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Pour ses proches, Anis Amri était un « délinquant » qui « aimait faire la fête »

MEE a rencontré la famille d’Anis Amri, auteur présumé de l’attentat de Berlin, dans la petite ville où il habitait, au centre de la Tunisie, avant de quitter son pays en 2011
Anis Amri, 24 ans, aurait selon son père rencontré des extrémistes en prison en Italie (AFP)

OUESLATIA, Tunisie – Personne ne vient à Oueslatia sans but précis. Nous sommes à trois heures de voiture au sud-ouest de Tunis, à 60 kilomètres de Kairouan, dans une petite ville isolée de 10 000 habitants, à vocation plutôt agricole.

C’est ici que vit la famille d’Anis Amri, le Tunisien de 24 ans, auteur présumé de l’attentat de Berlin qui a coûté la vie à douze personnes lundi dernier, abattu ce matin à Milan.

Ce jeudi, le ministre allemand de l’Intérieur a annoncé que les empreintes digitales d’Anis Amri avaient été retrouvées dans la cabine du camion-bélier qui a servi à foncer dans la foule, en plus de documents appartenant au suspect.

« C’est un cauchemar à la fois pour nous tous mais aussi pour sa famille », confie à Middle East Eye le propriétaire d’un kiosque à journaux de Oueslatia qui, depuis quelques jours, est assaillie par les médias. « Sa famille vivait dans des conditions difficiles mais il n’avait aucune raison de se radicaliser. »

Comme la majorité des habitants, il se dit « choqué », même si les déboires d’Anis Amir avec la justice étaient connus. 

Il appelait « pratiquement tous les soirs pour prendre des nouvelles de la famille »

Né à Oueslatia, le jeune homme était recherché en Tunisie pour avoir participé au braquage d’une voiture à Gabès, dans le sud du pays. La justice tunisienne l’avait condamné par contumace à cinq années de prison.

Nejwa, sa sœur, en Master de droit, rencontrée dans le modeste appartement familial, affirme à MEE que son jeune frère est parti en Italie alors qu’il n’avait « rien à voir avec ce braquage ».

Selon son père, interviewé par le Times, Anis Amri – alias Ahmed Zaghloul, Ahmad Zarzour ou encore Ahmad al-Masri – a quitté la Tunisie en 2011 avec la vague d’émigration illégale qui a suivi la révolution. Et c’est en prison en Italie qu’il aurait rencontré des extrémistes.

« Anis est resté près d’une année dans un foyer avant que la police l’arrête pour avoir mis le feu au foyer. Il a été jugé et a écopé d’une peine de quatre années de prison », précise Nejwa.

Son ami, qui l’a accompagné durant sa traversée jusqu’en Italie pour ensuite revenir à Oueslatia (et qui souhaite rester anonyme), raconte qu’ils étaient ensemble le soir où le feu s’est déclenché. « On fumait des cigarettes et on buvait, c’est là par erreur que le feu a pris dans un matelas à cause d’un mégot, mais Anis ne l’a pas fait volontairement », témoigne-t-il.

Voiture de police stationnée devant le domicile d’Anis Amri à Oueslatia, au sud-ouest de Tunis (MEE/Massinissa Benlakehal)

Au commissariat de Oueslatia, entre deux discussions, un policier raconte à MEE qu’il a bien connu Anis. « Je l’ai arrêté en 2008 pour consommation de cannabis. Un délit qui lui a coûté une année en prison ».

Dans les cafés, le nom d’Anis Amri est sur toutes les lèvres. Jusqu’à cette semaine, Oueslatia n’était qu’une ville comme les autres en Tunisie, frappée par le chômage.

« Il n’y a pas de travail dans cette ville, et les jeunes ne peuvent aller nulle part ailleurs pour subvenir aux besoins de leur familles », nous dit-on dans un café à l’entrée de la ville.

« Comment voulez-vous que les jeunes ne veuillent pas tout abandonner pour tenter de prendre le large vers l’Europe ? », lance un jeune, assis à la table d’à côté.

La famille d’Anis Amri et son entourage, rencontrés par MEE, refusent de croire qu'il puisse être à l’origine d’une telle tragédie.

Selon les témoignages d’Abdelkader, Nejwa et Hanene, ses frères et sœurs – Anis Amri est le benjamin d’une fratrie de neuf enfants (quatre garçons et cinq filles) –, il appelait « pratiquement tous les soirs pour prendre des nouvelles de la famille ».

« Même quand il était en prison, mon frère nous appelait toutes les deux semaines », témoigne Nejwa en montrant également les lettres qu’il envoyait. « Dites à ma mère que je lui demande pardon pour la souffrance que je vous ai causée », est-il écrit dans l’une d’entre elles.

Le samedi avant l’attaque, Ani Amri aurait aussi appelé sa mère. « Il m’a demandé de voir avec un avocat pour régulariser sa situation vis-à-vis de la justice tunisienne », explique-t-elle.

Anis Amri est sorti huit mois avant la fin de sa peine pour bonne conduite. Selon sa sœur, il a alors quitté l’Italie pour se rendre en Suisse, trois semaines, puis en Allemagne en juin 2015 où il a déposé une demande d’asile (il en a ensuite été débouté).

« Il aimait faire la fête et n’a jamais eu de pensées religieuses, quelles qu’elles soient »

- Nour Houda, mère d'Anis Amri

« Il se débrouillait pour vivre en faisant des petits boulots, raconte encore Nejwa. Un jour, il m’a dit qu’il vendait des chapeaux sur un marché. »

Son père ne lui a jamais pardonné d’être parti « tant que sa situation avec la justice n’était pas régularisée », explique-t-elle à MEE.

« Il aimait faire la fête et n’a jamais eu de pensées religieuses, quelles qu’elles soient », affirme sa mère, Nour Houda. À longueur de journée, interrogée par les services de police dont la brigade antiterroriste, les yeux rougis par les larmes, elle répète les mêmes mots. Son fils était « un bon vivant », promet-elle en s’étonnant de toutes les identités sous lesquelles il est recherché.

« Je ne crois absolument pas qu’il ait fait ce dont on le suspecte. D’ailleurs, il n’y a rien de clair dans toute cette histoire ! »

Les autorités allemandes soupçonnent Anis Amri d’être un disciple d’Abou Wala – arrêté en novembre 2016 à Hildesheim et actuellement incarcéré dans une prison allemande –, un recruteur du groupe État islamique (EI).

La Tunisie est un important vivier de combattants pour l’EI : ils seraient, selon Washington, quelque 6 000 à avoir rejoint les rangs d’Abou Bakr al-Baghdadi en Syrie et en Irak.

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