Les civils d’Alep s’accrochent à leur survie alors que la bataille pour la ville fait rage
ALEP, Syrie – Jamana al-Ahmed tourne son robinet : rien ne sort. Elle appuie sur l’interrupteur et reste dans l’obscurité. Dans son habitation de fortune dans le centre d’Alep, elle se cache des bombes et des patrouilles de shabiha – les forces paramilitaires pro-gouvernementales tant craintes – qui traquent et enlèvent ceux qu’ils soupçonnent de collaborer avec les rebelles.
L’avancée de l’Armée syrienne libre (ASL) pour briser le siège du gouvernement contre la ville, célébrée par ceux qui s’opposent au président Bachar al-Assad, a amené plus de terreur dans l’existence déjà terrible de beaucoup de personnes restées dans la ville.
Les combattants rebelles ont avancé depuis l’est vers les zones d’Alep contrôlées par le gouvernement à l’ouest, en ouvrant samedi des voies d’approvisionnement et en coupant les voies des forces fidèles à Assad, qui, de leur côté, ont lancé une contre-offensive violente et accentué les bombardements sur les zones et les lignes de front contrôlées par les rebelles.
Pour Jamana al-Ahmed, trop effrayée pour révéler son emplacement exact dans la ville, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que s’accrocher à sa survie.
« La situation sécuritaire est terrible depuis que l’ASL a lancé sa campagne acharnée [au début du mois] », a-t-elle expliqué.
« Les shabiha harcèlent les civils ici – ils se montrent suspicieux parce que l’ASL a pu progresser très rapidement dans une grande partie d’Alep. »
« J’ai entendu dire que des étudiantes ont été enlevées autour de l’université et que des maisons ont été pillées après que leurs occupants ont fui à cause des bombardements et des combats intenses. »
« À l’est, les bombardements sont quasiment quotidiens sur la rue du Nil et al-Souleymanieh, mais aussi à al-Hamdania, que l’ASL attaque ces derniers jours. Des civils se font tuer tous les jours, mais les gens ne prennent pas les bonnes précautions lorsque les combats arrivent. Ils se rassemblent dans les lieux publics et les rues pour regarder les avions dans le ciel qui larguent leurs bombes ! »
Jamana a expliqué que sa vie et celle de ses quatre enfants devenaient de plus en plus difficiles.
« Suite à la levée du siège dans les zones de l’est de la ville et après que les rebelles ont pris le contrôle de vastes zones de la route de Ramousa, une voie d’approvisionnement clé menant à la ville, il y a immédiatement eu une énorme augmentation des prix des produits de base et du carburant dans les zones de l’ouest de la ville qui sont encore sous le contrôle du gouvernement », a-t-elle indiqué.
« Avant, nous avions dix heures d’électricité par jour, mais c’est tombé à cinq heures au lendemain de l’avancée des rebelles. Même s’il y a des stocks de diesel suffisants pour durer au moins un mois. »
« Les services des eaux ont été pour l’essentiel inexistants au cours des deux dernières semaines : là où les robinets fonctionnent, c’est pour une période très courte, deux heures tout au plus. Les coupures d’électricité signifient également que nous ne pouvons pas avoir d’eau, parce qu’elle vient de pompes qui approvisionnent toute la ville. »
Les services médicaux sont également pleins à craquer alors que les blessés arrivent des lignes de front.
« Beaucoup d’ambulances entrent et sortent du bâtiment de sécurité militaire à proximité de l’endroit où nous vivons, a expliqué Jamana. D’après une de mes amies qui vit près de l’hôpital universitaire, il y a eu un grand nombre de blessés et de morts depuis le début des combats. »
Une source distincte a indiqué à Middle East Eye qu’au moins cent corps sont arrivés à l’hôpital au cours des trois derniers jours de la bataille.
Des attaques au phosphore blanc
Les forces rebelles ont consolidé leur emprise sur le quartier de Ramousa et sa voie d’approvisionnement vitale, la route de Ramousa.
