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Les FDS combattent l’État islamique dans les rues de Manbij

Middle East Eye a eu un accès exclusif à la ville assiégée de Manbij, où les combats font rage entre les Forces démocratiques syriennes et l’État islamique
Des combattants des FDS guident le correspondant de MEE à travers les rues de Manbij (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

MANBIJ, Syrie – Les forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les États-Unis se battent depuis plus de deux mois contre des militants du groupe État islamique (EI) à Manbij, une ville regorgeant de combattants étrangers de l’EI.

Une frappe aérienne vise une position de l’EI à quelques centaines de mètres de nous, faisant trembler le bâtiment. Les combattants locaux continuent de boire leur thé. « C’était probablement une frappe aérienne française », explique un combattant local.

Cette opération est peu couverte par les médias car peu de journalistes étrangers ont réussi à pénétrer dans le nord de la Syrie.

Un volontaire français portant le nom de code Heval Gulhat reste également calme alors que la frappe aérienne de la coalition atteint la position de l’EI.

« D’abord, je suis venu ici pour combattre, et ensuite, je suis venu ici pour me battre contre l’EI », me dit-il. « Ici, Daech nous attaque comme il le fait en France ; c’est un ennemi commun », ajoute-t-il.

Les lignes de front peuvent être dangereuses. Un journaliste de la télévision locale a récemment succombé à des blessures subies alors qu’il couvrait l’opération.

Des bombes placées en bordure de route ont blessé des civils qui tentaient de fuir.

Vendredi, les FDS ont décidé de restreindre temporairement l’accès pour les journalistes après que l’EI a ouvert une brèche dans les lignes de front et massacré des dizaines de civils dans le village arabe de Buyir.

Encore plus dangereuse peut-être est la menace constante posée par les snipers de l’EI retranchés dans les bâtiments.

« Vous ne pouvez pas quitter votre maison parce que Daech place des snipers sur les toits », rapporte Abd Ali Nasr, un civil déplacé.

En conséquence, les rues sont oblitérées par des rideaux en de nombreux endroits pour apporter une couverture, mais certaines rues sont à découvert et vous devez courir. « Vite, vite », m’exhorte un combattant local des FDS tandis que je traverse la rue.

Un combattant des FDS à Manbij, où des rideaux sont accrochés pour offrir aux rues une protection contre les tireurs d’élite (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

Un combattant des FDS est amené, en sang après avoir été touché par la balle d’un sniper de l’EI.

« C’est une bataille de rue en rue et une bataille pour les snipers. Les armes lourdes et les chars ne peuvent plus être utilisés », explique Ahmed Mohammed, un membre du centre de presse des FDS qui nous sert de guide. Il nous dit que nous devons partir maintenant après la blessure du combattant. « Nous devons vous protéger et assurer votre sécurité. »

Un combattant met en garde contre le fait de s’aventurer plus loin dans la ville car les lignes de front ne sont pas fixes et les maisons et bâtiments changent facilement de mains.

Des combattants des FDS nous guident à travers les rues encore parsemées de mines et d’engins explosifs improvisés. Ahmed pointe une couverture sale. « C’est un cadavre de Daech », dit-il. « On n’a pas encore eu le temps de l’enterrer, alors nous l’avons couvert. »

Une école primaire locale du centre-ville de Manbij est toujours ornée de drapeaux de l’EI, mais il est impossible d’y pénétrer. « N’entrez pas dans ce bâtiment, on ne l’a pas encore sécurisé et il est fort probable qu’il soit encore miné », explique Mohammed.

L’école locale a été utilisée comme siège par l’EI (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

Il n’y a pas de documents de l’EI éparpillés aux alentours car ils ont été collectés à des fins de renseignement. « Vous ne trouverez pas de documents, tout a été pris par les renseignements », indique un combattant local.

Les renseignements des FDS ont saisi plus de 10 000 documents appartenant à l’EI, notamment des affiches, des téléphones portables, des ordinateurs portables, des cartes et d’autres appareils, avait indiqué un peu plus tôt le colonel Christopher Garver, porte-parole de la coalition menée par les États-Unis.

« Ces informations sont en train d’être exploitées afin de mieux comprendre les réseaux et les techniques de Daech, notamment les systèmes servant à gérer le flux de combattants étrangers en Syrie et en Irak », avait-il ajouté.

Pendant ce temps, des civils fuient tous les jours Manbij tandis que les Forces démocratiques syriennes se rapprochent de plus en plus du centre. Les enfants du coin font des signes de victoire en soutien aux FDS ou demandent du pain.

Aux urgences de la ville d’Abu Kalkal, les civils blessés sont traités avant d’être transportés vers la plus grande ville de Kobané. L’hôpital manque de médicaments et de matériel.

On entend des pleurs et des cris de femmes alors qu’un garçon est soigné après avoir marché sur une mine.

Isra Muslim, une jeune fille de 12 ans aux yeux noirs innocents, a été gravement blessée lorsqu’elle a marché sur un explosif de l’EI. « Mon père est venu et m’a pris par les mains, car je ne sentais plus mes jambes », raconte-t-elle.

Le 19 juillet, l’opposition syrienne, le gouvernement syrien et les groupes de défense des droits de l’homme ont accusé des avions de la coalition d’avoir commis un massacre dans le village d’al-Tokhar, tout en ignorant la mort de centaines de civils arabes aux mains des tireurs d’élite et des explosifs de l’EI.

Tant l’opposition que le gouvernement syrien ont exigé une interruption des frappes aériennes, mais des habitants du coin affirment que les principaux problèmes sont les mines et les snipers de l’EI.

Jusqu’à présent, les FDS ont proposé deux initiatives pour évacuer les civils de la ville, mais l’EI n’y a pas répondu. Les militants du groupe savent que la bataille serait bientôt finie pour eux s’il n’y avait pas de civils pour entraver les frappes aériennes.

