient le prix le plus lourd de l’impunité d’Israël. »

Une avancée capitale

Dans le cas d’Israël et des territoires palestiniens occupés, les violations sont recensées et documentées depuis 2007 par un groupe de travail dirigé par le Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’UNICEF. Ce groupe inclue d’autres agences de l’ONU, des organismes d’aide internationaux et des organisations de droits de l’homme israéliennes et palestiniennes.

Jusqu’à cette année, constatent les experts des droits des enfants en Palestine, Israël avait non seulement été exclue de la liste finale rendue publique par le bureau du secrétaire général de l’ONU, mais son inclusion n’avait même pas été discutée.

« Cette année, il y a eu une avancée majeure dans la mesure où le rapport local a inclus pour la première fois la proposition de considérer la possibilité d’inclure Israël dans la liste », affirme Ayed Abed Eqtaish, avocat pour la branche Palestine de Defence for Children International.

Selon lui, c’est pour cette raison qu’Israël a cherché à empêcher la réunion en février.

« Les choses deviennent visiblement plus difficiles pour Israël. La pression monte d’année en année », a-t-il ajouté.

Le Conseil des organisations des droits de l’homme palestiniennes, une coalition de douze groupes palestiniens basée à Jérusalem, a adressé une lettre à Ban Ki-moon en février l’exhortant à se montrer « impartial » et à inclure Israël dans la liste.

« Les offensives militaires à répétition d’Israël, l’occupation militaire prolongée et la violence militaire récurrente, associés à un mépris total envers le droit international, ont fait obstacle à tout effort significatif visant à assurer une protection exhaustive des enfants vivant [sous occupation] », pouvait-on y lire.

L’inclusion dans la liste s’ajouterait aux critiques de la conduite d’Israël pendant l’opération Bordure protectrice de l’été dernier. Des rapports émanant de groupes de défense des droits de l’homme ont d’ores et déjà accusé Israël de crimes de guerre.

Les témoignages de soldats

Cette semaine, un groupe d’anciens soldats israéliens, Breaking the Silence, a publié les témoignages de soldats ayant servi à Gaza lors de la dernière guerre. Beaucoup ont dit avoir reçu les mêmes ordres de la part de leurs commandants : tirer sur tout Palestinien, armé ou non, dans les zones considérées par Israël comme des zones de combat.

Un sergent-chef témoigne : « Les instructions sont de tirer immédiatement. Qui que vous remarquiez – armé ou pas, peu importe. Les instructions sont très claires. Chaque personne que vous trouvez, que vous voyez de vos propres yeux – tirez pour tuer. C’est une instruction explicite. »

Breaking the Silence conclut qu’Israël était, « au mieux, indifférent aux victimes parmi la population palestinienne ».

Si les critiques d’Israël à l’ONU se sont focalisées sur le meurtre et la mutilation d’enfants lors de la guerre de l’année dernière à Gaza, Issam Yunis d’al-Mezan pense qu’Israël aurait dû être inclus dans la liste bien avant en raison de la grave violation que représente le « déni d’accès humanitaire ».

« Le siège de Gaza se poursuit depuis près de dix ans et satisfait au critère de grave violation », estime-t-il. « Si Israël est inclus dans la liste cette année, il est important qu’il y reste jusqu’à ce qu’il mette un terme à de telles violations. »

Traduction de l’anglais (original).

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