Les écologistes à la rescousse des merveilles naturelles de l’île libyenne de Farwa
ZOUARA, Libye – C’est un vendredi matin calme sur la côte ouest libyenne. Un groupe de bénévoles écologistes prend un bateau pour se rendre sur Farwa, une île inhabitée située au nord-ouest du pays, à proximité de la frontière tunisienne.
Les trois activistes ont garé leur voiture au port de pêche de la ville d’Abu Kammash – connue dans le coin sous le nom de « Bukamash » – avant de sauter dans un bateau minuscule. L’île est située à une courte distance mais les eaux sont peu profondes et ils devront parcourir les 200 derniers mètres à pied.
« Vous voyez ce bâtiment juste en face de nous ? C’est le palais », indique le volontaire Nader Azzabi, tandis qu’il patauge dans l’eau en montrant l’ancien phare. Selon Hannibal al-Hush, président de l’Association pour l’identité et le patrimoine, basée dans la ville voisine de Zouara, le phare a été construit par les Italiens dans les années 1920.
Après des années de pillage et de négligence, le patrimoine historique de nombreuses régions libyennes est si rare qu’il est facile de comprendre pourquoi le seul bâtiment de l’île s’appelle le « palais ».
En fait, le phare ressemble plus à un château miniature avec un seul rempart à partir duquel les navires étaient guidés vers ce qui était autrefois appelé la « quatrième côte de l’Italie » pendant la domination coloniale italienne en Libye, de 1911 à 1943.
Après des décennies de négligence, le comité d’urgence de Zouara s’est associé aux pêcheurs et aux bénévoles de Bado, l’association écologiste locale pour la protection du milieu marin et de la faune sauvage, en août dernier, pour nettoyer Farwa.
Pendant trois semaines, avec l’aide d’une excavatrice empruntée à une société italienne, ils ont éliminé la barrière physique qui bloquait le courant marin et reliait l’île au continent.
Des plages jonchées d’ordures
Ils ont enlevé des tonnes de déchets de l’île et ont également érigé une barrière pour protéger le phare de la montée du niveau de la mer.
« Ce sont les améliorations les plus visibles mais pas les seules », explique Sadiq Jiash, responsable du comité d’urgence à Zouara.
Depuis la petite tour ne faisant que dix mètres de haut, les volontaires expliquent que le phare se situe au milieu de cette île d’une quinzaine de kilomètres de long. L’extrémité est se situe au niveau du canal marin récemment rouvert dans le but de ramener les anciens courants et d’assainir les eaux.
Aujourd’hui, l’équipe marchera le long de la plage jusqu’au point opposé pour récupérer un traceur GPS qui marquait auparavant un nid de tortues marines. Les reptiles ont trouvé leur chemin vers la mer il y a plus de deux mois et le traceur n’est donc plus nécessaire.
Nader Ghariba, ingénieur électricien âgé de 45 ans et cofondateur de Bado, explique que l’association a été créée en 2013 et compte 30 membres « qui travaillent non seulement à titre bénévole, mais qui donnent également de l’argent leurs poches au besoin ». L’association dépend principalement des dons des habitants de Zouara.
« Les navires jettent leurs ordures dans les eaux et, comme vous pouvez le constater, beaucoup d’entre elles finissent ici »
- Nader Ghariba, membre de l’association Bado
« Je pourrais bien amener des groupes de visiteurs à cet endroit, sans la guerre », confie Azzabi, diplômée en tourisme de l’université de Zouara.
Emad Ashur, un membre du groupe, relève qu’ils ont collecté jusqu’à 50 tonnes de déchets en août et qu’ils pourraient en récupérer une quantité similaire à l’heure actuelle.
Les activistes recherchent une boîte en plastique blanche partiellement enfouie dans le sable. Elle apparaît sur une photo qu’ils ont prise lorsqu’ils ont trouvé le nid de tortues marines, et désormais, elle sert de marqueur de la position du GPS.
Tortues rares
Les tortues comptent parmi les habitants les plus célèbres de Farwa. Bien que la majorité d’entre elles soient des Caouanne, que l’on trouve partout dans le monde, l’île abrite également des tortues d’Égypte, une espèce en danger critique de disparition.
Ashur affirme que tomber sur l’une des deux espèces est un fait marquant pour les groupes scolaires que Bado emmène visiter l’île.
Farwa est une excursion idéale pour les familles ou les groupes scolaires. Les écologistes leur organisent souvent des visites guidées pour les sensibiliser à l’importance de l’environnement.
« Ces personnes ne savent même pas que tuer ces animaux est un crime »
- Emad Ashur, membre de l’association Bado
Mais il y a aussi ceux qui arrivent armés de fusils, lors de l’escale faite par les flamants roses sur l’île pour se reposer avant de reprendre leur migration vers le sud. C’est à cette époque que les selfies de Libyens posant avec des « trophées de chasse » à plumes roses apparaissent sur les réseaux sociaux.
