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Exploitation, mauvais traitements et harcèlement sexuel : la vie des réfugiées syriennes au Liban 

Dans la plaine de la Bekaa au Liban, la majorité de la main-d’œuvre est constituée de réfugiées syriennes, dont la vie est marquée par l’exploitation, la violence et le racisme
Khawla Hassan se tient dans un verger en dormance près d’Anjar, où elle creuse des trous destinés à l’irrigation (MEE/Philippe Pernot)

Khawla Hassan se penche pour creuser des trous autour des arbres qui donneront bientôt des pommes, des mangues et des prunes. Âgée de 38 ans et mère de huit enfants, elle a fui la ville syrienne d’Alep déchirée par la guerre et reconstruit sa vie avec sa famille au Liban.

Dans ce verger situé près de la ville d’Anjar, dans la plaine de la Bekaa, les arbres encore en dormance dansent dans la brise légère et donnent sur les montagnes enneigées du mont Liban. Khawla travaille ici presque tous les jours pour subvenir aux besoins de sa famille.

« Je n’aime pas travailler dans les champs. J’aimerais retourner à la couture, je serais chez moi auprès de mes enfants et je travaillerais en même temps », soupire-t-elle en se remémorant le métier qu’elle exerçait en Syrie. 

Selon une étude réalisée en 2021 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 85,7 % des travailleurs agricoles au Liban sont employés de manière informelle et la plupart d’entre eux sont des femmes.

« Les Syriennes représentent la grande majorité de la main-d’œuvre dans les champs. Et elles gagnent deux fois moins que les hommes pour le même travail », confirme Zeinab Dirani, agent de terrain pour Fe-Male, une ONG féministe implantée dans la plaine de la Bekaa.

Ces femmes forment une main-d’œuvre bon marché et remplaçable. Les réfugiés syriens ayant l’interdiction d’accéder à la plupart des professions au Liban, le travail dans les champs proches des camps de réfugiés est souvent le seul emploi que ces femmes peuvent trouver.

Des conditions de travail pénibles

En haute saison, le salaire journalier de Khawla ne dépasse pas les 100 000 livres libanaises par jour (environ 1 dollar, selon le taux actuel du marché noir).

Avec cette maigre somme, elle doit nourrir sa famille et payer 65 dollars de loyer et d’électricité par mois pour la tente qu’ils occupent dans un camp de réfugiés de taille moyenne près de Bar Elias.

« Mon mari est chauffeur de camion, mais nos deux salaires ne suffisent pas pour six personnes », explique Khawla.

« En hiver, le propriétaire ne nous paie pas, mais il nous laisse ramasser du bois gratuitement »

– Ali Ibrahim, réfugié

Et de novembre à mai, elle n’a même pas de salaire, puisqu’en hiver, la plupart des exploitations n’ont pas besoin de main-d’œuvre.

Pour le moment, son unique tâche consiste à s’occuper des vergers gérés par Ali Ibrahim, un concierge syrien qui vit sur les terres avec sa famille.

« En hiver, le propriétaire ne nous paie pas, mais il nous laisse ramasser du bois gratuitement », explique l’homme originaire d’Alep.

Khawla suit un emploi du temps serré.

« Je me lève entre 6 et 7 heures du matin, je prépare mes enfants pour l’école, puis je fais le ménage dans la tente avant d’aller au travail », explique-t-elle à Middle East Eye.

Ensuite, accompagnée des autres ouvrières agricoles syriennes, elle se met en route avec sa fille Ikhlass (16 ans) et son bébé de 2 ans pour rejoindre les champs qui les attendent pour leur journée de travail.

« On travaille tous les jours entre cinq et dix heures. On n’a pas de jours de repos ni de vacances », déplore la mère de famille syrienne tout en creusant autour des arbres.

Khawla porte son petit dernier toute la journée tout en travaillant, ce qui lui cause des douleurs chroniques.

« Je souffre constamment des jambes et des pieds. Je prends des antidouleurs, mais je n’ai pas toujours les moyens de me les procurer », explique-t-elle.

Livrés à eux-mêmes

Depuis 2019, le Liban traverse l’une des pires crises économiques au monde. Alimentée par l’effondrement de son secteur bancaire et la corruption des élites politiques du pays, l’inflation a atteint un niveau record.

Alors que l’huile de cuisson et le gaz deviennent inaccessibles, 82 % des Libanais et 97 % des Syriens au Liban vivent dans une pauvreté pluridimensionnelle.

Khawla et sa famille dépendent de l’aide limitée du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui est responsable des réfugiés syriens au Liban.

« Nous recevons une aide financière mensuelle de 5 millions de livres libanaises [environ 50 dollars] que nous ne pouvons utiliser que dans les supermarchés, qui nous bernent et gardent un pourcentage de notre argent », affirme-t-elle.

Des Syriennes originaires de Raqqa travaillent dans des champs près d’Anjar (MEE/Philippe Pernot)
Des Syriennes originaires de Raqqa travaillent dans des champs près d’Anjar (MEE/Philippe Pernot)

Elle se sent abandonnée par le HCR. « Ils n’apportent aucune aide à l’un de mes fils qui souffre d’un handicap. De plus, cela fait presque deux ans que nous attendons qu’ils ajoutent mon dernier à notre dossier familial », souligne-t-elle.

