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Les jeunes, l’arme secrète de Kais Saied pour la présidentielle tunisienne

Selon un sondage, 37 % des 18-25 ans et 20,3 % des 26–45 ans ont voté pour Saied. Le dénominateur commun à cet électorat : un ras-le-bol des politiciens
Deux jeunes électeurs tunisiens, Abdelhedi Hamzaoui et son frère
« Kais Saied est clean, indépendant et digne de confiance. Nous avons besoin de quelqu’un qui se démarque de la politique partisane », confie Abdelhedi Hamzaoui (à droite) (MEE/Lotfi el-Ghariani)
Par Faïrouz ben Salah à TUNIS, Tunisie

Le président de la commission électorale tunisienne Nabil Baffoun a lancé un appel de dernière minute à l’attention des jeunes électeurs dimanche 15 septembre.

« Jeunesse de Tunisie, vous avez encore une heure pour aller voter », a déclaré Baffoun peu avant la fermeture des bureaux de vote. « Il faut sortir de nos maisons et voter, c’est un droit que nous avons pu avoir après la révolution de 2011 et qui a coûté des vies. »

« Les jeunes pensent que nous ne pouvons plus nous permettre d’accepter la corruption politique généralisée et les privilèges des responsables politiques en exercice »

– Safouane Trabelsi, cofondateur de 3ich Tounsi

Pour beaucoup de jeunes électeurs interrogés par Middle East Eye, c’est la révolution – conjuguée à l’absence de progrès et au sentiment de désillusion qui s’est construit depuis – qui les a empêchés de se rendre aux urnes.

« Je n’irai pas voter. La révolution tunisienne a été la plus grosse erreur jamais commise », affirme Ali Rihani, 20 ans, dans un taxi-bus reliant Tunis à Ben Arous, une banlieue de la capitale.

D’autres indiquent cependant à MEE que c’est justement ce désenchantement qui les a poussés à voter pour Kais Saied, un professeur de droit de 61 ans sans expérience politique qui a mené une campagne presque inexistante.

« Kais Saied est clean, indépendant et digne de confiance », confie Abdelhedi Hamzaoui à MEE. « Nous avons besoin de quelqu’un qui se démarque de la politique partisane. »

Mardi, la commission électorale a confirmé que Kais Saied et Nabil Karoui, le magnat des médias visé par une enquête pour blanchiment d’argent qui fait campagne depuis sa prison, s’affronteront au second tour de l’élection présidentielle, prévu le 12 octobre.

« Le candidat des étudiants »

Les jeunes Tunisiens semblent avoir donné un énorme élan à Saied. Un sondage réalisé par Sigma Conseil a révélé que 37 % des électeurs âgés de 18 à 25 ans et 20,3 % des 26–45 ans ont voté pour Saied, tandis que les électeurs plus âgés ont préféré Karoui.

« Kais Saied est le candidat des étudiants », explique à MEE Hatem Milki, porte-parole de Karoui, au sujet de leur rival.

« Il a l’image du professeur préféré des étudiants. Ils ne sont pas nécessairement plus conservateurs, mais les électeurs âgés de 18 à 25 ans ont une attitude différente vis-à-vis de l’État. Contrairement à leurs parents, ils ne considèrent pas l’État comme quelque chose de fonctionnel. »

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Selon Yassine Masri, une journaliste de 26 ans, Saied doit sa victoire au « système ».

Plus de jeunes auraient voté pour le candidat de gauche Mohamed Abbou si une campagne de dernière minute n’avait pas été menée contre lui par des partisans du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali, relève-t-elle.

« À la veille des élections, ils ont lancé une campagne de diffamation massive sur Facebook contre Mohamed Abbou, le candidat de gauche engagé dans la lutte contre la corruption politique. Sa popularité croissante parmi les jeunes les terrifiait », affirme-t-il.

Safouane Trabelsi, cofondateur du mouvement Aich Tounsi et chef du département de recherche du groupe qui participera aux prochaines élections législatives, ajoute que pour de nombreux jeunes électeurs, Saied fait écho à leurs plus grandes préoccupations face au statu quo.

« Les jeunes pensent que nous ne pouvons plus nous permettre d’accepter la corruption politique généralisée et les privilèges des responsables politiques en exercice, précise-t-il. Kais Saied représente le meilleur des deux mondes : c’est un novice en politique et un professeur de droit expérimenté aux valeurs traditionnelles. »

Dorra Rahoui, une étudiante de 19 ans, explique qu’elle avait dressé une liste de ses trois candidats favoris – Mohamed Abbou, le candidat du parti démocrate musulman Ennahdha Abdelfattah Mourou et Kais Saied – avant de la réduire.

« Il ne restait plus que Kais Saied », résume-t-elle en attendant son train pour Tunis en provenance de Ben Arous. « J’étudie dans sa faculté. Il est neutre, indépendant et plus fiable que les autres. »

Un moule brisé

Saied n’est toutefois pas le seul à avoir bénéficié des suffrages des jeunes.

Selon Safouane Trabelsi, le scrutin a brisé le moule, l’identité étant devenue, pour les jeunes, un facteur de motivation beaucoup moins important que l’économie.

« Je suis croyante, mais je choisis le candidat le plus cultivé et éduqué : Mohamed Abbou »

– Yousra Habouria, 25 ans

« Les lignes de démarcation classiques telles que celle entre les religieux et les laïcs, la gauche et la droite ou les progressistes et les conservateurs sont devenues floues », souligne-t-il. « L’économie est la plus grosse problématique. Les jeunes en ont assez des querelles politiques à un moment où la situation économique se dégrade. »

C’était le cas pour Yousra Habouria, une électrice de 25 ans : « Je suis croyante, mais je choisis le candidat le plus cultivé et éduqué : Mohamed Abbou. »

Hamza Oueni, 30 ans, affirme avoir voté pour Youssef Chahed, le Premier ministre en exercice, car à 44 ans, il était le plus jeune candidat, même si Oueni ne semblait pas très enthousiasmé. « Je n’attends pas grand-chose de sa part, le rôle du président est simplement symbolique. »

Farah Louati, 20 ans, affirme qu’elle se rangerait derrière le candidat de gauche Mongi Rahoui. « Il est jeune mais expérimenté et il soutient les libertés individuelles et l’égalité sociale. »

« Le pays doit aller de l’avant et être moderniste », a déclaré Sandra Maarf, une ingénieure de 28 ans (MEE/Lotfi el-Ghariani).
« Le pays doit aller de l’avant et être moderniste », affirme Sandra Maarf, une ingénieure de 28 ans (MEE/Lotfi el-Ghariani).

Sandra Maarf, ingénieure de 28 ans, enroulée dans un drapeau tunisien devant le bureau de vote de Ben Arous, s’est dite particulièrement préoccupée par la situation économique du pays.

« Par amour pour mon pays, j’ai voté pour le candidat le plus dynamique et le plus jeune. Je veux quelqu’un qui investit dans l’informatique et la numérisation », argumente-t-elle. « Le pays doit aller de l’avant et être moderniste. Pour qui exactement ? Je préfère garder ça pour moi. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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