Cependant, les représailles exercées par les forces gouvernementales et leurs alliés russes ont été dures contre le bastion rebelle de l’est d’Alep : selon des informations diffusées tôt dimanche matin, des avions russes ont largué des bombes au phosphore blanc sur un quartier résidentiel à al-Mashhad.
Middle East Eye s’est rendu sur le lieu de l’attaque présumée. Une odeur nauséabonde planait sur les débris d’explosions tandis que les habitants tentaient difficilement de freiner les incendies qui continuaient de sévir en faisant jaillir des panaches de fumée blanche épaisse ; les asperger d’eau n’avait que peu d’effet.
La fumée brûlait la gorge de ceux qui en inhalaient trop.
Le phosphore blanc brûle au contact de l’air, est difficile à éteindre et produit de gros nuages de fumée blanche épaisse, ce qui correspond exactement à ce dont MEE a été témoin.
Le nombre de victimes a heureusement été faible, mais le phosphore blanc peut brûler la peau et causer de terribles brûlures chimiques.
Originaire du quartier al-Mashhad, Khalid Khamees a été témoin des conséquences du bombardement au phosphore.
« Je suis descendu parce que le lieu du bombardement est à seulement une centaine de mètres de ma maison. »
« Dimanche matin, vers deux heures, des hélicoptères ont largué des bombes chargées de matières explosives et d’éclats d’obus inflammables – du phosphore – sur le quartier. Aucun civil n’a été tué à ma connaissance, mais certains ont été blessés. »
« Le bâtiment qui a été bombardé s’est effondré et a pris feu. Je n’ai jamais vu ce genre de bombardements à al-Mashhad auparavant. »
Plus d’affrontements à l’horizon
Les forces gouvernementales syriennes et les factions rebelles auraient envoyé des centaines de combattants en renforts à Alep ce lundi, les deux camps se tenant prêts pour une bataille cruciale pour le contrôle de la deuxième ville du pays.
Les forces rebelles ont annoncé samedi une tentative de prise de contrôle de toute la ville d’Alep, qui marquerait en cas de succès la plus grande victoire de l’opposition en cinq ans de guerre civile en Syrie. Mais les forces fidèles au président Bachar al-Assad opposent une résistance acharnée et ont commencé à faire affluer des renforts.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, environ 2 000 combattants pro-gouvernementaux en provenance de Syrie, d’Irak, d’Iran et du Hezbollah libanais sont arrivés à Alep depuis dimanche soir.
« Les deux camps amassent leurs combattants en vue de la grande bataille d’Alep », a déclaré Rami Abdel Rahman, directeur de l’observatoire basé en Grande-Bretagne.
D’après l’édition de lundi du quotidien Al-Watan proche du gouvernement syrien, l’armée a reçu « les renforts militaires nécessaires pour lancer la bataille pour reprendre les zones dont elle s’est retirée ».
Le quotidien a indiqué qu’une opération militaire des forces armées syriennes était « imminente [...] et inévitable ».
Dans un communiqué publié dimanche, l’Armée de la conquête – un groupe de milices islamistes combattant à Alep qui ne comprend pas le Front Fatah al-Cham, ancienne branche d’al-Qaïda connue sous le nom de Front al-Nosra – a annoncé « le début d’une nouvelle phase pour libérer tout Alep » et promis de « doubler le nombre de combattants pour cette prochaine bataille ».
À Istanbul, le chef de la Coalition nationale syrienne Anas al-Abdeh a déclaré à l’AFP qu’il était désormais confiant quant à la prise de l’ensemble de la ville.
« Je pense que c’est juste une question de temps. Cela va arriver, a-t-il affirmé. Nous voyons très clairement que les forces du régime ne sont pas en mesure de résister. »
« Malgré la force écrasante du régime d’Assad, de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah d’un côté, aucun camp ne sera en mesure de remporter une victoire rapide ou décisive dans la bataille pour Alep », a déclaré Samantha Power, ambassadrice des États-Unis à l’ONU, au Conseil de sécurité.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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