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Les habitants désespèrent tandis que les forces anti-EI avancent sur Manbij

Le conseil municipal de cette ville du nord de la Syrie affirme que des dizaines d’appels à l’aide arrivent à chaque heure, mais des craintes subsistent concernant une libération menée par les Kurdes
Les Forces démocratiques syriennes tirent sur des cibles de l’EI près d’Aïn al-Issa, le 27 mai 2016 (MEE/Wladimir van Wilgenburg)

KOBANÉ, Syrie – La lutte pour reprendre Manbij, un bastion du groupe État islamique (EI), s’intensifiait mercredi, des sources indiquant que la ville (située au nord de la Syrie) pourrait tomber dès la semaine prochaine.

La coalition de lutte contre l’EI dirigée par les États-Unis a jusqu’à présent réalisé près de 20 frappes aériennes près de cette ville stratégique, rasant le siège de l’EI, les tours de communication, plusieurs ponts et d’autres objectifs clés, a annoncé la coalition dans un communiqué.

Ce soutien aérien intervient au lendemain du lancement par les forces démocratiques syriennes (FDS), dirigées par les Kurdes et soutenues par les Américains, d’une attaque sur la poche Manbij, dans l’espoir de couper les lignes de ravitaillement de l’EI et de juguler le flux de combattants étrangers.

« Douze mille combattants, Arabes pour la plupart, ont lancé l’offensive sur trois fronts – le barrage de Tichrine (60 km au sud de Kobané), le pont Qara Qozaq (40 km sud-ouest de Kobané) et al-Shamiya », a déclaré Idris Nassan, un ancien haut-responsable kurde. Il a estimé que neuf villages ont été pris jusqu’à présent.

« Les opérations visent à diviser les territoires contrôlés par l’EI dans la campagne du nord de Raqqa et Alep et d’empêcher tout ravitaillement et toute arrivée de renforts à travers le poste-frontière de Jarablus contrôlé par l’EI et situé à la frontière turque », a-t-il ajouté.

Des sources sur le terrain ont confié à Middle East Eye que la ville a souffert sous le joug de l’EI et que sa population se désespère de voir Manbij débarrassée des combattants extrémistes.

« Ça donne envie de rire et pleurer en même temps. La ville a connu les persécutions, la pauvreté, la faim, le sang et la persécution des femmes », a déclaré cheikh Farouk al-Mashi, qui dirige le nouveau conseil de 43 membres pour la ville de Manbij.

Le conseil est actuellement abrité juste en dehors de la ville et attend d’entrer dans la ville dès sa capture.

Mashi a déclaré à MEE qu’il recevait d’innombrables messages de personnes demandant de l’aide, des dizaines d’appels arrivant à chaque instant.

L’EI aurait effectué des décapitations et des exécutions presque tous les jours depuis sa prise de la ville en janvier 2014, des dizaines de personnes ont été arrêtées et auraient été torturés et des peines sévères ont été prononcées pour une pléthore de crimes.

« Même en courant ce risque, ils nous appellent, mais les gens sont fatigués », a rapporté Mashi. « À cause de ces appels téléphoniques et de ces messages, ces civils pourraient être décapités. »

Abu Mohammed, civil kurde de 35 ans qui a fui la ville il y a un an, mais qui a encore de la famille dans les prisons de l’EI, a affirmé à MEE que lui et ses proches ont tous été persécutés parce qu’ils sont kurdes.

« J’ai été emprisonné pendant trois mois avec mon frère et mon père », a-t-il raconté. « La torture est inimaginable. Parfois, vous voyez des corps massacrés, sans tête. Je n’ai rien vu "d'islamique" à leur sujet. Lorsque j’ai été arrêté, ils m’ont attaché les mains et m’ont attaché au toit – ça fait très mal.

Ils vous torturent jusqu’à ce que vous admettiez que vous appartenez à l’ASL [Armée syrienne libre], au PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] ou aux YPG [Unités de protection du peuple]. À force de torture, certaines personnes veulent seulement mourir, alors elles avouent en être membres et sont exécutées. »

Trop grande ambition kurde ?

Cependant, en dépit des tactiques dures de l’EI, les différents milieux ethniques et religieux des habitants de la ville et ses environs (70 à 80 % d’entre eux sont sunnites) ont soulevé des questions quant à savoir si le courant des forces opposées à l’EI sera en mesure d’éviter d’attiser les ressentiments sectaires.

Le conseil est composé de 70 à 80 % d’Arabes et des responsables américains de la défense ont insisté sur le fait que l’offensive est « menée par les Arabes » et que « moins de 20 % des combattants engagés dans la lutte viennent des YPG ».

Mashi a déclaré à MEE que les YPG ne participent même pas à la campagne pour libérer la ville, mais les informations sont très mitigées : l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme réfute cette assertion et précise que les YPG dominent l’offensive.

« Nous sommes une force libératrice, nous ne sommes pas des occupants », a martelé Mashi, tout en exhortant les gens à rester chez eux jusqu’à ce que l’offensive anti-EI se termine et s’engageant à offrir la sécurité dès que les combattants seront chassés.

La Turquie s’est par le passé fermement opposée à l’offensive sur Manbij, de crainte que les Kurdes n’utilisent cette opération pour ouvrir un couloir reliant les villes kurdes de Kobané et Efrin, qui se situe à proximité immédiate de la frontière avec la Turquie.

Toutefois, des sources sur le terrain ont insisté pour faire de la reconquête de la ville la priorité numéro un.

Mohammed, l’ancien détenu kurde, a déclaré : « Quatre-vingt à quatre-vingt-dix pour cent des Arabes n’aiment pas l’EI, parce que tout est interdit. »

Abu Zaid, un civil de 46 ans qui a quitté Manbij il y a deux semaines et a utilisé un pseudonyme pour des raisons de sécurité (sa famille est encore dans la ville), a confié à MEE que la vie s’était fortement dégradée sous le règne de l’EI.

« Les gens en ont assez de l’EI, nous ne disposons pas de la télévision par satellite, le carburant est cher et les pompes à eau sont interdites », a-t-il énuméré.

« Après la libération du barrage de Tichrine, le nombre de personnes décapitées par jour est passé de 15 à 20 personnes en représailles, parce qu’ils savent que les gens de Manbij soutiennent l’administration locale [dirigée par les Kurdes à Kobané]. »

Abu Zaid a ajouté que ses parents, encore en ville, étaient anxieux et très « stressés ».

« Certaines personnes disent que les Kurdes vont nous punir, mais on ne s’en soucie pas », a-t-il déclaré, tout en ajoutant qu’il croyait que l’ASL et non les YPG « libéreront » la ville.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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