Le Ramadan au milieu des décombres de Gaza
Le moment du maghreb (la prière du soir) s’approche : dans quelques minutes, toutes les familles musulmanes de Gaza se réuniront autour de la table pour rompre le jeûne qu’ils doivent faire du lever au coucher du soleil. C’est un moment de pardon, réflexion et bonne volonté.
Pendant vingt ans, Saleh Abou Aser, 36 ans, a été fier de respecter ces mêmes traditions chaque année à l’occasion du mois sacré du ramadan. Mais cette année, c’est différent. Au lieu de se réunir dans leur agréable séjour, la famille de Saleh Abou Aser se retrouve à s’assoir sur une petite couverture étalée sur la superficie dure du sol exposé. La famille doit maintenant s’assoir sur ce qui reste de leur foyer, détruit pendant l’attaque militaire lancée par Israël l’été dernier.
« Nous avions un logement de 300 mètres carrés pour les 35 membres de notre famille, et maintenant tout ce qui nous reste est 30 mètres de ruines et de décombres », dit Saleh Abou Aser, alors que sa femme le rejoint avec un bol de roquette fraiche.
Dareen Abou Aser, la femme de Saleh, qui a aussi 36 ans et qui est dans un état avancé de grossesse, prépare des plats simples comme la salade au tahini, du riz mélangé avec du pain frais, et des jus de fruits dans ce qui est maintenant devenu littéralement une cuisine en plein air.
« J’avais une cuisine bien équipée, mais maintenant je dois faire la cuisine dans ce coin, près d’un mur qui risque de s’effondrer à n’importe quel instant », dit Dareen.
S’il venait à s’effondrer, la famille n’aurait nulle part où aller, et Dareen sait bien que l’option de se réfugier dans les écoles et abris gérés par les Nations unies n’est jamais une option sûre, puisqu’Israël prend ces installations civiles pour cible.
Ils se sont réfugiés dans les écoles des Nations unies pendant des mois après la guerre des 51 jours en 2014.
Cette guerre a fait 2 250 morts palestiniens, dont environ 551 enfants. Les Palestiniens de Gaza en sont rappelés maintenant, après la publication du rapport le plus récent des Nations unies, qui déclare qu’aussi bien Israël que la Palestine peuvent avoir commis des crimes de guerre.
Pourtant, la dure réalité du terrain ne semble pas avoir changé le discours des responsables de la communauté internationale, et la reconstruction de Gaza pour ses presque 2 millions de résidents semblerait être un rêve inaccessible, malgré les promesses d’aide.
Malgré toutes les difficultés, les soins et l’affection que cette mère prodigue à ses enfants (Riad, 8 ans ; Tasneem, 7 ans ; Intisar, 5 ans ; Maisa ; 3 ans, et Ibrahim, 2 ans) restent solides et constants. Elle réussit toujours à mettre de la nourriture sur la table et réunir ses enfants autour d’elle. La famille rend grâce et prie pour la liberté de célébrer leur foi et leurs traditions en paix, dans leur pays.
« Le ramadan est un mois de joie et bénédictions, et nous essayons de faire en sorte qu’il en soit ainsi, malgré les conditions épouvantables et la situation invivable », dit Saleh Abou Aser.
Saleh Abou Aser se rappelle du dernier Ramadan avec chagrin : pendant ce mois, il a perdu beaucoup de ses êtres chers, des obus de char israéliens ont déchiré leurs voisins en lambeaux, et leur quartier, Shejayeh, a été transformé en un tas de décombres. Pourtant, malgré ce cauchemar, ce qui reste maintenant est l’espoir d’un avenir meilleur.
« Nous sommes parmi le peu de familles qui habitent ici maintenant. Nous avons le sentiment d’être isolés, mais nous n’avons pas le choix. La communauté internationale nous a fait encore défaut avec la reconstruction de Gaza », dit-il à MEE, pendant que son fils, Riad, lui réclame à manger avec un sourire.
Après le repas de l’iftar, Dareen débarrasse les assiettes et range le petit morceau de tissu sur lequel s’assoit la famille. Elle s’arrête un instant et sourit en se penchant en avant sous le poids de son ventre. Encore un enfant sur le point de naître.
« La seule chose que nous pouvons faire, c’est de célébrer un ramadan aussi normal que possible pour nos enfants, avec les circonstances qu’Israël nous a données. Cette année, cela veut dire s’assoir dans les ruines de notre foyer détruit ».
