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Mhardeh, une ville chrétienne sur la ligne de front d’Idleb

Le conflit qui menace à 10 kilomètres de Mhardeh n’est pas une nouveauté pour cette ville chrétienne qui, depuis sept ans, se bat aux côtés du gouvernement syrien
Des jeunes Syriens envahissent le centre-ville de la ville chrétienne de Mhardeh par une chaude soirée d’été (MEE/Katharine Cooper)

MHARDEH, Syrie – Tous les soirs, les rues de la ville chrétienne de Mhardeh grouillent de vie. Des jeunes en tenue branchée boivent de la bière et fument de la chicha, scrutent timidement du regard les jolis passants et passantes et posent pour des selfies en groupe, tandis que des soldats au repos parcourent la ville en moto à vive allure avec leur petite amie assise en amazone.

« Regardez, même pendant la partie la plus difficile de la guerre, les gens sont dehors. C’est une libération, un moyen d’oublier ce que nous endurons, parce que quand les mortiers nous tombent dessus, nous devons nous cacher dans nos sous-sols », explique Samer Altouma, étudiant en licence de sciences. 

Une des quatre églises de Mhardeh (MEE/Katharine Cooper)

Alors que les gens rentrent chez eux et que la musique et les bavardages s’estompent, des explosions font vibrer le sol, tandis que les serveurs rangent les chaises et les tables.

Le centre-ville de Mhardeh se trouve à seulement dix kilomètres de la province d’Idleb, le dernier bastion contrôlé par les rebelles en Syrie, près duquel une ligne de front sinueuse est occupée par des unités de volontaires chrétiens issus de la Force de défense de Mhardeh, l’armée syrienne et les forces alliées.

Début septembre, onze civils – dont six enfants – ont été tués lorsque trois missiles sont tombés sur la ville. Un homme a perdu sa mère, son épouse et ses trois enfants lorsque sa maison a été touchée. Vingt autres personnes ont été blessées durant l’attaque.

« Nous leur avons dit que s’ils voulaient renverser le gouvernement syrien, ils devaient aller à Damas, pas ici. Mais quand nous avons vu comment ils se comportaient envers nous, en n’employant qu’une main de fer, nous avons compris que c’était une fausse révolution »

- Simon al-Wakil, commandant de la Force de défense de Mhardeh

Le conflit qui menace à Idleb – et dont la possibilité n’a pas été entièrement exclue par le récent accord conclu entre la Russie et la Turquie – n’est pas une nouveauté pour la ville. Formée en 2011 en tant que branche locale des Forces de défense nationale, constituées de volontaires du gouvernement syrien, la Force de défense chrétienne de Mhardeh est opposée aux factions rebelles du pays depuis sept ans, lors de la première attaque contre la ville.

« Nous sommes des chrétiens pacifiques qui ne voulaient pas entrer en guerre, alors nous avons essayé de trouver une solution pacifique et nos prêtres sont sortis pour parler aux terroristes [les rebelles armés, originaires pour la plupart de villages sunnites éloignés] », affirme Simon al-Wakil, commandant de la Force de défense de Mhardeh. 

« Nous leur avons dit que s’ils voulaient renverser le gouvernement syrien, ils devaient aller à Damas, pas ici. Mais quand nous avons vu comment ils se comportaient envers nous, en n’employant qu’une main de fer, nous avons compris que c’était une fausse révolution. »

Aujourd’hui, sept ans après le début de la guerre civile, les Syriens favorables au gouvernement, tout comme le gouvernement syrien et son allié russe, considèrent tous les groupes rebelles d’Idleb comme des entités terroristes. Le gouvernement syrien s’est présenté comme un défenseur des confessions minoritaires du pays et bénéficie d’un vaste soutien de la part des chrétiens et des alaouites, la secte à laquelle appartient le président Bachar al-Assad.

Quand les efforts de dialogue ont été interrompus, les rebelles ont assiégé la ville, bombardé des quartiers résidentiels, miné des routes et enlevé des civils dans la ville, dont certains qui tentaient de fuir, a ajouté Wakil. Faute d’unités de l’armée syrienne dans la région, la ville a formé la Force de défense de Mhardeh.

