Maroc : une énième réforme pour rattraper les retards de l’école
CASABLANCA – Réduire le décrochage scolaire, généraliser le préscolaire, construire des internats et des cité universitaires… Lundi 17 septembre, le ministre marocain de l’Éducation, Saïd Amzazi, a présenté sa réforme de l’enseignement devant Mohammed VI.
Lors de cette cérémonie royale, le roi, escorté pour la première fois par sa fille la princesse Lalla Khadija, a remis des décorations à certains professeurs et accueilli les élèves les plus méritants. À en croire cette parade, l’éducation est désormais une priorité nationale.
Le ministre de l’Éducation a annoncé la construction de 80 écoles de la « seconde chance » d’ici 2021
S’agit-il d’un simple coup de com ou d’un vrai tournant pour l’école marocaine ?
Depuis l’indépendance, les réformes de l’éducation se succèdent en vain. Selon un rapport de l’UNESCO publié en 2017, le Maroc se trouve à la 136e place du classement mondial de la qualité de l’enseignement.
Nadia Bernoussi, constitutionnaliste et membre du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS), explique à Middle East Eye que « pour la première fois, toutes les volontés se conjuguent » : « Cette réforme est le plan d’action d’une stratégie bien construite, celle de la vision 2015-2030 élaborée par le Conseil, et d’une volonté au plus haut de l’État, de libérer l’éducation. Le roi a fait plusieurs discours dans ce sens ».
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Un plan d’action qui devrait bientôt être institutionnalisé par la loi-cadre sur la réforme du système de l’éducation. Le texte, adopté en Conseil des ministres le 20 août dernier, n’a toujours pas été soumis au Parlement.
Ce n’est pas nouveau, le décrochage scolaire est le principal fléau de l’école marocaine. Le ministre de l’Éducation a annoncé les objectifs suivants : passer de 5,7 % à 1 % dans le primaire rural d’ici 2024 et de 12 à 3 % au collège.
Il a également annoncé la construction de 80 écoles de la « seconde chance » d’ici 2021.
Pour Abderrahim Nimli, président de l’Association nationale des directeurs des écoles primaires au Maroc, pour lutter contre la déperdition scolaire, il faut s’attaquer en priorité aux problèmes d’infrastructures : « Dans les zones rurales, les écoles se trouvent loin des maisons. Les routes pour s’y rendre sont dangereuses. Il n’y a souvent pas de toilettes, les enfants sont obligés d’aller faire leurs besoins dans les champs à côté. Comment voulez-vous qu’ils restent à l’école ? ».
Le ministre a donc promis d’augmenter le nombre de transports et de logements. Saïd Amzazi a annoncé 570 millions de dirhams (50 millions d’euros) supplémentaires pour atteindre 1,5 milliard (90 millions d’euros) alloués à l’hébergement et la restauration, la création de quatre nouvelles cités universitaires et passer de 154 000 bénéficiaires du transport scolaire à 325 000.
Des enseignants mieux formés
Pour Nadia Bernoussi, ce volet de la réforme est le plus facile à réaliser. « Contrairement à la formation et à la gouvernance qui demandent du temps et un effort stratégique, pour améliorer les infrastructures il suffit d’avoir de l’argent. Il faut sortir les fonds nécessaires auprès des collectivités locales, de l’État et des partenaires du secteur privé », explique la spécialiste.
Avant d’ajouter : « L’ancien ministre, Mohammed Hassad, avait commencé à repeindre les écoles, remplacer le matériel…Mais on est encore loin du compte ». Surtout que les financements ne parviennent pas toujours aux écoles, selon Abderrahim Nimli : « Sur le papier, nous bénéficions de 30 % des fonds de la part du ministère et 70 % de la part des différents partenaires. Or, en pratique, on en reçoit rarement la totalité ».
« Sur le papier, nous bénéficions de 30 % des fonds de la part du ministère et 70 % de la part des différents partenaires. Or, on en reçoit rarement la totalité »
- Abderrahim Nimli, président de l’Association nationale des directeurs des écoles primaires au Maroc
Pour Abderrahim Nimli, l’une des priorités est de former les enseignants : « De nombreux enseignants sont incapables de se mettre à jour avec les nouveautés pédagogiques. Or, comprendre les enfants permet de les garder dans les classes. »
Dans son étude « Les performances du système éducatif marocain », publiée en 2015, Zahra Zerrouqi, docteur en sciences de l’environnement, pointait du doigt les limites du mode de recrutement en vigueur.
