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Libye : les forces de Haftar accusées de crimes de guerre

Des parents décrivent comment des membres de leur famille ont été tués alors qu’ils tentaient de fuir les quartiers de Benghazi assiégée. Des organisations de défense des droits de l’homme se disent préoccupées
Des membres de l’ANL inspectent la tombe d’une personne inconnue à Ganfouda en janvier 2017 (AFP)

Le mois dernier, des habitants affamés d’un quartier assiégé à l’est de Benghazi ont été tués par des membres de l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar alors qu’ils tentaient de fuir à bord d’un bus pour trouver de la nourriture. C’est ce que racontent les parents des victimes à Middle East Eye. 

Selon le frère du chauffeur de bus, plusieurs membres de sa famille, dont sa mère, deux frères et une de ses sœurs, figurent parmi les 25 personnes tuées dans l’attaque alors qu’ils tentaient de quitter les quartiers de Ganfouda le 18 mars. La région est assiégée depuis 2014.

« Mon frère, Naser el-Jarari, conduisait un bus d’environ 25 personnes en direction du nord, à la recherche de nourriture et d’eau », raconte Ali Hamza el-Jarari à MEE. « Ils ont été attaqués, et la plupart ont été assassinés de sang-froid. La seule survivante de cette attaque dont nous avons entendu parler, c’est ma sœur Ibtisam Abdullah el-Jarari, qui a été emmenée dans un véhicule armé. »

Traduction : « Ibtisam, professeur d’université, école d’ingénieurs, Université de #Benghazi. Détenue par les milices pro-Haftar #Libye »

Ibtisam Al-Jarari, professeur d’université à l’école d’ingénieurs de l’Université de Benghazi. À gauche : avant le siège de Ganfouda (date inconnue). À droite : le 18 mars 2017 après plus de deux ans de siège à Ganfouda. Les deux derniers mois ont été les pires, sans eau, ni nourriture. Ils devaient survivre avec de la nourriture avariée. Elle a été faite prisonnière par les milices de Haftar avec sa mère de 76 ans, 2 frères et 2 sœurs. On pense qu’Ibtisam est toujours en détention, le reste de sa famille, cinq d’entre eux, ont été confirmés morts, tués lors d’exécutions sommaires, de balles dans la tête.

El-Jarari a partagé avec MEE les photos des conséquences de cette attaque présumée en précisant qu’il montrait les corps des victimes. MEE n’est pas en mesure de vérifier ces photos de manière indépendante.

À LIRE : Le monde laissera-t-il Ganfouda en Libye devenir le prochain Srebrenica ?

Guma el-Gatamy, chef du parti Taghyeer en Libye et membre du groupe pour le dialogue politique libyen, rapporte à MEE que les combattants loyaux à Haftar ont aussi déterré et mutilé les corps de personnes décédées ces dernières semaines.

« Il y a eu des meurtres de masse de civils, dont des femmes et des femmes, qui essayaient de quitter la zone de guerre. Ils ont empilé les corps et les ont brûlés. Ces exemples d’actes barbares et de violations de droits humains perpétrés par les combattants de Haftar ces dernières semaines constituent des crimes de guerre », ajoute el-Gamaty.

« La conduite déplorable des membres de l’Armée nationale libyenne dans ces vidéos, qui montrent des captifs dans défense se faire abattre, bafoue le droit international humanitaire et s’apparente à un crime de guerre », souligne Heba Morayef, directrice des recherches pour Afrique du Nord à Amnesty International. 

Responsabilités de crime de guerre

Ces inquiétudes au sujet des incidents rapportés ont été soulevées par Human Rights Watch (HRW). L’organisation a expliqué que les forces de l’ANL pourraient avoir perpétré des crimes de guerre et a appelé Haftar à ouvrir « une enquête complète et transparente sur ces récents crimes présumés commis par ses forces sous son commandement, dont des attaques de civils, des exécutions sommaires, la mutilation et la profanation de corps ».

Le 21 mars, Wanis Boukhamada, un porte-parole des forces spéciales de l’ANL, a dénoncé ces abus présumés et a appelé à ce que les responsables soient poursuivis et punis.

Mais dans une déclaration différente postée sur Facebook le même jour, un porte-parole de l’ANL a affirmé que les corps sur lesquels avaient été commis ces abus présumés avaient été enterrés dans une zone résidentielle et devaient être exhumés. Il a également prétendu que les corps de certains des combattants avaient aussi été sujets à de mauvais traitements dans le passé.

