« Le plan Trump est un projet d’annihilation » : les réfugiés du Liban en colère contre les dirigeants arabes et palestiniens
Au lendemain de l’annonce fracassante du plan « Vision pour la paix » censé apporter une solution au conflit israélo-palestinien, Oum Ahmad, une Palestinienne du camp de Bourj al-Barajneh, en périphérie de Beyrouth, ne décolère pas.
Alors qu’elle prépare des manakish (galette au zaatar ou au fromage) pour ses clients, cette mère de cinq enfants s’emporte : « Je suis en colère contre les rois et présidents des pays arabes et je dis à Trump, ce salaud, que son deal ne passera pas. Nous, les Palestiniens, nous allons continuer à nous battre pour notre terre, jusqu’à la dernière goutte de sang. »
« Je suis en colère contre les rois et présidents des pays arabes et je dis à Trump, ce salaud, que son deal ne passera pas. Nous, les Palestiniens, nous allons continuer à nous battre pour notre terre, jusqu’à la dernière goutte de sang »
- Oum Ahmad, réfugiée palestinienne
Pour cette réfugiée palestinienne d’une cinquantaine d’années, dont la famille est originaire de Kwikat, dans la région d’Acre, aujourd’hui située en Israël, l’« accord du siècle » du président américain Donald Trump est la goutte de trop.
« Nous, les Palestiniens, nous prenons les armes quand il faut. Moi, pendant la guerre des camps [entre le mouvement chiite libanais Amal et l’Organisation de libération de la Palestine de 1985-1987, durant la guerre civile libanaise], je suis allée au front », s’exclame-t-elle.
Sa colère n’épargne pas les dirigeants des pays arabes qui ont, à l’exception de la Jordanie et du Liban, salué le plan de paix de l’administration Trump.
« Comment les Saoudiens autorisent-ils les Israéliens à se rendre dans leur pays ? Il faut détruire ce royaume ! », lance-t-elle, alors que la presse israélienne relayait, le 26 janvier, une annonce du ministère de l’Intérieur d’Israël autorisant les ressortissants israéliens à voyager dans le royaume wahhabite. Une « normalisation » démentie par Riyad, dès le lendemain.
Oum Ahmad confie à Middle East Eye son ressentiment envers les leaders palestiniens. « Ils sont trop divisés, ils auraient dû s’unir depuis longtemps », juge-t-elle.
Cette opinion, plusieurs des réfugiés palestiniens du camp de Bourj al-Barajneh la partagent.
Poursuivre la résistance et l’intifada
Dans son échoppe de photographe installée dans l’une des rues animées du camp, Nasser Khazaal, le visage fatigué, reproche à Mahmoud Abbas de « ne pas avoir dissous l’Autorité palestinienne ».
Accoudé sur le comptoir de sa boutique, l’homme de 52 ans n’en démord pas : « Il faut une nouvelle génération de leaders palestiniens, de la même trempe que Marwan Barghouti [député de Ramallah et responsable du Fatah, emprisonné en Israël depuis 2002]. La seule issue pour la Palestine, c’est la résistance, il faut renier les accords d’Oslo et tous les accords signés avec Israël », martèle Nasser, en référence aux accords signés entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans les années 90.
« Finalement, le commandement palestinien est impliqué dans ce complot contre notre peuple. S’il y avait un véritable leadership palestinien, peut-être serions-nous revenus en Palestine depuis longtemps ! »
- Hassan, réfugié palestinien
« L’Autorité palestinienne ne peut pas opter pour le pouvoir et affirmer avoir en même temps le fusil à la main. C’est l’un ou l’autre. Même le Hamas n’aurait pas dû faire le jeu du pouvoir. Seul le Jihad islamique est resté un mouvement de résistance, il n’est ni au Parlement, ni au gouvernement, car il est contre les accords d’Oslo à l’origine », estime-t-il.
« Même si cela doit aboutir à une troisième intifada, les Palestiniens de l’intérieur doivent se soulever, nous ici, nous ne pouvons rien faire », déclare Nasser à Middle East Eye.
Mercredi, l’ensemble des factions palestiniennes au Liban ont appelé à une journée de colère et de grève dans les douze camps de réfugiés répartis sur le territoire. Les écoles et institutions officielles présentes dans les camps affichaient portes closes, les magasins étaient pour la plupart fermés. À Aïn al-Héloué, le plus grand camp de réfugiés en lisière de Saïda, au sud de Beyrouth, des centaines de manifestants ont brûlé des drapeaux américains et israéliens.
Hassan, un réfugié né il y a 29 ans au Liban, tient un discours similaire à celui de Nasser. « Finalement, le commandement palestinien est impliqué dans ce complot contre notre peuple. S’il y avait un véritable leadership palestinien, peut-être serions-nous revenus en Palestine depuis longtemps ! », déplore ce jeune homme brun, assis sur les marches de l’étroit cimetière dédié aux combattants martyrs de la bataille des camps.
« Ce plan, c’est un projet d’annihilation des Palestiniens. Ce que veulent les Américains comme les Israéliens, c’est que nous, en tant que peuple, nous disparaissions », lance-t-il avec amertume.
