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Maroc : à Agadir, on ne veut pas être domicilié à « Gaza »

L’attribution de noms palestiniens à des rues d’Agadir est à l’origine d’un conflit opposant la mairie présidée par le Parti de la justice et du développement (PJD) au mouvement culturel amazigh
La marina d'Agadir (Facebook)

RABAT – À Agadir, ville balnéaire à 500 kilomètres au sud de Rabat, 43 rues et avenues du quartier d’al-Qods devraient désormais porter le nom de Gaza, Bethléem, Rafah, Naplouse ou encore Haïfa.

Connues jusqu’à présent par leurs seuls numéros, les artères étroites et délabrées d'al-Qods sont en voie d’être baptisées après une décision votée le 9 juillet par le Conseil de la ville.

Seulement, cette décision est désormais confrontée à une opposition de plus en plus forte. Les tensions et des crispations exprimées sur les réseaux sociaux ont été suivies d’une manifestation organisée par des activistes amazighes mardi 17 juillet devant la mairie.

Fer de lance de l’opposition à cette décision, le mouvement amazigh dénonce une « mystification » qui dénaturerait « l'histoire et l'identité d'Agadir ». 

Haut lieu de l'histoire et de la civilisation amazighe, Agadir est aussi un bastion des mouvements berbéristes. Le tissu associatif amazigh de la ville, très engagé dans les causes culturelles, est aussi connu pour son opposition au Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes), souvent qualifié par eux de « parti panarabe » hostile à la culture amazighe. 

« Il s'agit là d'une atteinte à la mémoire collective d'Agadir », explique à Middle East Eye Mounir Kejji, l’un des activistes les plus en vue du mouvement culturel amazigh. « Des avocats sont en train d'étudier la procédure à suivre pour bloquer cette décision », promet-il.

Pour cet activiste, la priorité aurait dû être donnée à des personnalités originaires de la ville. « Résistants, artistes ou personnages historiques originaires [de la région] du Souss n’ont pas eu droit à un tel honneur. Par exemple, l'écrivain Mohamed Khaïr-Eddine, l'une des plus grandes plumes du pays, n'a même pas une toute petite ruelle à son nom dans toute la région du Souss », s'indigne Mounir Kejji.

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Selon lui, l'apposition de noms palestiniens aux rues du quartier al-Qods est « une anomalie et un dérapage révélateur des positions hostiles du PJD envers la cause amazighe ». « On sait qu’en coulisses, cette décision a été prise suite à une demande d'un collectif proche du Mouvement unicité et réforme [MUR, un mouvement religieux matrice idéologique du PJD] », poursuit Kejji.

« Nous ne comprenons cette polémique. Cette affaire a été exagérée », commente Mohamed Bakiri, vice-maire d'Agadir, contacté par MEE.

« Partant du principe de l'unité du thème, nous avons choisi des noms palestiniens pour 43 rues et une avenue du quartier al-Qods. Cela va de soi, compte tenu du nom du quartier », clarifie-t-il.

Forte charge symbolique

La décision, « à l'étude depuis janvier, a été adoptée à l'unanimité par le Conseil de la ville lors de sa session extraordinaire de juillet. Elle n'a pas fait l'objet de désaccord, et ceci durant tout le processus. Elle est conforme aux lois en vigueur », souligne Bakiri.

Selon le vice-maire d’Agadir, la décision a été prise « suite à des doléances des habitants. Les rues en question n’avaient pas de noms. Elles étaient juste numérotées, ce qui rendait difficile l'identification des adresses. » 

« Cette décision ne concerne qu'un seul quartier dont certaines rues ne dépassent pas dix mètres »

- Mohamed Bakiri, vice-maire d'Agadir

Ce dernier balaie d'un revers de main l'accusation d'« hostilité à la culture amazighe ». « Cette décision ne concerne qu'un seul quartier dont certaines rues ne dépassent pas dix mètres. Depuis notre arrivée au Conseil de la ville en 2015, sur près d'une centaine d'avenues, de places, de rues et de complexes culturels, 90 % des noms que nous avons choisi sont des noms amazighs ».

Compte tenu de sa forte charge symbolique, la toponymie a souvent été un enjeu de conflits locaux, et constitue un terrain de lutte entre les partis politiques et les mouvements culturels. 

En 1956, à l’indépendance du royaume – ici, Mohammed V et ses ministres à la première prière du vendredi depuis la proclamation de l’indépendance – la réappropriation du territoire a été accompagnée d’une « marocanisation » des toponymes (AFP)

En 1956, à l’indépendance du royaume, la réappropriation du territoire a été accompagnée d’une « marocanisation » des toponymes. Ce processus a été subordonné à la conception très restrictive qu’avait l’État marocain de son identité à cette époque, et a vu le référentiel arabo-musulman dominer la production toponymique. 

Nombre de villes et d’avenues baptisées par les autorités coloniales ont été arabisés, et « la ré-arabisation de la toponymie a progressivement restauré sa place perdue à la langue arabe dans la nomination des lieux et des espaces. 

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Le changement de la toponymie voulait manifester l’ancrage de la dynastie (alaouite) dans la sphère arabo-musulmane en affichant ses référents à l’arabité et à la marocanité », écrit le géographe Saïd Boujrouf.

La toponymie a évolué au gré des recompositions territoriales connues par le pays. Il a fallu attendre la réforme territoriale des années 1990 pour que les toponymes amazighs soient enfin réhabilités par les autorités marocaines. Durant la même période, l’ouverture politique amorcée par le roi Hassan II a permis aux demandes identitaires et culturelles, autrefois étouffées, de s'exprimer. La normalisation des toponymes amazighs a constitué l'une des demandes du mouvement berbériste qui, à travers cela, souhaitait une reconnaissance de la spécificité des territoires amazighs.

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