« Made in Egypt » ? Le programme discret sur le textile qui rapporte des millions à Israël
LE CAIRE – Disney et d’autres marques figurent dans le collimateur d’activistes du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en raison de leurs liens avec un programme controversé qui permet aux fabricants égyptiens d’exporter des vêtements vers les États-Unis sans payer de taxes à condition toutefois d’utiliser des matériaux israéliens.
Ce programme promu discrètement, connu sous le nom de « Qualifying Industrial Zones » (QIZ), a été promulgué par le Congrès américain en 1996 dans le but de « normaliser » les relations entre Israël, l’Égypte et la Jordanie à travers une coopération économique.
Grâce aux QIZ, les fabricants israéliens fournissent au moins 10,5 % des matériaux utilisés dans un vêtement. Ensuite, les ouvriers égyptiens dans 705 usines certifiées QIZ cousent le produit final qui est exporté aux États-Unis et exonéré de taxes à hauteur de 5 à 40 %, mais généralement de 15 % en moyenne.
Quand un consommateur achète des vêtements de marques comme Gap, Levi’s et Ralph Lauren, selon le Conseil égyptien pour l’exportation de vêtements prêts-à-porter (ERGEC), il n’y a aucune mention de la composante israélienne sur les étiquettes des vêtements, qui indiquent seulement « Made in Egypt ».
Depuis le lancement du programme en Égypte, le pays a plus que doublé ses exportations de vêtements vers les États-Unis et a généré quelque 8,6 milliards de dollars, toujours selon l’ERGEC.
Cependant, le programme soulève des préoccupations majeures pour les Égyptiens qui rejettent la normalisation des relations avec Israël, un rejet qu’ils avaient exprimé au cours de manifestations contre les QIZ lors des soulèvements de 2011.
« Les QIZ sont détestées en Égypte parce qu’elles lient l’Égypte aux Israéliens », a déclaré Ramy Shaath, un coordinateur du mouvement BDS en Égypte.
Après presque sept ans de crise économique, l’Égypte cherche à se remettre sur pied en faisant passer son secteur de l’habillement et du textile à la vitesse supérieure et en profitant de la hausse des coûts en Asie de l’Est – une stratégie exposée lors de « Destination Africa », une conférence commerciale qui s’est tenue au Caire le mois dernier.
« Honnêtement, votre meilleur collaborateur est l’AIPAC… Saviez-vous que la plupart des membres de l’AIPAC ne connaissaient pas les QIZ ?”
- Une ancienne responsable du commerce américain à un diplomate israélien
Middle East Eye a déduit des conversations entre responsables commerciaux, diplomates et hommes d’affaires présents à la conférence que l’Égypte envisageait de renforcer ce secteur via les QIZ – et en utilisant le lobby pro-israélien, l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), pour le promouvoir.
« Honnêtement, votre meilleur collaborateur est l’AIPAC… Saviez-vous que la plupart des membres de l’AIPAC ne connaissaient pas les QIZ ? », a déclaré une ancienne responsable du commerce américain à un diplomate israélien.
Puisque l’AIPAC « dispose d’autant de pouvoir » et passe beaucoup de temps « sur la colline [du Capitole, siège du Congrès américain] », le lobby pourrait contribuer à soutenir le commerce et le « processus de paix », a déclaré l’ancienne responsable du commerce américain.
L’AIPAC et QIZ Égypte n’ont pas répondu aux demandes d’interviews formulées par MEE.
Toutefois, Shaath a déclaré qu’alors que l’Égypte multiplie ses QIZ, lui et ses homologues du BDS à Ramallah et en Jordanie – où des QIZ sont également en activité – prévoient des initiatives conjointes pour protester contre ce programme.
Un avantage fiscal
L’Égypte est très attrayante en tant que centre d’approvisionnement pour les entreprises de l’habillement et du textile en raison de ses bas salaires et de l’accès exonéré de taxes au marché américain, le plus grand acheteur de vêtements de la planète.
Le secteur représente actuellement 2,5 milliards de dollars d’exportations annuelles et emploie environ 1,5 million d’Égyptiens. Les responsables égyptiens présents à la conférence « Destination Africa », qui faisait la promotion du continent en tant que « nouvelle frontière » dans le secteur, souhaitent voir ces chiffres augmenter.
Les exportations exonérées de taxes donnent à l’Égypte un avantage notable sur la Chine, le Bangladesh et la Turquie, les trois plus grands producteurs au monde. Et l’une des façons d’y parvenir est d’utiliser le programme de QIZ.
« Les produits entrent aux États-Unis identifiés comme "égyptiens", mais si un produit est 100 % égyptien et ne fait donc pas partie des QIZ, il n’est pas exonéré de taxes », a déclaré Ramy Shaath.
Le QIZ, a-t-il ajouté, a été vendu abusivement aux Égyptiens lors de son lancement, le gouvernement promettant des exportations de plus de 4 milliards de dollars par an. L’Égypte voulait en fait un accord de libre-échange total avec les États-Unis, pas seulement des QIZ – et a attendu en vain.
« L’Égypte voulait un accord [de libre-échange] semblable à celui qu’Israël a conclu avec les États-Unis, pas un accord moindre. Fondamentalement, c’était une façon de pousser l’Égypte à accepter les QIZ », a déclaré Shaath.
Qui y gagne réellement ?
