Le chemin difficile de l’Égypte vers l’éradication des mutilations génitales féminines
C’est le retour de l’été en Égypte. Les jours se composent de longs après-midis passés enfermés dans l’obscurité avec des ventilateurs faisant circuler un air chaud. L’été est fait de sueur, et de sang également.
Chaque année, entre juin et septembre, plusieurs milliers de jeunes filles subissent une excision. Les vacances d’été sont le moment privilégié pour cette procédure, car elles laissent plus de temps pour se rétablir et la dissimule plus facilement aux enseignants à l’école.
Les chiffres varient, mais on estime que 92 % des Égyptiennes entre 15 et 46 ans ont été mutilées. Ce nombre augmente à 97 % dans les zones rurales.
« D’une manière générale, les MGF [mutilations génitales féminines] sont plus fréquentes en milieu rural et chez les jeunes filles moins éduquées, mais ce n’est pas toujours le cas », a déclaré Suad Abu-Dayyeh, consultante auprès de l’ONG Equality Now, qui fait campagne contre ces pratiques depuis les années 1990.
Plus de 27 millions de femmes ont subi des MGF en Égypte, selon les statistiques de l’UNICEF en 2014.
Aborder ce sujet avec les femmes est difficile. Sept ou huit femmes sont assises dans la salle d’attente du Dr Amr Seifeldine. La présence d’une étrangère provoque évidemment inquiétude et stress. « Elles ont honte », a expliqué le médecin. « Elles ne veulent pas parler ; elles ne veulent pas qu’on sache cela. »
Sumaya est l’une des rares prête à en discuter, mais elle ne voulait parler que par téléphone.
Alors qu’elle avait une douzaine d’années, elle se trouvait chez elle un après-midi d’été. Personne ne lui avait dit à l’avance ce qui allait se passer. Sa mère et grand-mère l’ont attrapée, l’ont plaquée au sol et lui ont ouvert les jambes tandis qu’une vieille femme la mutilait.
Vingt-cinq ans plus tard, elle se souvient de son incapacité à comprendre ce qu’il s’était passé. Elle a également évoqué les conséquences de cet acte : « Mon mari se plaint que je ne jouis pas, je ne sens rien », dit-elle. « Il dit que je suis frigide ».
Chirurgies reconstructrices
Face à une telle détresse, le Dr Seifeldine est devenu l’un des rares médecins en Égypte « qui répare les femmes » actuellement. Chaque semaine, son personnel médical effectue une à cinq opérations de reconstruction génitale. Il a indiqué avoir effectué près de 2 000 reconstructions.
« C’est beaucoup, mais assez peu, compte tenu du nombre de femmes qui en ont besoin », a-t-il précisé. Peu de femmes savent que cela existe. »
La chirurgie est coûteuse. L’opération coûte généralement environ 300 euros dans un hôpital public, soit deux à dix fois le salaire mensuel moyen en Égypte. Effectuer la procédure dans une clinique privée peut coûter plus de 1 500 euros. Peu de gens peuvent se le permettre.
Réparer les femmes est une bataille, mais essayer d’éliminer les MGF est un combat, que le Dr Seifeldine mène depuis vingt ans. Il tente également d’effacer les stéréotypes qui servent à perpétuer cette tradition sanglante.
La recherche indique que cette pratique a été introduite il y a 2 500 ans, l’Égypte étant la première à adopter, ainsi qu’à exporter, ces mutilations dans les pays voisins. Les pharaons croyaient que chaque être humain naissait bisexuel et avait deux âmes, une femelle et une mâle. Selon leurs croyances, pour rendre une femme fertile, ses attributs masculins devaient être enlevés.
Voilà pourquoi le clitoris était sectionné avant l’arrivée des premières règles, une tradition qui a perduré au cours des siècles chez les chrétiens et les musulmans, en dépit de son absence dans les livres saints.
