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Pour Jack Straw, le « bon côté » du Brexit a été qu’il a détourné l’attention du rapport Chilcot

L’ancien secrétaire britannique aux Affaires étrangères a déclaré que le « côté positif » du Brexit a été l’attention réduite des médias envers l’enquête sur la guerre en Irak
Colin Powell et Jack Straw discutent lors d’une réunion du Conseil de sécurité (AFP)

L’ancien secrétaire britannique aux Affaires étrangères Jack Straw a fait part en privé de son soulagement quant au fait que le Brexit a détourné l’attention des médias du rapport accablant de Sir John Chilcot sur la guerre en Irak, selon des e-mails divulgués ce mardi.

Les e-mails entre Straw et l’ancien secrétaire d’État américain Colin Powell ont été obtenus par DC Leaks, un site web qui entretiendrait des liens avec les services de renseignement russes.

Straw et Powell étaient en poste à l’approche de l’invasion de l’Irak en 2003 et pendant celle-ci ; les deux hommes ont joué un rôle clé dans le lancement d’une guerre qui a entraîné la mort violente de plus de 250 000 personnes.

Le 6 juillet, plus de dix ans après que celui-ci a été commandé, Sir John Chilcot a publié son rapport de 2 600 000 mot sur la guerre, condamnant l’ancien Premier ministre Tony Blair pour avoir entraîné la Grande-Bretagne dans une guerre inutile basée sur des renseignements faillibles et sans planification adéquate de ses conséquences.

Deux jours avant la publication du rapport Chilcot, Straw a écrit à Powell et lui a demandé de vérifier un brouillon de déclaration qu’il avait l’intention de publier en réponse au rapport.

Faisant référence au vote de la Grande-Bretagne en faveur de la sortie de l’Union européenne le 23 juin, connu sous le nom Brexit, Straw a écrit que la politique britannique se trouvait « dans sa phase la plus extraordinaire » qu’il ait jamais connue.

Straw, qui a fait campagne en faveur du maintien dans l’Union européenne, a ajouté que « le seul bon côté du vote sur le Brexit [était] qu’il [permettrait] de réduire l’attention à moyen terme sur le rapport Chilcot ».

Malgré cela, il a écrit que le jour de la publication serait « pénible ».

Traduction :

« Cher Colin,

J’espère qu’Alma et toi allez bien.

Comme tu le sais sans aucun doute, le rapport Chilcot est publié ce mercredi à 11 h BST. J’ai une petite idée de son contenu – et je me ferais un plaisir d’en discuter si besoin est. Dis-moi ce que tu en penses et à quel moment il serait préférable que j’appelle. Cependant, je ne verrai le rapport final qu’après 8 h BST – à peine trois heures avant sa publication. Il fait 2 600 000 mots – quinze gros volumes. Le résumé fait plus de 100 pages.

Sur la base des informations que j’ai réussi à glaner, j’ai rédigé la déclaration ci-jointe – évidemment sous réserve de modifications lorsque j’aurai le rapport final. Mais comme mon ébauche te mentionne, j’ai pensé que tu devrais la lire. Si tu as des remarques sur ce que j’ai écrit, j’aimerais les entendre. Je pense également l’envoyer à Condi – ça te va ?

Pendant ce temps, comme tu auras pu le constater, la politique britannique est entrée dans sa phase la plus extraordinaire qu’on ait jamais connue. Le seul bon côté du vote sur le Brexit est qu’il permettra de réduire l’attention à moyen terme sur le rapport Chilcot – même si le jour de la publication restera pénible.

Cordialement,

Jack. »
 

Powell a répondu à Straw et lui a suggéré de partager sa proposition de déclaration avec sa successeure au poste de secrétaire d’État, Condoleezza Rice.

Il a écrit qu’il ne pouvait pas « être d’accord ou non » avec l’évaluation de Straw quant au fait que la guerre aurait « probablement » pu être évitée si une seconde résolution des Nations unies avait été obtenue avant l’invasion de 2003.

Powell a ajouté que le rapport Chilcot n’avait « pas [été] abordé dans [les médias américains] ».

Traduction :

« Jack, Merci. Je le montre également à Armitage. Ta référence à mon égard au sujet de la décision de Bremer ne me pose aucun problème. Bremer ferait valoir que cette décision était juste et qu’elle a été approuvée par Rumsfeld. Bremer pense que nous partagions tous ce point de vue. Pas vraiment. Les avis de Rumsfeld, Feith et compagnie divergent. Les responsables militaires et l’agence ont également été surpris. Je pense que tu devrais le montrer à Condi. Je vais regarder dans son livre pour voir ce qu’elle a écrit.

Je ne peux pas être d’accord ou non quand tu estimes qu’une deuxième résolution aurait empêché un conflit. J’en doute, mais je ne sais pas.

Je suis chez moi aujourd’hui jusqu’à environ 17 h EST. Je suis ici toute la journée mardi. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose dont nous devrions discuter. Je n’ai aucune idée du rapport Chilcot et il n’est pas évoqué dans nos médias. Si tu veux appeler, envoie d’abord un mail pour t’assurer que je ne suis pas occupé. »
 

L’ancien secrétaire d’État a poursuivi l’échange du 4 juillet avec un autre message datant du 3 août, dans lequel il indique que Straw s’était montré « calme » depuis le Brexit et que le rapport Chilcot « [n’avait] abouti à rien [aux États-Unis] ».

Straw a répondu à Powell, écrivant que le rapport s’était « complètement [dissipé en Grande-Bretagne] également ».

« C’était pénible le jour même, mais presque toute l’attention a été portée sur Tony [Blair] », a-t-il écrit.

Straw a fait part de son scepticisme quant à la perspective d’une action en justice intentée contre Blair pour son rôle dans la guerre, pour laquelle des familles de soldats britanniques tués en Irak font campagne.

« On entend parler de parents de soldats tués en Irak qui essaient d’engager une action en justice contre Tony, mais on voit difficilement comment cela pourrait fonctionner » a-t-il indiqué.

Straw a ensuite discuté d’autres sujets avec Powell, louant notamment l’ancien responsable politique américain pour ses qualités d’orateur capable d’impressionner son auditoire.

Traduction :

« Joyeux anniversaire, mon vieux ! Tu es calme depuis le Brexit. Je présume que le rapport s’est dissipé dans l’avalanche d’actualités. Cela n’a abouti à rien ici. On a beaucoup parlé de Tony pendant une courte période. Mes amitiés à Alice de HG. Colin »

« Cher Colin, merci beaucoup ! Mais comment se fait-il que quelqu’un qui aura 80 ans au mois d’avril prochain me qualifie de "vieux" ? (La seule réponse d’Alice à cela est que "[tu te portes] à merveille" !)

En effet, l’affaire du rapport Chilcot s’est complètement dissipée ici également. C’était pénible le jour même, mais presque toute l’attention a été portée sur Tony.

Mais même pour lui, cela semble s’être envolé. On entend parler de parents de soldats tués en Irak qui essaient d’engager une action en justice contre Tony, mais on voit difficilement comment cela pourrait fonctionner.

Prévois-tu de venir à Londres ? J’ai récemment rencontré quelqu’un qui t’a entendu parler et qui t’a trouvé impressionnant.

Alice de HG et moi-même tenons à vous adresser, à Alma et toi, nos meilleures salutations.

Jack »
 

Straw n’a pas répondu à une demande de commentaires au sujet des e-mails.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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