« Rester à la maison ou nourrir sa famille » : le dilemme des réfugiés syriens au Liban
Le coronavirus proliférera-t-il dans les camps de réfugiés syriens ? Malgré des rumeurs persistantes, le virus aurait jusqu’à présent épargné les camps, d’après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui travaille néanmoins sur l’éventualité d’une contamination. Depuis le premier cas de COVID-19 confirmé au Liban, une femme en provenance d’Iran le 21 février dernier, le pays compte 663 personnes infectées et 21 décès.
« Nous travaillons avec les autorités libanaises et les ONG afin de prévenir la propagation du virus chez les réfugiés, notamment dans les installations surpeuplées que sont les camps informels », indique Lisa Abou Khaled, chargée de communication auprès du HCR, à Middle East Eye.
Différentes options sont à l’étude, comme l’installation de structures temporaires pour isoler les personnes contaminées ainsi que des hôpitaux de campagne capables d’accueillir des malades en soins intensifs et de pallier le nombre limité de lits dans les hôpitaux libanais.
Depuis le début du mois de mars, avant les premières mesures de confinement, des campagnes de sensibilisation et la fourniture d’équipements de désinfection ont commencé à être assurées en coopération avec l’UNICEF et différentes ONG en lien avec le ministère de la Santé.
« Nous avons aussi entraîné les leaders des différents camps afin que ceux-ci puissent diffuser les informations et les différentes mesures d’hygiènes dans leur communauté. Ils sont aussi chargés de faire remonter les cas suspects, c’est une première alerte », explique à MEE Joseph Awad, de l’ONG Beyond.
Les réfugiés pris entre deux crises
Depuis la mise en place des mesures de confinement, les employés des Nations unies comme ceux des différentes ONG œuvrant dans les camps de réfugiés ont opté massivement pour le télétravail, réduisant de facto les actions sur le terrain.
« Le confinement national a restreint les mouvements pour la plupart des travailleurs humanitaires. Mais notre équipe de secours est toujours opérationnelle et distribue des ressources alimentaires aux familles ainsi que des kits sanitaires », déclare à MEE Ziad Hakim, manager au sein de l’ONG Sawa.
Les mesures de confinement touchent de plein fouet les Syriens qui ont fui la guerre dans leur pays, venant s’ajouter à une crise économique sans précédent. À la hausse des prix des produits de première nécessité, s’ajoute une forte dévaluation de la livre libanaise. Le dollar s’échange désormais pour 3 000 livres contre 1 500 il y a encore six mois.
« Étant donné la forte promiscuité qui règne dans les camps, il est certain que la distanciation sociale et l’auto-isolement sont un luxe impossible pour les réfugiés »
- Ziad Hakim, ONG Sawa
Un taux de chômage qui s’envole dans les camps de réfugiés (généralement cantonnés aux travaux de construction et à l’agriculture), accentué par les mesures de confinement, vient aggraver la situation.
« Les réfugiés qui avaient encore un emploi avant la crise du coronavirus l’ont probablement perdu avec le confinement. La faculté du gouvernement et des humanitaires à limiter la diffusion du virus dépendra de leur capacité à fournir aux réfugiés ce dont ils ont besoin afin qu’ils n’aient pas à choisir entre rester à la maison ou nourrir leur famille », observe Nadia Hardman, chercheuse au sein de la division droits des réfugiés et migrants à Human Rights Watch.
« Étant donné la forte promiscuité qui règne dans les camps, il est certain que la distanciation sociale et l’auto-isolement sont un luxe impossible pour les réfugiés », note pour sa part Ziad Hakim.
Dans la Bekaa, l’impasse dans laquelle se trouvent les réfugiés syriens a fait une première victime. Au début du mois d’avril, un homme de 54 ans, originaire de Daraya en Syrie, s’est immolé par le feu et est décédé des suites de ses blessures à l’hôpital. L’homme n’arrivait plus à payer son loyer et était soumis à de fortes pressions financières.
