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Naqoura : le rêve d’un Liban uni autour de l’écologie

Dans un petit village du sud du Liban, une activiste mise sur l’écologie pour créer un sentiment de citoyenneté qui puisse transcender les appartenances confessionnelles et politiques
Naqoura, au sud du Liban, aspire à devenir le premier village 100 % écolo du pays (MEE/Chloé Domat)

NAQOURA, Liban – Quand elle débarque dans la petite école de Naqoura, Rima Tarabay éteint les lumières. « Pas besoin d'allumer les ampoules en plein jour ! » lance-t-elle à un groupe d’enseignantes qui prennent le café sous un néon en forme de fleur. Dehors, le soleil tape encore fort pour un mois de novembre.

Rima, fondatrice de l’ONG Bahr Lubnan (la mer du Liban) est venue parler aux enfants. Méthodiquement, elle fait le tour de chaque classe, répète le même discours : « Vous savez qui je suis ? Ce que je fais à Naqoura ? ».

Certains ne sont pas au point, alors Rima explique. Depuis 2011, elle travaille pour que Naqoura devienne le premier village 100 % écolo du Liban. « L’idée est de développer une politique environnementale à tous les niveaux. Énergie, déchets, agriculture, eau, tourisme, éducation ; tout doit être réorganisé », explique-elle. « À terme, la préservation de l’environnement va permettre la durabilité économique. »

L’école, c’est le grand chantier de Rima. C’est là qu’elle prépare l’avenir. Panneaux solaires, tri sélectif, cours de respect de l’environnement, l'activiste mise gros sur les 175 élèves. « Avec les enfants, on peut faire avancer les choses, changer les mentalités », explique-t-elle, « en plus, ce qu’ils apprennent à l’école, ils peuvent l’enseigner à leurs parents. »

L’écologie, un non sujet au Liban

Au Liban, l’écologie, ce n’est guère plus qu’un mot vaguement à la mode dans les milieux branchés. La réalité dégage une odeur fétide : pas de politique environnementale, pas de tri, pas de recyclage. Depuis juillet 2015, le pays est submergé par ses ordures. Un peu partout dans la région du grand Beyrouth, des milliers de sacs poubelles s’entassent. Malgré les manifestations populaires, ils ont faisandé sous le soleil brûlant de l’été. Ils ont coulé en un liquide visqueux sous les pluies de l’automne. Ils pullulent de parasites, de cafards et de rats quand ils ne sont pas brulés à même la rue.

À l’occasion de la COP21, le Liban s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % avec l’aide internationale et de 15 % sans aide. Pour arriver à cet objectif d’ici 2030, le pays prévoit essentiellement une augmentation des énergies renouvelables. Toutefois, l’instabilité politique au Liban rend ce scénario peu probable. Face à l’impossibilité d’élire un président de la République, les députés, qui ont prolongé eux-mêmes leur mandat à deux reprises, n’ont pas le droit de légiférer ni par conséquent de prendre d’engagements internationaux. De plus, la réunion de Paris s’est déroulée alors que le Liban fêtait la libération de seize soldats otages du Front al-Nosra. Autant dire que l’attention était ailleurs, même le Premier ministre a préféré annuler sa participation à la COP21.

Rima Tarabay, fondatrice de l’ONG Bahr Lubnan, sensibilise les enfants de Naqoura aux questions environnementales (MEE/Chloé Domat)

Un village protégé par la guerre

Ce n’est pas par hasard si Rima a choisi Naqoura pour lancer son projet. Situé au bord de la mer, ce village est le dernier avant la frontière israélienne. Un emplacement qui l’a propulsé en première ligne de l’histoire récente du Liban. Entrée progressive des réfugiés palestiniens à partir de 1948, installation des combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1969, une première invasion israélienne en 1978, création la même année de la Force de l’ONU pour le sud-Liban (FINUL) basée à Naqoura dans le but de faire respecter la souveraineté libanaise, puis l’occupation israélienne de 1982 à 2000 et, enfin, les bombardements israéliens de la guerre de 2006.