La plupart des hommes de plus de 18 ans en capacité de porter une arme à feu se sont portés volontaires et, sous la direction du commandant Wakil – ancien chef d’une entreprise de construction locale –, ont entamé la défense de leur ville, qui dure depuis sept ans.

La Force de défense de Mhardeh compte actuellement environ 200 combattants sur les lignes de front d’Idleb, aux côtés de l’armée syrienne et des forces alliées. Des milliers d’autres volontaires de Mhardeh peuvent être rapidement mobilisés, affirme Wakil, qui indique que ses hommes sont en état d’alerte, en attente des ordres du gouvernement pour avancer. 

La reconstruction de Mhardeh

« Du mortier, du mortier, du mortier », répète Wakil comme une devise en traversant la ville, tout en montrant de vastes sections récemment goudronnées des rues de Mhardeh, endommagées par sept années de bombardements.

Bien que les attaques des rebelles aient tué 97 civils et fait 156 blessés au cours des sept dernières années, la majeure partie de la population presque exclusivement chrétienne de Mhardeh est restée en Syrie.

« Nous sommes une communauté tellement unie que si vous frappez l’un d’entre nous, vous nous frappez tous »

– Samer Altouma, étudiant de premier cycle en sciences 

Cette tendance a été encouragée par les prêtres et les membres éminents de la communauté qui craignaient que si les habitants fuyaient, ils ne puissent plus jamais retourner dans une région où les communautés chrétiennes vivent depuis près de 2 000 ans.

Pour que la ville reste habitable, le conseil local a facilité la reconstruction rapide des habitations endommagées ou détruites lors des combats. Lorsque les familles n’ont pas l’argent nécessaire, les réparations sont financées par la communauté et certains habitants fortunés.

« Nous sommes une communauté tellement unie que si vous frappez l’un d’entre nous, vous nous frappez tous », explique Samer Altouma.

Bien que la situation à Mhardeh se soit stabilisée, les missiles tirés depuis des positions rebelles peuvent toujours frapper la ville, comme la semaine dernière, et ses citoyens vivent dans la peur de nouvelles attaques.

Monument en l’honneur d’habitants de Mhardeh tués pendant la guerre (MEE/Katharine Cooper)

Si le moral reste solide à Mhardeh, la guerre civile en Syrie et les sanctions internationales ont fait monter en flèche les prix de la plupart des produits et la vie demeure difficile. Chaque semaine, le Croissant-Rouge, responsable de la distribution de l’aide fournie par l’ONU, est submergé d’habitants venus collecter des boîtes de denrées alimentaires essentielles.

« Ces fournitures d’aide étaient très, très importantes pour les populations locales pendant les périodes de siège des terroristes, lorsque la nourriture était utilisée comme une arme », explique Wael al-Khouri, directeur adjoint de la branche locale du Croissant-Rouge syrien.

« Maintenant, les gens parviennent à vivre sans cette aide, mais celle-ci est toujours très utile et tous les produits proposés ici ont une longue durée de conservation et peuvent donc être stockés pour une utilisation ultérieure. »

Alors que la ville n’est plus en état de siège et que la fin du conflit syrien est enfin en vue, Khouri explique que le Croissant-Rouge commence désormais à changer de cap en soutenant davantage les veuves, les blessés de guerre et les nombreux enfants qui ont été affectés par le conflit. 

La vie près des lignes de front d’Idleb

Les cloches des quatre églises de Mhardeh et de son monastère sonnent tous les jours, diffusant des « avertissements » lorsque des bombardements sont en cours ou prévus. En surface, la vie continue normalement, les rues sont animées et les habitants affluent vers les collines fertiles pour récolter des figues de saison.   