Abu Noor, un Turkmène de Manbij de 41 ans, raconte que les snipers de l’EI ont tué son beau-frère et blessé sa sœur et leur enfant de 2 ans quand ils ont essayé de fuir la ville. « Je ne suis pas sûr que l’enfant soit toujours vivant ; nous irons à l’hôpital plus tard », précise-t-il.

« Daech tue notre peuple », ajoute-t-il. « Les avions, ils traquent l’EI, ils ne tuent pas les civils. L’EI prend des civils comme boucliers humains. Nous espérons que l’EI sera anéanti », dit-il. « Abu Bakr al-Bagdadi est un chien, et un fils de chien », ajoute-t-il.

« L’EI est sans cœur et ne représente pas l’islam. »

Shamsa Mohammed (50 ans), qui s’est échappée la veille, rapporte à MEE que l’EI tue les civils qui tentent de fuir. « Nous sommes heureux d’être ici, nous le célébrons. Pendant le Ramadan, nous n’avions rien à manger », dit-elle. « Ils ne permettent à personne de sortir, s’ils nous avaient capturés, ils nous auraient détruits », poursuit-elle.

L’histoire d’Abu Ahmed (70 ans), pseudonyme d’un civil déplacé, est similaire. « Lorsque nous avons essayé de nous échapper, Daech nous a tiré dessus et mon fils a été touché », raconte-t-il. « Les Kurdes ont pris soin de mon fils et ont dit qu’ils apporteraient de la nourriture pour ma famille et moi », ajoute-t-il.

Néanmoins, nuance-t-il, dans certains cas, des civils sont bel et bien tués par les frappes aériennes de la coalition.

« Les Américains ne prévoient pas d’attaquer des civils, mais parfois des civils se font tuer. Quand vous jetez une pierre les yeux fermés et qu’il y a dix enfants, il est certain que vous toucherez l’un d’eux, et c’est un avion », dit-il.

Les civils démentent un reportage de la BBC selon lequel la vie est mieux sous l’EI. « Ma famille est encore à Manbij et je ne peux ni les appeler ni pénétrer dans Manbij », dit Abd Ali Nasr. « Comment la vie serait meilleure sous Daech ? Ils portent des robes de femmes, entrent dans les maisons et tuent les gens. Bientôt, les civils pourraient attaquer Daech. Ils prennent les civils à la gorge », confie-t-il à MEE. « Il n’y a pas de pain, pas de nourriture, pas d’eau et des gens sont malades », ajoute-t-il.

Les femmes semblent particulièrement soulagées d’être libérées de l’EI, ôtant souvent les niqabs noirs qu’elles ont été contraintes de porter. Alors que j’interviewe un civil déplacé de Manbij, une mère demande à son fils de brûler son niqab devant nos yeux.

Mustafa Manbij, un commandant du Conseil militaire de Manbij au visage austère, arrive tandis que nous quittons un silo à grains à partir duquel les snipers des FDS ciblent les positions de l’EI. Derrière lui, de la fumée s’élève d’un véhicule qui a explosé ou suite à une frappe aérienne, alors qu’il sort d’un véhicule blindé de fabrication locale qui semble venir d’un Mad Max.

Le commandant local Mustafa Manbij parle à MEE de la campagne (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

« Est-ce que vous travaillez pour Orient TV [chaîne pro-opposition] ? » demande-t-il d’un ton méfiant avant d’accepter finalement de parler avec moi. « Environ 50 à 55 % est sous contrôle, mais l’opération continue à avancer trop lentement parce que nous devons d’abord libérer les civils. L’EI utilise des civils comme boucliers humains, alors nos unités spéciales tentent de les libérer. Nous sommes prêts à payer le prix pour les libérer », affirme-t-il.

Il rejette les informations qui suggèrent que des combattants des FDS ou que des frappes aériennes de la coalition dirigée par les États-Unis ciblent les civils. « L’EI les utilise comme boucliers humains et les pousse sur le front. Celui qui dit le contraire ment, aide et soutient l’EI », assure-t-il.

Les responsables kurdes suggèrent que les appels demandant l’interruption des frappes aériennes de la coalition en soutien aux FDS ont pour but d’empêcher les Kurdes de créer une région fédérale en territoire continu en reliant les cantons de Kobané et Afrin.

« L’EI est comme un stylo avec lequel nous dessinons la frontière vers Afrin », déclare à MEE depuis Kobané Riaad Temmo, un homme politique kurde du Parti de gauche. « C’est la même chose au Kurdistan irakien où les peshmergas contrôlent désormais la zone de Shingal à Kirkouk. Le sang kurde est l’encre de ce stylo qui dessine nos nouvelles frontières », continue-t-il.

« L’opposition syrienne dit que la Syrie ne doit pas être divisée et doit être contrôlée par une seule puissance », indique Idris Nassan, un ancien responsable kurde, dans sa maison à Kobané.

« Ils ne veulent pas que cette campagne continue et atteigne Afrin », ajoute-t-il. « Même le gouvernement n’aime pas les avancées des FDS, mais il ne peut pas faire grand-chose puisque les FDS sont soutenues par les Américains. »

Samedi dernier, le porte-parole du Pentagone Peter Cook a réassuré les FDS du soutien des États-Unis. « C’est un endroit [Manbij] depuis lequel nous sommes convaincus que l’EI a prévu des attaques à l’extérieur de la Syrie », a-t-il déclaré. « Ce qui rend d’autant plus important le fait que ces forces locales que nous soutenons puissent s’emparer de ce territoire et chasser l’EI de cette région, et cela exige le soutien aérien de la coalition que nous continuerons à leur apporter. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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