Si l’Égypte a pu doubler ses exportations vers les États-Unis depuis le lancement des QIZ, Shaath a indiqué que le programme a également été bénéfique pour les exportations israéliennes vers l’Égypte, qui ont connu un bond considérable, passant de 32 millions de dollars en 2004 à 93 millions de dollars l’année suivante, pour atteindre 125 millions de dollars aujourd’hui.
Hypothétiquement, pour les États-Unis, les pertes potentielles de recettes provenant des importations, calculées avec un taux d’imposition moyen de 15 %, sont estimées à 1,29 milliard de dollars depuis 2004. En parallèle, sur la base du niveau de contribution minimal requis de 10,5 %, les entreprises israéliennes ont pu gagner quelque 903 millions de dollars.
Comme l’a déclaré le responsable d’une imprimerie israélienne lors de la conférence « Destination Africa » : « Regardez, l’innovation est notre seul moyen de survivre [pour les entreprises israéliennes] ».
Cependant, selon Shaath, peu de marchandises israéliennes entrent réellement en Égypte car leur prix n’est pas compétitif.
« En gros, un Israélien vend une liste de produits mais il n’y a pas de produit réel. Les fabricants égyptiens se rendent compte qu’ils doivent payer 10,5 % aux Israéliens sous forme de commission pour pouvoir exporter aux États-Unis sans être taxés. Si cela est connu des douanes américaines, alors c’est illégal. Cela inculperait non seulement les Israéliens qui vendent des documents, mais aussi les usines égyptiennes qui les utilisent », a expliqué Shaath.
Le mouvement BDS cherche à mener une action en justice à ce sujet, a-t-il précisé.
Selon l’ERGEC, des allégations portant sur ces pratiques ont visé une entreprise égyptienne il y a environ trois ans. « Je peux vous assurer que cela ne se produit pas aujourd’hui », a déclaré un membre de l’ERGEC.
Alors que les QIZ ont sans aucun doute été bénéfiques pour l’Égypte, elles l’ont néanmoins été beaucoup plus pour la Jordanie. Avant l’accord sur les QIZ, en 1997, les exportations jordaniennes de vêtements vers les États-Unis ne s’élevaient qu’à 3,3 millions de dollars. En cinq ans, ce chiffre a atteint 1 milliard de dollars.
En 2016, la Jordanie a exporté 1,3 milliard de dollars de vêtements, dont 90 % vers les États-Unis. Dans le cadre du programme de QIZ jordanien, 11,7 % du vêtement jordanien devait provenir d’Israël ; ce chiffre a ensuite été baissé à 8,9% en 2004.
Quant à l’Égypte, après le soulèvement de 2011, les exportations de prêt-à-porter vers les États-Unis ont enregistré une baisse régulière, passant de 782 millions de dollars en 2012 à 751 millions de dollars en 2015, avant de connaître leur plus grosse chute (16 %) en 2016 pour atteindre 633 millions de dollars.
Alors que les États-Unis représentent environ la moitié des exportations égyptiennes de vêtements, les fabricants égyptiens veulent ramener les exportations à leur niveau antérieur – au même titre que les entreprises israéliennes, compte tenu des 10,5 % de réduction en jeu.
« Environ 30 % de mes exportations se font vers les États-Unis via les QIZ, ce qui est un avantage important », a déclaré un fabricant de vêtements égyptien lors de la conférence.
« Cela en vaut-il la peine ? »
Alors que la baisse des exportations vers les États-Unis a été attribuée à la méfiance des acheteurs face à l’instabilité en Égypte, il y a eu une autre raison : Disney.
En février 2016, le géant du divertissement s’est retiré d’Égypte, accusant les fabricants de vêtements de ne pas avoir respecté son programme en matière de normes internationales du travail (ILS).
Le programme de Disney utilise l’indice de gouvernance mondiale (IGM) de la Banque mondiale, qui est basé sur des données du programme « Better Work » de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de la Société financière internationale (SFI).
Une soixantaine d’entreprises égyptiennes avaient déjà fourni des vêtements et des textiles certifiés Disney avant le retrait de la firme. Selon des responsables égyptiens, des pourparlers sont actuellement en cours avec l’OIT pour faire revenir Disney dans leur pays.
Néanmoins, selon les propos de l’ancienne responsable du commerce américain qui s’est entretenue avec un diplomate israélien et un homme d’affaires égyptien lors de la conférence « Destination Africa », Disney entend revenir et les QIZ ont joué un rôle déterminant dans la décision du géant du divertissement.
« Je dirai [à Disney] : "Sachez que cela suscitera une problématique majeure dans le cœur et l’esprit des Arabes et que cela entraînera un boycott" »
– Ramy Shaath, activiste au sein du mouvement BDS
« Voulez-vous vraiment que nous disions aux gentilles familles juives en vacances à Disney World qu’elles n’auront pas droit, dans ce pays et dans vos parcs, à des produits fabriqués dans le cadre de [l’accord de libre-échange israélien] ? », a-t-elle dit à Disney, selon ses déclarations.
Disney n’a pas répondu aux demandes répétées de commentaires formulées par MEE.
Ramy Shaath a déclaré qu’il projetait avec d’autres activistes au sein du mouvement BDS de commencer leur initiative conjointe contre les QIZ en adressant une lettre à Disney.
« Je leur dirai : ‘’Sachez que cela suscitera une problématique majeure dans le cœur et l’esprit des Arabes et que cela entraînera un boycott.’’ Je leur conseille de réfléchir à deux fois à cette question : cela en vaut-il la peine ? »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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