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Libye : la bataille se joue maintenant dans le Sud

Acculé par son rival dans le Sud alors qu’il l’attendait à Tripoli, le Premier ministre Fayez al-Sarraj appelle la communauté internationale à l’aide
Le Premier ministre Fayez al-Sarraj a demandé à la communauté internationale une « intervention urgente » pour mettre fin au risque de « guerre civile » (AFP)

TUNIS - La bataille devait se dérouler à Tripoli, elle a finalement commencé 700 kilomètres plus au sud, dans la région de Sebha, la capitale du Fezzan, la région méridionale de la Libye.

L'autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par Khalifa Haftar, bras armé du parlement de Tobrouk à l'est du pays, a décidé d'attaquer frontalement les forces armées qui soutiennent le Gouvernement d'union nationale (GNA) basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale, en l'occurrence des brigades majoritairement issues de la ville côtière de Misrata.

Le 14 avril, pour la première fois depuis la révolution de 2011 selon l'association indépendante Fezzan Libya Civil Group, Sebha a été victime de bombardements aériens.

L'objectif principal n'est pas le contrôle de la plus importante ville du Fezzan, mais la mainmise sur la base aérienne de Tamanhent, 30 km plus au nord.

Fin mars, une colonne de véhicules armés arrive à Traghen, au sud de Sebha. Selon la population locale, les combattants estampillés ANL sont originaires du sud et de l'est du pays.

Le 5 avril, la base aérienne militaire de Tamanhent, à 30 km au nord de Sebha, est attaquée par cette force terrestre soutenue par des bombardements aériens. Le site est stratégique pour deux raisons : il s'agit de la principale base militaire du sud-ouest du pays et il représente une porte d'entrée pour l'accès aux champs pétroliers de la zone.

Le pipeline qui part du site de Sharara (exploité en majorité par le géant espagnol Repsol), le plus important de la région avec une production d'environ 220 000 barils par jour, est fermé depuis le 9 avril. Il s'agit du principal site d'or noir contrôlé à 100 % par le GNA depuis que Haftar a pris le contrôle du croissant pétrolier à l'automne dernier. Le ministère des finances du GNA a ainsi révélé par exemple qu'au cours du premier trimestre 2017, le revenu pétrolier a baissé de 44 % par rapport aux prévisions.

Conflits de basse intensité et cessez-le-feu précaires

Face à la menace, Fayez al-Sarraj, le Premier ministre du Gouvernement d'union nationale, en appelle à la communauté internationale en ajoutant de l'huile sur le feu. Dans une lettre ouverte adressée à l'Union européenne (UE), à la Ligue arabe et à l'ONU, il exige une « intervention urgente » pour mettre fin au risque de « guerre civile » si « l'escalade » militaire dans le sud n'était pas arrêtée.

Chercheuse spécialisée de la Libye au sein de l'ONG Crisis Group, Claudia Gazzini estime qu'il faut, au contraire, une « désescalade des tensions autour de Sebha. Il n'y aurait aucun intérêt à ouvrir un nouveau front militaire ».

Pour Frederic Wehrey, c'est déjà le cas : « Le Sud de la Libye est devenu le nouveau théâtre de l'affrontement national entre les forces alliés à Khalifa Haftar et les groupes armés soutenus par la ville côtière de Misrata et les factions de l'ouest », déplore le chercheur dans un récent rapport publié pour l'ONG Carnegie Endowment for International Peace.

Depuis 2011, les Tobous, les Touaregs et les tribus arabes de la région (Ouled Slimane, Gaddadfas, Warfallas, principalement) s’affrontent sans cesse dans des conflits de basse intensité entrecoupés de cessez-le-feu précaires.

Dernier exemple en date, fin mars, Tobous, Touaregs et Ouled Slimane signent un accord de paix à Rome sous le patronage de Abdelsalam Kejman, vice Premier-ministre du GNA.

Le 6 avril, l'Assemblée nationale toboue rejette cet accord au prétexte que les signataires tobous n'« étaient pas représentatifs » car ils étaient de Qatrun alors que les affrontements entre les trois communautés avaient lieu dans trois autres localités : Mourzouk, Sebha et Oubari.

« Il n'y aura jamais d'intervention militaire »

Cette instabilité, qui ne date pas de la fin de la Jamahiriyah de Mouammar Kafhafi, est aggravée, selon Frederic Wehrey, par les « interférences des acteurs du Nord » qui n'hésitent pas à payer et armer les jeunes en déshérence de la région pour les enrôler dans les troupes.

La missive de Fayez al-Sarraj montre également l'impasse dans laquelle se trouve le GNA pour répondre à l'offensive de Haftar. Le chef du gouvernement plaide pour une « intervention urgente », sans toutefois préciser la nature de cette intervention. « Il n'y aura jamais d'intervention militaire », assure un diplomate occidental.

Martin Kobler, envoyé spécial de l'ONU en Libye, devrait être bientôt remplacé (AFP)

Le fait que Martin Kobler, le chef de la mission de l'ONU en Libye sera bientôt remplacé, la relation tendue entre la Russie et les États-Unis, les élections à venir en Europe et spécialement en France, qui possède une base militaire à la frontière sud de la Libye, à Madama (Niger), sont autant de facteurs qui tendent à laisser penser au statu quo de la communauté internationale sur la question libyenne.

D'« où l'offensive de Haftar ici plutôt qu'à Tripoli qui aurait été plus compliquée militairement et politiquement », se félicite un Tobou pro-ANL de la région. « De la Libye sort toujours quelque chose de nouveau », écrivait déjà Aristote.

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