Les kadhafistes, le retour en grâce des ennemis d’hier
TRIPOLI – Revoilà les kadhafistes, et pas des moindres puisqu'il s'agit de Saïf al-Islam, le fils préféré du guide libyen déchu Mouammar Kadhafi.
Dans un entretien télévisé, Ghassan Salamé, le chef de la mission de l'ONU en Libye, a affirmé en septembre que le nouveau processus politique « pourrait inclure » Saïf el-Islam.
La condamnation à mort par le tribunal de Tripoli le 28 juillet 2015 ? Le mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale ? La disparition du principal intéressé depuis l'annonce en juin de sa libération par les brigades de Zintan qui le détenaient jusqu'ici ? Autant d'obstacles que ne semble pas considérer le diplomate libanais surtout si Saïf el-Islam peut débloquer une situation politique désespérée.
De retour sur la scène libyenne depuis quelque temps déjà, les kadhafistes se retrouvent cette fois au premier plan. Non pas en raison des propos du représentant de l'ONU, mais de ce qui se dit et de ce qui se fait à Tripoli.
Les mots, d'abord : « Les kadhafistes qui n'ont pas de sang sur les mains ont fait moins de mal à la Libye que les révolutionnaires qui ont favorisé la venue des terroristes ou qui pratiquent les enlèvements. » Cette phrase n'est pas prononcée par un Libyen excédé par le chaos ambiant mais par Hishim Bishir, conseiller sécuritaire du Premier ministre reconnu par les Nations unies, Fayez el-Sarraj et surtout ancien dirigeant du Supreme Security Coucil, brigade de tendance salafiste qui a sécurisé Tripoli durant l'après-révolution. Sollicité par Middle East Eye, le révolutionnaire ne voit rien à redire à l'éventuelle candidature du sulfureux Bachir Saleh, qui a présidé un fonds d'investissement libyen sous Kadhafi, à la présidence de la République.
Les actes ensuite : le jour de l'Aïd, Saadi Kadhafi (frère de Saïf al-islam), Abdallah Senoussi (ex-directeur du renseignement militaire de Kadhafi), Baghdadi Mahmoudi (ex-secrétaire du Comité populaire général, Mansour Daw (ex-chef de la sécurité intérieure) et Abouzeid Dorda (ex-chef de la sécurité extérieure) ont partagé avec des proches un fastueux repas dans un hôtel de luxe du bord de mer.
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Pourtant, le premier est sous le coup d'un procès pour meurtre et d'une enquête sur ses agissements durant la révolution, et les quatre autres ont été condamnés à mort le 28 juillet 2015 en même temps que Saïf al-Islam pour dix-huit chefs d'inculpation allant de la remise en cause de l'unité de l'État à insulte au peuple libyen, en passant par l'incitation au meurtre.
Ces anciens hauts dignitaires ne sont plus prisonniers, mais des hôtes aux mains, tout de velours, de Haythem Tajouri. Le 26 mai, le chef de brigade chasse Khaled Chérif, un ancien du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), de la prison al-Hadhba où lui et ses hommes surveillaient ces prisonniers de marque dans des conditions autrement plus sinistres.
« Mon frère a été jeté du deuxième étage de la prison parce qu'il refusait de renier Kadhafi. Depuis, il doit marcher avec une canne »
- Abdoullah Dorda
Le 2 août 2015, une vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Elle montre Saadi Kadhafi giflé, frappé sur la plante des pieds et forcé à regarder et entendre les cris de deux autres détenus en train d'être torturés.
Dans un rapport du 21 février 2017, le Haut-commissariat aux droits de l'homme de l'ONU cite un garde selon lequel des parents des victimes du massacre de la prison de Abou Salim – qui aurait fait 1 200 morts en 1996 – sont venus à al-Hadhba pour frapper Abdallah Senoussi, perçu comme le principal responsable de ce drame.
« Mon frère a été jeté du deuxième étage de la prison parce qu'il refusait de renier Kadhafi. Depuis, il doit marcher avec une canne », détaille pour MEE Abdoullah Dorda, le frère de Abouzeid Dorda.
Les cinq mousquetaires verts
Baghdadi Mahmoudi a, lui aussi, été frappé et humilié : « Lors d'un interrogatoire, un ministre de l'époque est venu et l'a aspergé de gaz », décrit un proche. Ils ont aussi pu goûter aux cages de 2 mètres sur 0,80 m « peintes en noires, sans matelas, ni lumière, avec une écuelle en plastique pour les besoins », détaille Hishim Bishir.
Quand il a pris la prison al-Hadbha, Haythem Tajouri a relâché des prisonniers kadhafistes – dont le nombre exact n'est pas confirmé – certains parce que leurs peines étaient achevées, les autres sans raisons apparentes.
Concernant les cinq mousquetaires verts, il les garde comme jokers, conscient d'avoir, avec ces cinq hommes, de quoi affermir son statut d'« homme fort de Tripoli », acquis ce printemps en expulsant de la capitale, avec l'aide de la force salafiste Rada, les forces armées de Misrata et les milices proches des islamistes armés comme le groupe de Khaled Chérif.
Alors, Haythem Tajouri les bichonne. « Ils sont tous ensemble dans un lieu qui n'est pas une véritable prison. On y entre comme dans un bâtiment classique. Mon frère a des habits normaux, il mange bien, il se déplace avec une canne depuis ses sévices à la prison al-Adhba mais il est bien soigné, il a accès à la télévision. Je peux venir le voir quand je veux », précise Abdoullah Dorda.
De là à ce qu'il joue un rôle dans la reconfiguration politique, il y a un pas que le frère de l'ancien directeur de la sécurité extérieure ne s'aventure pas à franchir. « Mais les Libyens savent que mon frère n'a pas de sang sur les mains et qu'il n'a jamais trahi son pays. »
« Ces cinq Libyens peuvent stabiliser la Libye. Ils représentent le maillon manquant de la réconciliation »
- Mehdi Bouaouaja, avocat
Maître Ali Dhouba, avocat de Baghdadi et de Dorda, estime tout à fait envisageable la libération de ses clients et des autres caciques kadhafistes : « La Cour suprême a toutes les preuves pour casser le jugement d'un procès qui n'en était pas un. De plus, ils sont tous éligibles à la loi d'amnistie votée par la Chambre des représentants de Tobrouk [votée le 29 juillet 2015, au lendemain des condamnations à mort]. »
Mehdi Bouaouaja, l'un des avocats tunisiens de Mahmoudi Baghdadi, avance aussi un argument politique : « Ces cinq Libyens peuvent stabiliser la Libye. Ils représentent le maillon manquant de la réconciliation. J'invite Ghassan Salamé à les rencontrer et à parler avec eux. »
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Ce qui sera plus facile que rencontrer Saïf al-Islam, aux abonnés absents. Quelques-uns de ses partisans commencent à douter qu'il soit encore vivant. Ils étaient certains que Saïf al-Islam allait parler à la télévision le 22 juin. Cette 27e soirée de Ramadan correspond à la nuit du Destin durant laquelle, selon le Coran, « descendent les Anges ainsi que l'Esprit. » Saïf al-Islam, lui, n'est pas apparu.
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