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Liban : une nouvelle initiative illumine les rues de Beyrouth

Rebirth Beirut redonne vie aux quartiers de la capitale libanaise après deux ans dans le noir
 Vu aérienne de Beyrouth plongée dans les ténèbres lors d’une coupure de courant en 2021 (AFP)
Vu aérienne de Beyrouth plongée dans les ténèbres lors d’une coupure de courant en 2021 (AFP)
Par Dario Sabaghi à BEYROUTH, Liban

Quiconque a survolé Beyrouth de nuit pour atterrir dans la capitale libanaise ces deux dernières années a été accueilli par une obscurité quasi-totale entrecoupée de quelques spots de lumière.

Bien que le Liban souffre de coupures d’électricité depuis des décennies, la crise économique que connaît le pays a accru l’instabilité énergétique et transformé Beyrouth, autrefois animée, en ville fantôme.

« La lumière, c’est la vie. S’il y a la lumière dans les rues, les gens peuvent rester dehors plus longtemps. Les magasins et restaurants peuvent rester ouverts plus longtemps »

- Samar Hawa, Rebirth Beirut

Non seulement l’effondrement financier qui a commencé en octobre 2019 a généré une crise multidimensionnelle qui vise tous les secteurs du pays, mais il a également laissé des millions de personnes à travers le pays souffrir dans le noir.

L’éclairage public et les feux de circulation ont cessé de fonctionner, tandis que chez eux, les gens doivent compter sur de coûteux générateurs diesel privés, car la société publique Électricité du Liban (EDL) ne peut fournir que quelques heures d’électricité par jour aux foyers, et encore. 

Au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, laquelle a fait plus de 200 victimes et a détruit en grande partie les quartiers environnants, plusieurs associations de citoyens et ONG n’ont eu d’autre choix que de combler le vide laissé par le gouvernement afin d’atténuer les effets des crises consécutives au niveau individuel et local.

Parmi elles figure Rebirth Beirut. Cette ONG libanaise a aidé les plus vulnérables touchés par l’explosion en leur fournissant des feuilles de plastique pour remplacer les vitres brisées, de la nourriture et un soutien médical, et a organisé des initiatives sociales et culturelles.

Puis elle a décidé d’illuminer les rues de Beyrouth. 

La ville de la vie

Fondée par Gabriel Fernainé en septembre 2020 en réaction immédiate aux conséquences de l’explosion du port de Beyrouth, l’organisation a rénové un bâtiment vide à Gemmayzeh, l’un des quartiers les plus endommagés par l’explosion, et l’a transformé en centre culturel.

Comme l’explique Samar Hawa, conseillère en projets et développement de l’organisation, la mission de Rebirth Beirut consiste à faire revivre la capitale et raviver l’espoir de ses habitants via une série d’initiatives, notamment l’illumination des rues, la réhabilitation des feux de circulation et la réparation des nids-de-poule.

« La lumière, c’est la vie. S’il y a la lumière dans les rues, les gens peuvent rester dehors plus longtemps. Les magasins et restaurants peuvent rester ouverts plus longtemps », indique-t-elle à Middle East Eye

« Nous avons eu d’excellents retours des habitants. Certains propriétaires de restaurants nous ont rapporté que leurs revenus avaient augmenté après avoir ramené l’éclairage public. Il y a plus de circulation des piétons et les gens se sentent davantage en sécurité en marchant dans les rues la nuit. »

Vue aérienne au crépuscule de voitures passant à côté de bâtiments non éclairés sur l’avenue Charles Helou dans le noir après une coupure de courant (AFP)
Vue aérienne au crépuscule de voitures passant à côté de bâtiments non éclairés sur l’avenue Charles Helou dans le noir après une coupure de courant (AFP)

Pour allumer l’éclairage public de Beyrouth, Samar Hawa explique que l’organisation compte sur des générateurs diesel privés et s’occupe de l’installation des câbles d’alimentation électrique en embauchant des électriciens. En retour, les citoyens qui alimentent les lampadaires en électricité via leur générateur bénéficient d’une ristourne sur leur facture.

Pour rebrancher les feux de circulation, l’organisation a installé des panneaux solaires soit à leur sommet, soit sur les toits des bâtiments proches des intersections.

À ce jour, l’ONG a illuminé une trentaine de rues à travers la ville et une quinzaine d’ensemble de feux de circulation ont repris du service.

Rebirth Beirut compte sur le financement de la part d’institutions privées et d’individus. Elle organise également des expositions d’art et utilise une partie des bénéfices pour lancer de nouveaux projets.

Hawa estime que vivre dans le noir a sapé le moral de la population et que le projet a procuré un sentiment de sécurité et stimulé l’économie.

« L’image historique de Beyrouth comme haut lieu de la vie nocturne disparaît dans les ténèbres. Mais lorsque la lumière revient, on se souvient que la véritable image de Beyrouth est celle d’une ville de vie », poursuit-elle.