« Les MGF n’ont rien à voir avec la religion, alors toute personne prêchant en faveur de celles-ci va à l’encontre de sa propre religion et encourage la violence contre les jeunes filles », a déclaré Suad Abu-Dayyeh.
« Les MGF n’ont rien à voir avec la religion, alors toute personne prêchant en faveur de celles-ci va à l’encontre de sa propre religion et encourage la violence contre les jeunes filles »
Ensuite, il existe une croyance commune selon laquelle les filles sont trop portées sur le sexe.
« La femme arabe est jugée trop voluptueuse, infidèle et incapable de garder sa virginité avant le mariage. C’est dans l’imaginaire collectif », a déclaré le Dr Seifeldine. « C’est la raison pour laquelle elle est plus sujette aux MGF. »
Dalia Abd el-Hameed, responsable des droits sexuels au sein de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), a déclaré : « C’est fou. Tous ces hommes qui semblent savoir mieux que nous comment nos vagins fonctionnent… Nous parlons de religion, d’éducation, mais c’est avant tout une cause féministe, le droit de prendre du plaisir sur le plan sexuel ».
« Nous voulons notre droit à l’intégrité, notre droit de dire que nous aimons avoir des relations sexuelles. Nous le demandons et nous voulons en jouir. »
Freiner les MGF
Au cours des dernières années, une légère diminution des MGF a été observée grâce au travail des médecins, aux efforts de mobilisation des ONG et à la mise en place de campagnes de sensibilisation. L’enquête démographique et de santé (EDS) financée par USAID en 2014 a constaté une diminution de plus de 13 % des MGF chez les filles de 15-17 ans, par rapport à 2008, selon un rapport de l’ONU.
Parmi les mesures visant à lutter contre l’excision, l’Égypte l’a officiellement déclarée illégale en 2008 et a décidé de prendre des mesures juridiques en incluant une clause dans le Code pénal concernant les mutilations corporelles contre les femmes.
« La violation de l’intégrité physique et psychologique des femmes est aujourd’hui une infraction avec divers degrés de gravité. Les articles 240 et 242 prévoient la radiation pendant trois à cinq ans pour un médecin qui effectue une excision », a déclaré Reda el-Danbouki, avocat des droits de l’homme.
« L’article 236 prévoit trois à sept ans de prison pour des sévices qui entraînent la mort », a-t-il poursuivi. « Mais quelles sont les mesures prises pour les complices, infirmières, sages-femmes, parents et ceux qui encouragent et perpétuent cette pratique ? Cela soulève des questions quant à l’efficacité de la loi. »
L’année dernière, l’Égypte a pour la première fois envoyé un médecin en prison pour des MGF suite au décès d’une adolescente. Sohair al-Bata’a (13 ans) est morte après l’opération effectuée par le Dr Raslan Fadl en 2013. Son cas a suscité l’indignation parmi les observateurs locaux et internationaux, mais le médecin a finalement évité de purger la majeure partie de sa peine en se réconciliant avec la famille de l’adolescente. Il a été libéré après seulement trois mois derrière les barreaux.
« Le gouvernement est indifférent, c’est du pur marketing législatif, peu lui importe si cela fonctionne ou si c’est applicable ou non », a déclaré Dalia Abd el-Hameed de l’EIPR. « Nous devons encourager une plus grande sévérité, en particulier contre les médecins. Ils sont les plus responsables, ils ont les compétences médicales et assez d’éducation pour y mettre fin. »
À l’heure actuelle, le gouvernement propose une peine d’emprisonnement de deux ans et 6 000 euros d’amende pour les complices de MGF.
« Cela devrait être une peine de prison à vie applicable à tous les complices », a déclaré Hameed. « Nous voulons aussi ajouter un article pour permettre aux juges de suspendre les sanctions contre les complices, s’ils dénoncent le crime. C’est la seule solution pour briser la complicité.