Hier, le frère de Saleh a eu un enfant. Saleh l’a appris par un inconnu. Maintenant que sa famille est dispersée dans toute la ville de Gaza, il n’est pas toujours possible de se rendre visite
« Nous tous, les trente-cinq membres de ma famille, nous nous asseyions autour d’une même table pour notre iftar auparavant. Mais la guerre a réussi à nous séparer pour l’instant ». Saleh dit qu’il est maintenant encore plus déterminé à rester envie dans les lieux qu’il a toujours aimés. Ils n’ont peut-être plus leur séjour dans leur foyer, mais la détermination de sa famille de rester sur place vaut davantage.
« Apprends à aimer ton pays, apprends à aimer tes sœurs, et ne laisse jamais tomber tes valeurs », récite Saleh pour son fils Riad, dans un moment de réflexion avant de se préparer pour les tarawih (prières du soir).
Près des décombres de son foyer, les mosquées de Shejayeh témoignent de l’empreinte destructrice laissée par Israël. Alors que les années précédentes, ces lieux de culte rassemblait les fidèles, cette année elles sont en ruines.
L’Observatoire Euro-Méditerranéen pour Droits de l’Homme, une organisation qui œuvre pour les droits de l’homme basée à Gaza et à Genève, a comptabilisé 171 mosquées détruites, parmi lesquelles 62 furent en grande partie bombardés pendant des raids de l’armée de l’air israélienne pendant la guerre des 51 jours.
Les préfabriqués
Khuza’a, dans le sud de la bande de Gaza, est le village qui a vécu en état de siège pendant la guerre, subissant de nombreuses violations des droits de l’homme, y compris des tirs à courte portée.
C’est encore une journée de jeûne. Lorsque l’appel à la prière du maghreb commence, Ahmed Emish, 35 ans, père de quatre enfants, se tient dans la rue, à l’extérieur des bâtiments, pour prendre une bouffée d’air frais.
« Il n’y a pas vraiment d’air frais dans les maisons préfabriquées que des groupes de bailleurs de fonds nous ont fournies comme solution », dit-il.
« Notre ancienne maison et notre ferme d’élevage de poules nous manquent », ajoute Ahmed Emish, qui nourrissait sa famille et soutenait d’autres avec son travail dans la ferme. Avant la guerre, il faisait des dons aux œuvres de bienfaisance, et maintenant lui et sa famille dépendent de la charité.
Les maisons mobiles préfabriquées ont été la source de beaucoup de souffrance pour les familles sans abri à Khuza’a, et encore plus maintenant avec la chaleur estivale.
« Vivre dans ces structures préfabriquées ne serait même pas bon pour des animaux », explique Ahmed.
Il y a 160 maisons préfabriquées à Khuza’a, où une famille moyenne de six membres, comme la famille d’Ahmed, vit dans une chambre dans laquelle ils doivent préparer les repas, manger, dormir, se laver et aller aux toilettes.
« Le sol et le toit sont rouillés, et il y a des fuites d’eaux usées dans la chambre », dit Ahmed pour décrire le moment, qui aurait dû être agréable, où sa famille se réunit pour le repas d’avant l’aube, le suhur.
« L’eau a envahi notre maison à 2h30 du matin, lorsque ma femme s’apprêtait à se lever pour préparer le repas de suhur. Les eaux usées recouvraient le sol. Essayer de préparer un repas dans ces conditions, c’est inimaginable », explique-t-il.
Les promesses faites par les ONG de secours d’urgence ne se sont pas traduites dans les faits sur le terrain. Les familles manquent de nourriture, et les enfants vivent dans des conditions sanitaires précaires.
La puanteur des eaux usées non traitées pourrait assommer n’importe qui, mais Ahmed essaie de maîtriser la fuite, en faisant l’eau sortir de leur petite chambre. Ces chambres préfabriquées sont destinées à un usage d’urgence à court terme pour héberger les réfugiés après la guerre, mais elles semblent être devenues une réalité à long terme si la reconstruction n’est pas rendue possible autrement. Israël avait promis à Ahmed que s’il quittait sa maison, sa famille serait en sécurité. Mais à leur retour, leur maison était complétement démolie.
« Cette année, le ramadan est fade », dit un enfant qui passe. Les enfants n’ont pas d’argent pour les feux d’artifice et les cadeaux traditionnels.
À travers le regard d’Ahmed, le ramadan laisse un souvenir de destruction de tout son quartier, de sa ferme, et des chars d’assaut et des balles d’Israël qui ont massacré ses poules. Lorsque MEE lui demande de se rappeler d’un moment de joie d’un ramadan précèdent, il dit en souriant : « Je me rappelle des beaux jours dans notre grand jardin, où nous avions l’habitude de prendre notre repas familial, préparé dans une grande et moderne cuisine américaine ».
Traduction de l’anglais (original) par María Baile Rubio.
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