MEE a contacté l’ANL pour d’autres explications mais n’a jamais obtenu de réponse.

Martin Kobler, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, a déclaré qu’il appréciait l’enquête de l’ANL et a ajouté que des violations des droits humains avaient été commis dans toute la Libye. 

Dans une déclaration, Kobler a prévenu que les responsables pouvaient être pénalement tenus pour responsables devant la Cour pénale internationale (CPI).

Traduction : « Déclaration de @KoblerSRSG ‏: les violations des droits humaines et l'impunité doivent cesser en #Libye »

Selon El-Jarari, sa mère et quatre de ses frères et sœurs, ainsi que vingt autres civils, faisaient chemin vers Al-Sabri, un quartier au nord de Benghazi, à la recherche de nourriture, quand leur bus est tombé dans une embuscade des combattants de l’ANL.

Il explique que sa mère, Aalya Faleh, deux de ses frères, Ibrahim et Mahmoud el-Jarari, et sa sœur Fariha el-Jarari, ont été tués dans l’embuscade. Il ne sait rien du sort de son autre sœur, Ibtisam el-Jarari, professeur de mathématiques à l’Université de Benghazi.

El-Jarari précise qu’aucun des membres de sa famille n’a jamais pris les armes et que sa mère a toujours incité ses enfants à ne pas s’engager sur la voie de la violence.

« Même pendant la révolution, quand tout le monde se joignait au combat contre Mouammar Kadhafi, ma famille n’a jamais pris les armes. Ils ont toujours été 100 % civils, 100 % du temps. »

« Un camp pour affamer les gens »

Un autre parent d’habitants de Ganfouda raconte à MEE que l’ANL a maintenu ici « un camp pour affamer les gens », « avec la bénédiction de son chef Haftar ».

Le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli soutenu par l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme estiment qu’entre 126 et 133 familles de civils sont retenues prisonnières à Ganfouda.

« En faisant des déclarations qui justifient ces actes barbares, les chefs de l’ANL s’impliquent eux-mêmes dans ce qui semble être des crimes de guerre », a déclaré HRW le 22 mars.

En évoquant une vidéo dans laquelle un représentant de l’ANL semble suggérer qu’aucun garçon de plus de 14 ans ne serait autorisé à sortir de la ville en vie, Hanan Salah, un chercheur confirmé sur la Libye à HRW, explique : « L’ANL essaie de forcer les mères à partir derrière leur fils de 15 ans pour survivre. »

Tamim al-Gharyani, le chef du comité de crise de Benghazi, affilié au gouvernement de Tripoli, affirme que le nombre exact de civils tués n’a pas été confirmé en raison des difficultés de communication et les combats qui ne s’arrêtent jamais.

Selon lui, les civils assiégés comprennent des habitants de Ganfouda mais aussi des personnes déplacées des quartiers de Benghazi. Un nombre inconnu d’entre eux seraient aussi des travailleurs étrangers.

L’an dernier, le ministre soudanais des Affaires étrangères a déclaré qu’environ 200 de ses citoyens étaient pris au piège et que plusieurs avaient été tués.

Ganfouda est assiégée depuis 2014. À cette époque-là, les environs étaient le théâtre d’affrontements entre l’ANL de Haftar et des groupes de milices rivales pour le contrôle de l’Est de la Libye. L’ANL accuse les milices de se battre et les habitant de Ganfouda, de s’être ralliés à l’EI.

Les attaques de l’ANL sur Ganfouda se sont intensifiées en avril 2016. Les combattants ont parlé de frappes aériennes sur les maisons des civils, les écoles, les cliniques et les mosquées. « La détérioration des conditions de vie incluent les coupures d’eau, de nourriture et de médicaments. »

Free Ganfouda, un site militant basé au Canada rapporte également que des livraisons d’’aide humanitaire d’urgence ont été bloquées.

Dans un rapport publié en septembre dernier, Amnesty International a déclaré : « Le temps est compté pour les civils à Ganfouda, abandonnés à leur sort, pris au piège par les combats. Pendant que les bombes et les obus continuent à pleuvoir sur eux, les civils se battent pour survivre avec des aliments pourris et de l’eau souillée. »

« Les enfants n'ont plus que la peau sur les os à cause du manque de nourriture et des aliments de mauvaise qualité », témoigne un des habitants cités par Amnesty.

Une mère raconte que sa fille de 3 ans lui a demandé ce qu’est un concombre. « Les enfants rongent leurs ongles en se demandant quand leur jour viendra », ajoute un autre habitant.

Traduit de l'anglais (original).

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