Deux ans d’obscurité

Waleed, consultant technique qui possède un bureau aux parois de verre dans l’une des rues de Gemmayzeh qui ont été illuminées par l’organisation, dit avoir remarqué davantage de circulation dans la rue. 

« C’est une bonne initiative. Je vois plus de gens déambuler qu’avant, lorsque les rues étaient trop sombres pour se promener », déclare-t-il.

Gabriel Fernainé précise à MEE que cette initiative a été approuvée par le gouverneur de Beyrouth, Marwan Abboud, qui a délivré des permis pour lancer le projet.

« Dans cette situation, nous avons décidé d’illuminer la ville nous-mêmes. Nous ne pouvons attendre que le gouvernement le fasse. Nous attendrions trop longtemps »

- Gabriel Fernainé, fondateur de Rebirth Beirut

Quand on lui demande si les autorités ne devraient pas fournir elles-mêmes l’électricité à la ville, il explique que la municipalité ne peut fournir l’alimentation en raison du manque d’électricité à travers le pays, de la dévaluation de la devise locale et des problèmes financiers.

« Dans cette situation, nous avons décidé d’illuminer la ville nous-mêmes. Nous ne pouvons attendre que le gouvernement le fasse. Nous attendrions trop longtemps », indique Gabriel Fernainé. 

« Nous nous occupons également de la maintenance des éclairages publics. Nous n’attendrons personne parce que nous vivons dans le noir depuis plus de deux ans. »

Mona Harb, professeure de politiques urbaines à l’Université américaine de Beyrouth et cofondatrice de Beyrouth Urban Lab, rapporte à MEE que les répercussions de la crise énergétique à la fois sur les individus et la communauté ont été catastrophiques. 

« L’absence d’éclairage public et les rues sombres engendrent un sentiment d’insécurité chez la population après le coucher du soleil », décrypte-t-elle. 

« Par ailleurs, cela peut accroître le risque de blessures parce que vous ne savez pas où vous mettez les pieds et l’absence d’éclairage fonctionnel a un impact négatif sur la vie sociale. »

Elle cite quelques exemples des conséquences négatives de l’absence d’électricité sur le quotidien de la population, faisant valoir que l’absence d’électricité s’infiltre dans tous les aspects de la vie quotidienne. 

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Les personnes âgées qui vivent seules sans électricité et sans ascenseur sont bloquées chez elle à cause de leurs problèmes de mobilité. 

Les gens ne peuvent stocker leur nourriture dans les réfrigérateurs et celle-ci risque de se gâter, ce qui peut provoquer des intoxications alimentaires. Certaines personnes souffrent de coupures d’eau parce que les pompes à eau fonctionnent à l’électricité. 

Par ailleurs, lors des longues journées d’été et en hiver, les gens ne peuvent pas utiliser leurs ventilateurs, leurs climatiseurs ou leurs chauffages. Travailler depuis chez soi est difficile pour ceux qui ont besoin d’énergie pour cela. 

La pollution provoquée par l’utilisation massive des générateurs entraîne également un pic de problèmes respiratoires aigus. 

Anxiété généralisée

« Des études pointent l’augmentation du stress et de l’anxiété parmi les habitants du Liban parce qu’ils doivent trouver des solutions pour ces services essentiels afin de survivre », avance Mona Harb. 

« Ils doivent se soucier des conséquences des autres crises et ont du mal à trouver d’autres sources d’énergie pour leur famille ou entreprise. »

Selon Mona Harb, ce stress affecte la santé mentale de la population.

« Le stress persiste au niveau collectif, contribuant indirectement au stress au niveau personnel »

- Mona Harb, professeure à l’UAB

« Même s’ils trouvent des solutions à ces problèmes, le stress persiste au niveau collectif, contribuant indirectement au stress au niveau personnel », poursuit-elle.

Elle fait valoir que la municipalité de Beyrouth n’arrive pas à fournir les services de base à la population et délègue totalement cette mission de manière indirecte aux ONG et aux autres acteurs. 

« Il y a un vide qui se créée parce que les agences publiques ne jouent pas leur rôle efficacement en matière de fourniture de services à leurs concitoyens. Ce vide est comblé par les ONG et par les organisations politiques », indique-t-elle.

D’après Mona Harb, Rebirth Beirut est un cas atypique. L’association a trouvé une façon créative d’illuminer les rues parce qu’elle a constaté que l’absence d’éclairage public avait des effets délétères à la fois sur la population et la vie économique des artères commerciales. 

« Je ne suis pas sûre que cette initiative soit durable. Il faut trouver des fonds », concède-t-elle néanmoins.

« En outre, un tel projet n’est pas reproductible dans tous les quartiers de la ville. C’est une solution à court terme pour un problème bien plus structurel. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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