Dans la Bekaa, la tension monte d’un cran
D’après un récent rapport de Human Right Watch, « au moins 21 municipalités libanaises ont introduit des restrictions discriminatoires à l’encontre des réfugiés syriens qui ne s’appliquent pas aux habitants libanais, dans le cadre des efforts pour lutter contre le COVID-19 ».
Selon l’ONG, huit municipalités ont limité les déplacements des réfugiés dès le début du mois de mars, entre 19 h et 5 h du matin, avant même la mise en place d’un couvre-feu sur l’ensemble du territoire.
« Ces mesures qui concernent uniquement les réfugiés ne sont pas justifiées », tranche Nadia Hardman.
Même dans un contexte d’état d’urgence, les lois internationales concernant les droits de l’homme interdisent à un pays de discriminer une partie de la population dans la mise en place de ces restrictions, explique-t-elle.
« C’est dans l’intérêt du pays que chacun ait accès aux services de santé afin de stopper le virus. Les mesures discriminatoires pourraient au contraire créer un environnement de peur à même de dissuader les réfugiés de chercher une aide médicale s’ils ont des symptômes », prévient la chercheuse.
« Les mesures discriminatoires pourraient au contraire créer un environnement de peur à même de dissuader les réfugiés de chercher une aide médicale s’ils ont des symptômes »
- Nadia Hardman, Human Rights Watch
À Brital, dans la région de la Bekaa, les réfugiés syriens ne sont autorisés à sortir de chez eux qu’entre 9 h et 13 h, uniquement pour des besoins d’urgence (pharmacie et alimentation), mentionne le rapport. En cas de non-respect de ces mesures, la police municipale peut procéder à la confiscation des pièces d’identité des réfugiés.
Dans la région du Liban-Nord, la municipalité de Dar Baachtar interdit aux Syriens de quitter leurs domiciles ou de recevoir des visites, des mesures qui ne touchent pas les habitants libanais de la commune.
Contactée par Middle East Eye, la municipalité de Brital, pointée du doigt dans le rapport, justifie la mise en place de mesures spécifiques concernant les réfugiés syriens en invoquant le manque de discipline de ces derniers.
« Notre municipalité a pris ces dispositions car certains réfugiés de Brital ont de la famille dans d’autres régions du Liban, comme à Tripoli, et ont quitté leur camps pour les rejoindre. Depuis que le COVID-19 est apparu là-bas et étant donné que les réfugiés sont peu enclins à respecter les règles de confinement, nous prenons nos dispositions. »
Dans la Bekaa, le discours sur l’irresponsabilité supposée des réfugiés syriens est partagée par certains habitants libanais.
« Je les vois se balader, rencontrer des gens comme si de rien n’était. Si tu leur parles du corona, ils répondent que notre sort est dans les mains de Dieu et qu’il n’y a rien qu’ils puissent faire contre sa volonté », regrette un habitant d’un village près de Rachaya, dans la Bekaa, joint par téléphone.
Une idée battue en brèche par les ONG sur le terrain. D’après Joseph Awad de l’organisation Beyond, qui travaille entre autres dans la région de Saadnayel, dans la Bekaa, les mesures de confinement sont respectées dans les camps de réfugiés et les rapports avec les voisins libanais sont apaisés.
Le fait qu’aucun cas n’ait été dépisté dans les camps jusqu’à présent aurait selon lui permis de désamorcer les éventuelles tensions, mais jusqu’à quand ?
« Ce dont nous avons peur, c’est que plus la pandémie dure, plus il y a de chances que des tensions apparaissent avec les populations locales, surtout concernant l’accès aux soins médicaux ou aux tests », souligne Ziad Hakim.
D’après des ONG sur le terrain, des affrontements ont opposé des réfugiés syriens du camp Abo Clinton et des Libanais armés réclamant sa fermeture dans le village de Ghazzé (Bekaa), mercredi, faisant plusieurs blessés de part et d’autre. Le village abrite plusieurs milliers de Syriens. Plusieurs habitants et réfugiés auraient été arrêtés.
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