Mais la vie quotidienne est assombrie par la guerre qui se poursuit. Dans un poste de commandement militaire du centre-ville, le commandant Wakil surveille les lignes de front, assis devant une rangée d’armes puissantes accrochées au mur et une étagère remplie de balles soigneusement disposées par ordre de grandeur.

Simon al-Wakil, commandant de la Force de défense de Mhardeh (MEE/Tom Westcott)

À côté d’une affiche du président syrien Bachar al-Assad étendue sur tout un mur, se dresse une vitrine contenant une botte de l’armée syrienne décorée, posée sur des drapeaux des États confédérés d’Amérique et d’Israël.

Autour de lui, des membres de la Force de défense de Mhardeh – des enseignants, des médecins, des ingénieurs et des poètes – qui, affirme-t-il, ont pris les armes pour défendre leur ville, leur culture et leur histoire chrétiennes, sirotent un café corsé. Si le discours selon lequel les rebelles menaçaient les minorités syriennes a été largement repris par le gouvernement, les habitants de Mhardeh soutiennent que pour eux, c’est une réalité. Ils estiment que leur ville a été prise pour cible par des rebelles venant de villages sunnites éloignés spécifiquement à cause de son identité chrétienne et que la peur aurait dû les pousser à s’enfuir vers des camps de réfugiés préfabriqués en Turquie.

Des fidèles allument des cierges dans l’une des quatre églises de Mhardeh (MEE/Katharine Cooper)

Blessé à neuf reprises, Wakil montre d’un geste toute la pièce en affirmant que les hommes présents ont tous été blessés lors des combats et que la plupart sont retournés directement au front après avoir été soignés.

« Nous sommes pour la Syrie, soutient-il fermement. Avant la guerre, la Syrie était un pays formidable, sur la voie du développement, mais alors, 86 pays et l’“entité sioniste” [terme que certains Syriens emploient pour désigner Israël, qu’ils ne reconnaissent pas comme pays] ont soutenu la destruction de ce pays. Ils ont détruit la Syrie mais nos enfants et nous la reconstruirons. »

Tatouages religieux et patriotiques sur un combattant de la Force de défense de Mhardeh (MEE/Katharine Cooper)

Anwar Pijou, enseignant, pense que cela faisait partie d’un plan international visant à priver la Syrie de son État et de ses institutions et à la ramener à un niveau de chaos similaire à celui du voisin irakien après 2003 : « Les vrais patriotes syriens sont pour l’État, pour la Constitution et pour la loi, parce que s’il n’y a pas de gouvernement ni d’État, il n’y aura pas de loi, juste le chaos. »

Sur les lignes de front jonchées d’obus surplombant la campagne et les villages abandonnés qui s’étendent en direction de la province d’Idleb, des membres de la Force de défense de Mhardeh tenant des positions de chars et de mortier scrutent l’horizon pour détecter toute activité. La ville d’Idleb est à 70 kilomètres et la province d’Idleb se trouve à seulement 7 kilomètres.

Simon al-Wakil, commandant de la Force de défense de Mhardeh, devant une affiche représentant Assad et Poutine, près de la ligne de front d’Idleb (MEE/Katharine Cooper)

De la vapeur s’élève des cheminées d’une sous-station électrique voisine, l’une des installations locales les plus disputées au cours du confit. Celle-ci a changé de mains à plusieurs reprises, plongeant plusieurs fois Mhardeh dans l’obscurité des semaines durant. Au cours d’une occupation de quatorze jours de la station, les rebelles ont tagué les locaux avec des devises telles que : « Nous n’avons pas besoin de l’électricité d’Assad, la lumière de l’islam nous suffit. »

Les sept années de travail de Wakil à la tête de la défense de Mhardeh ont fait de lui un héros local. Son visage trône aux côtés de ceux du président syrien Bachar al-Assad et du président russe Vladimir Poutine sur des affiches près de la ligne de front d’Idleb. Son portrait figure également dans une exposition d’art présentant le travail d’étudiants en art locaux. Son auteure, Sarah Nimow, une jeune femme de 19 ans, a décrit Wakil comme « une source d’inspiration ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et mis à jour.

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