Aucun réfugié n’a oublié la Palestine
Sans emploi, Hassan ne cache pas son désarroi quant à son avenir. « Ici au Liban, la vie d’un chien est plus digne que celle d’un réfugié palestinien. On ne peut rien faire, on n’a pas le droit de manifester en dehors du camp, on n’a pas d’argent, pas de travail. Je n’ai même pas les moyens de payer la demande de réunification familiale pour rejoindre mon épouse au Canada, alors que mon fils va naître », confie-t-il.
Malgré le manque de perspectives d’avenir, le jeune homme ne perd pas espoir : « Inch’Allah, nous reviendrons sur notre terre ».
Les 174 000 réfugiés palestiniens – selon une étude publiée par le Bureau central des statistiques palestinien en 2017 – ne disposent que d’un accès restreint à l’emploi au Liban, avec 72 professions qu’il leur est interdit d’exercer, mais aussi à l’éducation et à la santé, les réduisant à vivre dans une situation plus que précaire. La moitié d’entre eux vit dans l’un des douze camps répartis sur le territoire.
Or, le plan Trump, encensé par les dirigeants israéliens, nie aux réfugiés palestiniens le droit au retour en Israël.
« Nous sommes peut-être faibles, mais personne ne peut nous voler la Palestine », souligne, comme en écho, Abed, travailleur humanitaire pour l’association Beit Atfal al-Soumoud.
« Même si cela doit aboutir à une troisième intifada, les Palestiniens de l’intérieur doivent se soulever, nous ici, nous ne pouvons rien faire »
- Nasser, réfugié palestinien
« Au sein de notre organisation, nous transmettons la mémoire palestinienne, ses valeurs, sa culture. À travers les générations, les plus jeunes sont sensibilisés à notre droit au retour », témoigne-t-il d’une voix posée.
« Regardez, j’ai un frère qui a émigré au Danemark, deux sœurs installées en Belgique, mais aucun n’a oublié que son pays, c’est la Palestine. C’est dans nos gènes », assure Abed.
« Cet accord, finalement, ça peut nous donner plus de force, plus de pouvoir pour nous y confronter. Le mal, c’est le sionisme, le fait que [le Premier ministre israélien Benyamin] Netanyahou veuille un État juif. Nous, nous n’avons aucun problème à vivre avec les juifs comme c’était le cas dans le passé. Nous sommes prêts pour la paix, mais eux, les sionistes, ils veulent effacer notre présence à travers la violence, le vol de nos terres », ajoute le travailleur humanitaire.
« Je suis confiant, il n’y a pas d’occupation qui dure pour toujours. Il faut nous unir entre Arabes et Palestiniens, sinon nous serons perdus », estime-t-il, convaincu que « l’intifada doit continuer, même s’il n’est pas nécessaire de recourir à la violence : il y a plein d’autres moyens aujourd’hui de résister, de faire pression pour nos droits ».
« Finalement, Donald Trump s’est mis d’accord avec Israël sur quelque chose, la Palestine, qui ne lui appartient pas », s’agace Nasser, qui pense toutefois que « tant que les Palestiniens ne sont pas à la table des négociations, ce plan n’aboutira à rien ».
« Le semblant d’État qu’il nous propose est dépourvu de souveraineté », lance le photographe. « Tout le monde a abandonné la Palestine, seuls le Liban et la Jordanie ont rejeté le plan, parce qu’ils ont peur de l’implantation des réfugiés sur leur sol », affirme-t-il.
Rejet unanime des dirigeants libanais
Au Liban, l’« accord du siècle » a fait resurgir en effet les craintes d’une éventuelle implantation des réfugiés palestiniens.
Le président libanais, Michel Aoun, a signifié son rejet du plan américain et son attachement à l’initiative de paix arabe adoptée en 2002 à Beyrouth, soulignant que la paix ne peut être obtenue que par la restitution des territoires palestiniens selon les frontières de 1967. Il s’est entretenu mercredi par téléphone avec son homologue palestinien Mahmoud Abbas.
Le Premier ministre libanais, Hassan Diab, a lui aussi exprimé son attachement à la Palestine dans un tweet. Nabih Berri, le président du Parlement, a estimé dans un communiqué que « Cet accord n’est qu’un pot-de-vin pour vendre les droits, la souveraineté, la dignité et les terres arabes palestiniennes avec l’argent arabe. »
« Le Liban et les Libanais ne seront pas des faux témoins dans la nouvelle peine de mort du peuple palestinien et de ses droits légitimes, notamment leur droit de retourner chez eux. Nous n’accepterons pas, qu’importe les conditions, d’être complices de la vente ou de l’échange de ces droits », a-t-il ajouté.
Le Hezbollah a estimé pour sa part que la présentation du plan était « un geste honteux qui n’aurait pas pu être fait sans la complicité et la trahison d’un certain nombre de régimes arabes ». Le Courant du futur de l’ancien Premier ministre Saad Hariri a également condamné le plan.
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