L’homme de la NASA à Gaza : « Nous devons voir au-delà des drones et viser les étoiles »
« J’ai décidé de passer de la vaste étendue de l’univers à une petite poche de terre de la planète », explique le professeur Suleiman Baraka, célèbre astrophysicien et scientifique palestinien à la NASA.
Au début de l’année 2016, il a quitté les États-Unis, où il travaillait à la NASA, pour retourner dans l’enclave côtière coincée de Gaza, affirmant qu’il a toujours ressenti une attraction magnétique qui l’appelait à rentrer chez lui.
Enfant, il était passionné et émerveillé par la physique. « Observer comment et pourquoi les choses se produisent est quelque chose qui m’a toujours vivement intéressé », raconte-t-il.
Il a obtenu sa licence à Gaza en 1978, puis son diplôme de maîtrise, avant de se voir proposer une place dans un programme de doctorat en France.
Plus tard, il est parti travailler aux États-Unis, à Virginia Tech, avec la NASA.
« Ce fut un tournant dans ma vie – dans la vie de tout jeune homme – que de travailler avec une organisation qui a développé et développe actuellement certaines des visions modernes les plus extraordinaires avec une réelle capacité à changer le cours de l’histoire » explique-t-il, assis dans son bureau, en se servant du peu de courant électrique dont il dispose entre les coupures pour transmettre ses données à ses collègues scientifiques à l’étranger.
Il se souvient de la première fois que l’un de ses professeurs américains l’a surnommé le « type de l’OLP », faisant peu de cas du fait que certains camarades de classe israéliens exprimaient leur mécontentement à l’idée d’avoir un Palestinien parmi eux. Aujourd’hui, Baraka en plaisante.
« Ce soir-là, les services de sécurité américains ont contacté mon responsable, parce qu’il y avait des pro-israéliens qui disaient que leurs enfants ne se sentaient pas en sécurité avec un Palestinien en classe et craignaient qu’il ne fasse sauter tout le monde ! », a-t-il raconté.
« Évidemment, c’est un stéréotype qui n’a pas de sens, et nous, les Arabes, ne devrions pas accepter cela », a-t-il indiqué à MEE en souriant et en secouant la tête.
Cependant, ses collègues scientifiques américains ont reconnu ses capacités en tant qu’astrophysicien et chercheur spécialisé dans la magnétosphère qui entoure la Terre. Le docteur David Sibeck, scientifique chargé de mission pour le projet de météorologie spatiale THEMIS de la NASA, n’a pas manqué d’éloges : « Le docteur Baraka représente exactement le type de chercheur adapté à la recherche sur les projets de l’ère spatiale : énergique, toujours curieux, capable de communiquer avec le grand public et le public spécialisé. »
« Ses talents résident dans le recours à des simulations numériques pour prédire des phénomènes qui peuvent être confirmés par les observations d’engins spatiaux de la NASA. En tant que tel, il incarne le meilleur dans la longue tradition de la recherche intellectuelle rigoureuse qui remonte à l’époque où les Arabes étaient en première ligne de la préservation et de l’amélioration de notre compréhension du monde qui nous entoure. »
Une perte personnelle et des conflits
La carrière brillante de ce scientifique d’une cinquantaine d’années dans le monde extérieur à Gaza a pris une tournure tragique après la perte de son fils de 11 ans lors d’une frappe aérienne israélienne en 2008. Il savait qu’il devait finir par rentrer à Gaza.
À la fin du mois de décembre 2008, il était assis à son bureau américain à la NASA, à Hampton (Virginie), lorsqu’il a entendu parler des bombes qui ciblaient l’est de Khan Younès ; quelques instants plus tard, il a appris que sa maison familiale avait été touchée par une frappe aérienne israélienne. Après une dizaine d’heures sans pouvoir joindre sa famille, il a su que son fils, Ibrahim, était mort.
« Il y avait toujours un débat dans ma tête autour de l’idée que le missile qui a frappé mon fils aurait pu être développé par des collègues avec qui je vivais et travaillais au quotidien. Je ne parvenais pas à me concilier avec cette idée. »
Auprès des Palestiniens, Baraka est considéré comme un héros qui, en toute conscience, a laissé derrière lui un poste prestigieux et qui, comme le missile qui a tué son fils, s’est dirigé vers Gaza, son pays natal.
« Mon fils a été tué ici », a-t-il souligné, se promenant autour de la maison désormais entourée d’arbres. Tous les rêves de faire venir sa famille aux États-Unis se sont envolés avec la mort d’Ibrahim.