L’État libanais n’apporte aucune aide aux réfugiés syriens dans le pays. En 2022, dans le cadre d’une politique de « retour volontaire » visant à les pousser à retourner en Syrie, l’armée a effectué des raids dans les camps de la Bekaa pour confisquer des téléviseurs et des antennes paraboliques, un moyen parmi d’autres de faire monter la pression.

« Ils sont venus pendant qu’on dormait. Mon mari Mohammed est enregistré, donc ils ne nous ont rien fait. D’autres hommes sans papiers officiels ont été amenés au poste de police et battus avant d’être relâchés », raconte Khawla.

Sous la menace de violences

Si les réfugiés syriens sont confrontés au racisme et à la discrimination au Liban, la violence est souvent l’œuvre du shawish, l’homme chargé d’exécuter les ordres du propriétaire des terres dans les champs.

« Celui avec qui je travaille est raciste et se comporte mal. Nous sommes 40 à travailler pour lui et nous devons travailler comme des machines », soupire Khawla.

« Il nous traite comme des esclaves. »

« Ils nous hurlent dessus pour qu’on aille plus vite et nous insultent. Et si nous ne ramassons pas assez vite les légumes, ils nous frappent »

– Khawla Hassan, réfugiée

Les shawish emploient souvent la violence comme moyen de pression pour faire respecter les quotas de productivité. « Ils nous hurlent dessus pour qu’on aille plus vite et nous insultent. Et si nous ne ramassons pas assez vite les légumes, ils nous frappent », ajoute-t-elle.

Zeinab Dirani, de Fe-Male, abonde dans ce sens : « Sur le terrain, j’ai vu beaucoup de violence de la part des shawish, qui peuvent aller jusqu’à harceler sexuellement les femmes. »

Beaucoup gardent le silence par peur d’être sanctionnées ou licenciées. « La police n’est pas une option, car il n’y a aucune suite », explique l’activiste.

S’il leur est impossible d’échapper à la violence du shawish, les femmes n’ont d’autre choix que de s’accrocher et de se soutenir mutuellement. « Nous nous serrons les coudes. Si je tombe malade, une autre femme assure mes tâches quotidiennes », explique Khawla.

Des grèves informelles

Comme la plupart de emplois agricoles au Liban ne sont pas assortis d’un contrat formel, seule la confiance dicte la relation entre les employées et les supérieurs. Par exemple, les grèves informelles sont souvent le seul moyen pour les femmes d’exiger des augmentations de salaire.

« Les ouvrières ont cessé de travailler à de nombreuses reprises par le passé afin de faire pression sur les shawish pour qu’ils augmentent leur salaire », raconte Ibrahim, le concierge syrien.

Khawla Hassan est entourée de ses enfants dans la tente familiale, dans un camp de réfugiés à proximité de Bar Elias (MEE/Philippe Pernot)
Khawla Hassan est entourée de ses enfants dans la tente familiale, dans un camp de réfugiés à proximité de Bar Elias (MEE/Philippe Pernot)

Lorsque des ouvrières agricoles de la Bekaa se mobilisent par le biais de ces grèves informelles, tous les shawish de la vallée doivent se mettre d’accord sur un salaire journalier.

« Nous espérons être payées 6 dollars par jour lors de la prochaine saison », affirme Khawla.

Les ouvrières agricoles syriennes ont peu d’options pour exercer leurs droits. Comme le Liban ne les reconnaît pas officiellement en tant que réfugiées, elles sont privées de toute reconnaissance politique et de services sociaux.

L’espoir d’un avenir meilleur

Khawla est soutenue par sa famille, notamment par sa fille Ikhlass, avec qui elle partage ses tâches.

Lorsqu’elles reviennent des champs, un autre travail informel les attend. « On cuisine pendant trois heures et il nous faut encore deux heures pour nettoyer notre tente », soupire Khawla.

Elle doit également s’occuper de son fils de 7 ans, Hussein, qui nécessite davantage d’attention en raison de son handicap physique.

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« Parfois, c’est trop, je ne suis pas d’humeur, mais je dois garder le moral pour lui », confie la mère de famille, la voix fatiguée.

Il est 22 heures et le froid s’installe dans la vallée. La mère et la fille sont épuisées par ce qui leur paraît être une double journée de travail.

D’épaisses couvertures cachent les autres enfants, profondément endormis autour du poêle au centre de la tente.

« C’est pour eux que je travaille. Mon rêve est d’offrir à mes enfants une vie décente, avec un logement adéquat et une meilleure éducation », affirme Khawla.

Dans une autre vie, sa fille Israa (12 ans) deviendrait avocate et son fils Zakaria (16 ans) partirait en Allemagne pour devenir photographe.

Loin des champs que ces femmes rêvent de quitter, mais où elles retourneront inévitablement le lendemain matin.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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