« Actuellement, tout le monde est puni, c’est une pratique consensuelle entre les parents et les médecins. Il est injuste de punir les parents et les médecins de la même manière. Les familles manquent de sensibilisation, pas les médecins. Nous devrions également punir les responsables des installations médicales, surtout s’ils savent que les MGF sont très répandues dans leur hôpital. Nous devons faire peur aux médecins… mettre fin à leur impunité. »
« Il n’existe pas de réelle volonté d’éradiquer le problème », estime l’avocat des droits de l’homme Danbouki. « N’essayez pas de me convaincre que des MGF peuvent être commises dans les hôpitaux sans que l’État le sache. Même au sein du système judiciaire, on constate un désir de fournir des échappatoires aux auteurs, parce que certains fonctionnaires ne les voient pas comme un crime. »
Autonomisation des femmes
Les activistes anti-MGF conviennent qu’une meilleure éducation est la solution pour éradiquer cette tradition ; le démantèlement des fantasmes misogynes est également primordial.
« Certaines personnes ont théoriquement suffisamment d’éducation, mais nous passons beaucoup de temps à éduquer des médecins, ainsi que des juges, des procureurs et des avocats contre cette pratique », a déclaré Vivian Fouad, du Conseil national pour la population.
Les hommes doivent également être mieux informés. « Faire prendre conscience aux hommes que l’excision a un impact direct sur leur sexualité aiderait beaucoup », a déclaré le Dr Seifeldine.
Hameed a également soutenu que tant les hommes que les femmes doivent s’impliquer pour mettre fin à cette pratique. « Il s’agit de l’autonomisation des femmes », a déclaré Hameed. « Nous devons éduquer les femmes qui continuent à encourager cette pratique, convaincues que c’est le mieux pour leurs filles. Nous devons en outre déconstruire les fantasmes masculins à ce sujet. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’ignorance, mais aussi de patriarcat, de domination et d’autorité masculine sur le corps des femmes. Les hommes ont du mal à renoncer à leurs privilèges. »
C’est une position que partage Equality Now : « Beaucoup de prétendues raisons sont données pour justifier les MGF, mais c’est fondamentalement une question de pouvoir et de contrôle sur les femmes et les jeunes filles. Ce n’est pas une exigence religieuse, mais parfois la religion est utilisée comme excuse », a déclaré Suad Abu-Dayyeh.
« Les MGF sont commises parce que des hommes les souhaitent. Les femmes sont présentes quand elles ont lieu, mais elles sont faites pour les hommes. »
Le Dr Seifeldine se dit optimiste et a noté que, ces dernières années, les préoccupations soulevées par les hommes au sujet de cette procédure ont permis d’améliorer la transparence.
« C’est quelque chose qui est de mieux en mieux compris, puisque les Égyptiens sont de plus en plus ‘’européanisés’’ ». Pourtant, certains hommes en ont peur. D’autres ne savent même pas ce que c’est et ce à quoi ils vont être confrontés parce que personne n’en parle. »
Mohamed (31 ans), expatrié aux États-Unis depuis trois ans, a dit n’avoir jamais compris la prévalence de cette pratique. « Les MGF, qu’est-ce que c’est ? Attendez, nous faisons encore ça aujourd’hui ? » a-t-il demandé. « Je n’y ai jamais pensé, je n’ai jamais posé de questions là-dessus. »
Le défi est donc de réduire l’ignorance et la pression sociale, en particulier des hommes, en les éduquant à la réalité des MGF et en les convainquant qu’il est dans leur propre intérêt d’y mettre un terme. Les ONG et les autorités égyptiennes envisagent d’éradiquer les MGF d’ici 2030.
Vivian Fouad n’est pas si optimiste. « Ça va mieux », a-t-elle déclaré, « mais nous parlons d’une pratique de plus de 2 500 ans. Comment pouvons-nous imaginer que nous parviendrons à y mettre fin en cinq, dix ou quinze ans ? En vérité, cela prendra plusieurs générations. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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