« Ces personnes ne savent même pas que tuer ces animaux est un crime », déclare Ashur, en sortant un poncho en plastique vert de son sac à dos pour faire face à la pluie battante.
Le sable blanc sous nos pieds nus s’étend à perte de vue, de même que les ordures. On pourrait facilement imputer toutes les bouteilles en plastique à des visiteurs occasionnels, mais les retrouver dans la même proportion à près de cinq kilomètres à pied du phare indique clairement que la plupart des déchets sont apportés par la mer.
« Les navires jettent leurs ordures dans les eaux et, comme vous pouvez le constater, beaucoup d’entre elles finissent ici », explique Ghariba, soulignant le fait que l’île est inhabitée.
Les trois hommes commencent à creuser dans le sable à la recherche du dispositif qui a été placé pour marquer la position du nid de tortues marines, mais la recherche s’avère difficile.
Après une heure, ils abandonnent et décident de rentrer, mais pas les mains vides, car les bénévoles ramassent maintenant les déchets dans des sacs en plastique sur le chemin jusqu’au phare.
« Je le fais deux à trois fois par semaine et je ne me fatigue jamais », insiste Ashur, qui tente de gérer sa charge de plus en plus volumineuse.
De retour sur le bateau en partance pour le port, un pêcheur qui vient de jeter son filet dans l’eau agite la main pour nous offrir du poisson.
« Les gens commencent à se rendre compte que Farwa est un trésor unique qui nous appartient et qu’il est de notre devoir de le protéger »
- Sadiq Jiash, responsable du comité d’urgence à Zouara
Une minute plus tard, deux dauphins espiègles apparaissent à tribord. Ils sautent dans une manœuvre parfaitement synchronisée jusqu’à ce que les eaux deviennent trop peu profondes pour qu’ils puissent continuer.
La vidéo prise par les écologistes de l’île avec leurs téléphones portables circule déjà sur les réseaux sociaux avant leur arrivée au port.
« Les gens commencent à se rendre compte que Farwa est un trésor unique qui nous appartient et qu’il est de notre devoir de le protéger », affirme Jiash, du comité d’urgence.
Toutefois, il n’est pas facile d’entreprendre des activités de préservation sous quelque forme que ce soit en Libye, alors que plusieurs gouvernements luttent actuellement pour le pouvoir dans ce pays déchiré par la guerre civile.
Abondance naturelle
Bado a son siège sur la place grise de Zouara – surnommée la « Piazza » depuis l’occupation italienne – au rez-de-chaussée d’un hôtel dont les fenêtres ont été brisées en 2011 pendant la guerre civile libyenne, avant même son inauguration.
À l’intérieur, ses murs sont recouverts de photos colorées de tortues marines, de flamants roses et de quelques lézards verts qui, selon Bado, sont endémiques de Farwa.
« Toutes les photos ont été prises sur l’île de Farwa, à une quarantaine de kilomètres d’ici à peine. C’est là que nous concentrons le principal de notre énergie », explique Shokri Dahe, président de l’association.
Sur une carte de la côte accrochée au mur, Dahe explique comment l’ancien dirigeant Mouammar Kadhafi a lancé en 2004 un projet de plusieurs millions de dollars visant à construire un immense complexe touristique à Farwa. Ce plan prévoyait 1 770 chambres d’hôtel, un parcours de golf et une marina qui pouvait accueillir 150 bateaux.
En raison de la guerre civile de 2011, seule la première étape du projet – la construction du pont terrestre transformant Farwa en une péninsule – a été exécutée, mais ses effets ont été dévastateurs.
« Ils ont relié physiquement l’île à la côte, bloquant ainsi les courants marins et rendant les eaux entre l’ancienne île et le village voisin de Bukamash putrides », explique l’activiste en montrant l’île en forme de doigt, transformée en péninsule, sur la carte derrière lui.
Le déversement incontrôlé de déchets provenant de l’usine pétrochimique située à proximité d’Abu Kammash, connue sous le nom de GCCI, a ajouté au drame. L’usine rejette des poisons tels que le mercure et le cadmium qui s’infiltrent dans l’environnement et, à mesure de la décomposition, les habitants affirment que leurs effets s’aggravent.
Selon Dahe, Bado a envoyé des échantillons d’herbe, de terre et d’eau de la région à un laboratoire tunisien pour analyse en 2013. Il a confirmé que les oliveraies environnantes, les dattes ainsi que la terre et ses vers sont empoisonnés. Et en raison de la guerre et de l’instabilité actuelles, ainsi que du manque d’expertise pour déclasser le site, presque rien n’a été fait pour les contenir.
« Lorsque nous parlons de l’importance de l’environnement, beaucoup le considèrent comme un luxe, une frivolité au milieu du désastre que connaît actuellement la Libye. Ils ne comprennent pas que cela peut être aussi fondamental que ce que vous mangez et, ici, c’est ce qui vous tue », déplore Dahe.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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