Le professeur Baraka est le seul Palestinien de Gaza à avoir travaillé pour la NASA, bien que depuis les années 1960, un nombre considérable de Palestiniens aient travaillé pour l’agence spatiale. Cet accomplissement a été reconnu avec sa nomination au poste de premier président de l’UNESCO du Moyen-Orient, entre autres récompenses.
Il croit fermement que les Gazaouis devraient se tourner de nouveau vers les étoiles et réapprendre à maîtriser la science de l’espace, alors qu’il décrit l’histoire longue et ancienne de l’astronomie et sa place historique dans le monde arabe.
« Si vous regardez les catalogues d’astronomie, vous verrez que les noms les plus importants sont arabes », explique-t-il avec fierté au sujet de l’attention portée par ses ancêtres anciens sur la lumière ancienne des étoiles. « Notre histoire est également la leur. »
Après avoir travaillé plusieurs années à l’étranger et terminé sa mission pour la NASA avec toutes les merveilleuses installations spatiales à sa disposition, il est rentré chez lui avec le projet d’ouvrir le premier département universitaire d’astronomie à Gaza. Cependant, se procurer un télescope dans la bande de Gaza a constitué un obstacle.
« Gaza est comme un camp de concentration, fermé au reste du monde et à l’économie mondiale. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, vous pouvez acheter un télescope dans n’importe quel magasin d’optique et l’emporter chez vous en toute simplicité... Mais dans la bande de Gaza sous blocus, des étudiants enthousiastes et intelligents sont privés de cette liberté de choix », a-t-il expliqué.
Pourtant, Baraka n’a pas renoncé à son objectif de ramener la science spatiale et l’univers dans les écoles et les salles de cours universitaires locales. Une avancée significative a eu lieu en février 2010, lorsqu’« après quatre mois de contacts avec des diplomates amis, nous avons pu obtenir notre premier télescope éducatif pour observer les étoiles, les planètes et les galaxies », explique-t-il en affichant un large sourire. « Un télescope est un outil important pour éprouver une sensation de liberté et de mobilité depuis notre minuscule endroit sur terre. » Il y a aujourd’hui sept télescopes à Gaza.
Cet élan passionné visant à créer un département d’astronomie à Gaza a suscité l’enthousiasme et l’intérêt de nombreuses personnes.
Un héros local
Le premier soir lors duquel il a tourné le télescope vers le ciel, des centaines de personnes – dont des mères et leurs enfants – se sont rassemblés autour, impatients d’examiner les étoiles et les planètes à l’aide du premier télescope de Gaza.
« Je veux que Gaza contribue à la production de connaissances de la science mondiale », déclare-t-il tandis que les enfants observent la planète rouge Jupiter, la Voie lactée, Andromède la brumeuse et Cassiopée, les yeux écarquillés par l’émerveillement et la curiosité.
Le public a également apprécié l’importance du travail du professeur Baraka après que son profil et sa vision lui ont permis de devenir le premier président de l’UNESCO du Moyen-Orient.
« Aujourd’hui, je dois construire une nouvelle infrastructure pour les jeunes scientifiques – hommes et femmes – qui souhaitent contribuer à changer les choses dans la civilisation humaine, affirme-t-il. Ce sont le travail, le dévouement, la gestion et le leadership qui permettent de changer les choses », ajoute-t-il en remettant son travail à ses collègues en France.
Il ressent toujours la douleur profonde de la perte de son fils, l’événement qui a bouleversé ses horizons et qui l’a finalement fait revenir à Gaza en laissant la NASA et ses trésors technologiques derrière lui.
« Je n’oublie jamais mon fils. Il est là, parmi les étoiles, et j’ai assez de force pour supporter la perte que j’ai vécue et faire avancer mon âme afin d’explorer mes travaux de recherche. »
Sa décision de revenir a été en partie motivée par l’idée d’honorer l’école où étudiait son enfant, Ibrahim, avant que le missile ne l’emporte.
« J’ai rassemblé les anciens camarades de classe de mon fils et, avec l’aide du télescope, je les ai rapprochés de la lune. Je veux qu’ils ressentent du soulagement parmi les étoiles et les cieux, et qu’ils examinent les cieux librement », ajoute-t-il en serrant les enfants dans ses bras, tandis qu’ils racontent leurs souvenirs préférés de leur camarade.
Baraka souhaite que les enfants voient la beauté du ciel, au-delà de la crainte des F16 israéliens, des drones de surveillance et des hélicoptères Apache armés.
« Si vous croyez vraiment que vous vivez sur la terre des prophètes, alors vous devez être un messager, soutient-il. J’ai mon message, qui est de créer l’infrastructure éducative pour le développement d’une astronomie en Palestine. »
« Je veux enseigner à ces enfants la paix et l’amour, rien d’autre, indique-t-il. Nous devons voir au-delà des drones et viser les étoiles. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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