Mais paradoxalement, c’est cette guerre incessante qui a sauvé Naqoura. Surveillé, occupé, bombardé, le village n’a pas pu suivre le développement urbain qui s’est égrainé partout ailleurs au Liban. À Naqoura, pas d’usines, pas de centres commerciaux, pas de tours en béton. Le village est resté hors du temps. Jusqu’à aujourd’hui, la zone est toujours sous contrôle de la FINUL et de l’armée libanaise ; pour y pénétrer, les étrangers doivent demander une autorisation spéciale.

« C’est l’endroit le mieux préservé du pays », résume Mahmoud Ali Mahdi, le maire du village.

La bataille des agriculteurs

C’est justement chez lui que Rima poursuit sa journée. Elle a demandé une réunion avec les agriculteurs du village dans l’idée de les convaincre d’abandonner les pesticides et la monoproduction, essentiellement des bananes et des agrumes, pour se lancer dans la culture maraîchère bio.

Le maire a mis son grand bureau à disposition, mais seulement deux cultivateurs répondent présents. L’un d’entre eux, el-Hajj, surnom donné aux hommes qui ont fait le pèlerinage à la Mecque, a tenté l’expérience l’an passé avec des tomates.

« Il n’y a pas de marché pour le bio ici. 99 % des gens veulent des légumes pas cher, c’est ça la priorité », lance-t-il derrière ses grosses lunettes noires. « C’est parce que tu n’as pas voulu envoyer tes tomates à Beyrouth, je t’avais trouvé des débouchés », rétorque Rima.

La conversation est houleuse, les critiques fusent. Le marché du bio est embryonnaire au Liban, les consommateurs sont peu sensibilisés à la provenance des aliments et pensent avant tout en termes économiques. Par conséquent, les agriculteurs misent sur les engrais chimiques. Dans les supermarchés libanais, il faut dire que les légumes sont énormes. Il n’est pas rare de croiser un oignon de la taille d’un pamplemousse ou une aubergine grosse comme un ballon de foot.

C’est finalement avec Ahmad, l’autre agriculteur présent à la réunion, que Rima va poursuivre l’expérience. Il a accepté de convertir deux hectares de ses terres aux légumes bio. « Ahmad va servir d’exemple, son succès va motiver les autres », assure Rima.

Elle ne lâche jamais prise. « Les gens me disent que ça ne sert à rien, que c’est les obus qui vont les tuer, pas les pesticides. C’est peut-être vrai mais si on reste dans la fatalité, on ne fera jamais rien. »

Rima Tarabay près d'un panneau solaire installé sur le toit de l'école de Naqoura dans le cadre du projet 100 % écolo (MEE/Chloé Domat)

L’écologie pour unir les Libanais

Rima est tenace. Elle l’admet volontiers. Il n’y a pas si longtemps, elle voulait se présenter à l’élection présidentielle « pour faire bouger les choses ».

À Naqoura, son projet revêt aussi une dimension symbolique. Par le biais de l’écologie, elle veut créer un sentiment de citoyenneté capable de transcender les appartenances confessionnelles et politiques. C’est un pari ambitieux dans un pays où coexistent, sans se mélanger, dix-huit confessions religieuses, et qui a connu quinze ans de guerre civile à caractère souvent sectaire. Mais Rima se base sur son expérience personnelle.

« Je viens du nord du Liban. Quand j’étais jeune, je militais pour un groupe extrémiste chrétien, les Forces libanaises. Ensuite, j’ai rejoint Rafiq Hariri, le leader sunnite [ancien président du Conseil des ministres du Liban, assassiné le 14 février 2005], puis aujourd’hui je travaille à Naqoura, un village à majorité chiite d’obédience Hezbollah et Amal [deux partis qui représentent les chiites libanais], et ça marche ! D’un combat chrétien, je suis passée à un combat libanais. »

Car Rima y croit dur comme fer : l’eau, les déchets, l’énergie ou encore l’air n’ont pas de confession. La préservation de l’environnement est une nécessité pour tous les Libanais, et un enjeu susceptible de les réconcilier.

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