Le problème : « L’hétérogénéité des profils des stagiaires issus de différentes spécialités des universités [biologie, physique, lettres, sciences économiques et juridiques] et qui sont amenés à exercer dans le cycle primaire ». Pour Nadia Bernoussi, le volet de la formation est d’ailleurs le plus important de cette nouvelle réforme : « Aucune avancée ne peut se faire sans de véritables formateurs ».
C’est pour remédier à ce problème qu’en mars dernier, Saïd Amzazi a annoncé la création des filières universitaires d’éducation. Les futurs enseignants sont recrutés par les académies régionales pour exercer dans le primaire et le secondaire.
Ils bénéficient ensuite de deux à trois années de formation universitaire en tronc commun. Puis de deux années de formation pédagogique au sein des Centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF).
« Pour enseigner les mathématiques à Ali, il faut connaître les mathématiques et connaître comment Ali apprend les mathématiques. Voilà notre adage ! », défend Abdesselam Mili, directeur du CRMEF à Casablanca-Settat.
Les professeurs auront désormais des cours de psychologie de l’enfant et de l’adolescent, de sociologie de l’école ou encore de sociométrie. Selon le professeur, plus de 100 cycles (primaire et secondaire) sont ouverts et les inscriptions sont presque arrêtées dans certaines facultés. Le dispositif devrait s’étendre, dans les prochaines années, au préscolaire.
Le préscolaire, pierre angulaire de la réforme
Selon les spécialistes nationaux et internationaux, la généralisation du préscolaire est le principal point d’entrée pour garantir la qualité de l’enseignement marocain et éviter la déperdition scolaire.
La vision stratégique 2015-2030 insiste sur l’importance de l’enseignement préscolaire comme levier de la réforme. En juillet dernier, lors de la Journée nationale sur l’enseignement préscolaire, Mohammed VI a même affirmé que l'enseignement préscolaire devait devenir obligatoire. Le CSEFRS a publié, en novembre 2017, un rapport détaillé sur le sujet.
« Le fait que certains enfants soient privés du préscolaire est la première des inégalités, fondatrice des autres inégalités sociales et éducatives qui suivront »
- Nadia Bernoussi, président de la commission à l’origine du rapport sur l’enseignement préscolaire
« Le fait que certains enfants soient privés du préscolaire est la première des inégalités, fondatrice des autres inégalités sociales et éducatives qui suivront », analyse Nadia Bernoussi, qui préside la commission de l’éducation pour tous et de l’accessibilité qui est à l’origine de ce rapport.
Selon la spécialiste, le préscolaire est un réel vecteur de qualité de l’enseignement et un critère principal de l’égalité des chances : « Il apprend aux enfants à s’autonomiser, à socialiser, à intégrer des règles de vie… C’est prouvé, les élèves qui ont accès au préscolaire ne décrochent pas par la suite ».
C’est dans ce contexte que Saïd Amzazi a rappelé, lundi 17 septembre, les objectifs chiffrés du ministère concernant le préscolaire : 67 % d’enfants de 4 à 5 ans scolarisés d’ici 2021 et 100 % d’ici 2027, contre 49,5 % actuellement.
Le ministère projette de créer 4 000 classes à travers le royaume. Ce chiffre avait déjà été annoncé en juillet dernier, lorsque ledit ministère avait signé plusieurs conventions cadres avec les partenaires. « Nous assurons la formation des futurs éducateurs, de la mise à disposition des outils pédagogiques comme le cahier des charges par exemple et enfin la gestion des classes », explique Aziz Kaichouch, directeur général de la Fondation marocaine pour la promotion de l’enseignement du préscolaire, l’un des partenaires issus de la société civile. « Chaque semaine un petit nombre de classes voient le jour. Notre taux de réalisation est pour l’instant plutôt bon », continue-t-il.
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Cependant, dans son avis publié en novembre 2016, le CSEFRS affirme que « le projet de loi-cadre n’a pas montré́ suffisamment l’intégration de l’enseignement préscolaire dans le système éducatif et son caractère obligatoire. »
C’est là l’un des principaux enjeux, selon Nadia Bernoussi : « La loi-cadre fixe les enjeux et la vision stratégique générale », précise-t-elle à MEE. Il faut donc que le législateur et le gouvernement continuent à légiférer et apporter des précisions, comme par exemple prévoir une sanction si le caractère obligatoire du préscolaire n’est pas respecté. »
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