Poursuivant ses rêves de trophée en Turquie, un club kurde se retrouve au cœur d’un match politique
ISTANBUL, Turquie – Ils se sont hissés jusqu’aux quarts de finale de la Coupe de Turquie de football après un parcours enthousiasmant. Pourtant, les joueurs d’Amedspor, un club de troisième division, ont appris à leurs dépens qu’en Turquie, sport et politique sont rarement dissociés.
Ce club atypique, issu de la plus grande ville kurde de Turquie, Diyarbakır, a battu deux équipes de première division pour accéder aux quarts de finale, à l’occasion desquels il rencontrera le géant Fenerbahçe le 9 février. Mais ce succès a manifestement eu un prix.
Les responsables d’Amedspor affirment que suite à ce succès, plusieurs dizaines de supporters ont été arrêtés, les locaux du club ont été pris d’assaut par des unités antiterroristes, les supporters ont été interdits d’assister au match à domicile contre Fenerbahçe et un joueur clé de l’équipe s’est vu infliger une suspension de douze matchs pour « propagande idéologique à connotation politique ».
Le parcours du club en coupe survient alors qu’un conflit turco-kurde a éclaté en juillet dernier, après qu’un plan de paix appliqué pendant trois ans est tombé à l’eau. Ces derniers mois, les villes du sud-est de la Turquie sont redevenues des champs de bataille où l’armée turque combat le PKK, organisation kurde qui a été interdite.
Le président d’Amedspor, Ali Karakaş, estime que le club est victime de discrimination politique et raciale, tout simplement parce que les autorités trouvent le succès des Kurdes difficile à avaler.
« Nous nous entraînons tous les jours entourés par le bruit des chars et des tirs d’artillerie. Ces raids ne nous intimideront pas et ne nous démoraliseront pas, a déclaré Karakaş à Middle East Eye. Mais ce à quoi nous sommes confrontés est purement et simplement de la discrimination raciale et nous recourrons à tous les moyens légaux à notre disposition pour obtenir justice. »
Selon Karakaş, le club était déjà dans l’œil du cyclone en début de saison, mais l’intimidation a empiré à cause de ses victoires contre des clubs de l’élite en coupe. En janvier, les locaux du club ont été pris d’assaut par la police antiterroriste après qu’un supporter a dédié sur son compte Twitter la victoire en coupe contre l’équipe de première division de Bursaspor aux « guérilleros » kurdes à Sur et à Cizre.
« Pourquoi envoyer une équipe de 40 agents antiterroristes pour enquêter sur la source d’un tweet ? Ils auraient pu simplement retracer l’adresse IP à distance ou même juste envoyer quelques agents en civil, que nous aurions aidés volontiers, a soutenu Karakaş. Tout cela n’est qu’une ruse pour nous intimider. »
La Fédération turque de football (TFF) a interdit aux supporters d’Amedspor d’assister au match à domicile contre Fenerbahçe pour usage de chants et de slogans lors d’une rencontre face à Medipol Başakşehir à Istanbul, tels que « la résistance est partout ».
Près de 100 supporters ont également été arrêtés.
Par la suite, le milieu de terrain Deniz Naki a été suspendu pour douze matchs par la TFF pour « propagande idéologique » après s’être exprimé sur les réseaux sociaux pour dédier la victoire contre Bursaspor aux Kurdes tués par la répression du gouvernement. Il a terminé son message en kurde, avec les mots « Her Biji Azadi », qui signifient « Vive la liberté ».
Karakaş a fait appel des décisions et affirme que le club portera ces affaires devant l’instance dirigeante du football européen, l’UEFA, en cas d’échec des appels au niveau national.
L’UEFA et la FIFA, l’instance dirigeante du football mondial, ont toutes deux des statuts clairs en termes d’ingérence politique dans le football et de racisme.
Dans les cas extrêmes, la fédération d’un pays peut être suspendue et son équipe nationale peut être exclue de toute compétition internationale pour ingérence politique.
Çetin Cem Yılmaz, analyste sportif turc, a indiqué ne pas avoir souvenir d’une suspension de douze matches jamais prononcée pour « propagande idéologique ». Toutefois, les interdictions de stade portant sur le comportement des supporters sont plus fréquentes dans le football turc.
Yılmaz a affirmé ne pas croire qu’une accusation d’ingérence politique contre la TFF puisse tenir. Malgré la posture intransigeante de l’UEFA contre le racisme, ce sont généralement les clubs et leurs supporters qui sont signalés et rarement les fédérations de football nationales, a fortiori pour des rencontres nationales.
« Ce n’est un secret pour personne que le football turc est très politisé, mais je doute que l’ampleur de cet incident puisse être suffisante pour entraîner une suspension de la Fédération turque de football par l’UEFA ou pour compromettre la participation de l’équipe nationale à l’Euro 2016 », a indiqué Yılmaz à MEE.
« Je pense que la préoccupation la plus pressante pour Amedspor est de pouvoir obtenir la levée de l’interdiction de stade et de la suspension à temps pour leur quart de finale afin d’avoir un peu plus de chances », a-t-il soutenu.
Bilal Akkulu, un des fondateurs du groupe de supporters Amedspor Barikat, a fait partie des supporters qui ont été arrêtés après le match contre Medipol à Istanbul.
« Nous avons été arrêtés et emmenés ; certains ont subi des mauvais traitements de la part de la police et ont même été forcés de chanter l’hymne national turc tout en étant maltraités en permanence », a-t-il raconté à MEE.
Il a expliqué que les supporters, les joueurs et le personnel du club font face aux abus les plus ignobles lors de la plupart des matches à l’extérieur.
« Nous sommes traités comme des ennemis mortels à quasiment chaque match à l’extérieur et nous subissons les pires abus, mais le match à Istanbul a battu tous les records. »
Un représentant du groupe de supporters de Başakşehir, 1453, a cependant exprimé un point de vue différent en affirmant que les supporters d’Amedspor avaient insulté les valeurs nationales.
« Si des supporters d’Amed ont dépassé les bornes, alors nos forces de police ont fait ce qu’il fallait et nous soutenons pleinement cela », a-t-il soutenu.
« Toutefois, en tant que groupe, nous ne croyons pas que tous les supporters d’Amedspor doivent être considérés comme des sympathisants du PKK et nous ne croyons pas non plus que politique et football doivent être mélangés. »
« Mais cette question [le conflit dans le sud-est du pays] dépasse le cadre de la politique et nous ne négocierons pas là-dessus. Nous respecterons toutes les équipes visiteuses et leurs supporters tant qu’ils respectent notre religion, notre drapeau et notre nation », a-t-il indiqué.
Déjà confrontée à des circonstances difficiles, l’équipe d’Amedspor doit maintenant affronter Fenerbahçe et ses joueurs de classe mondiale, tels que les anciennes stars de Manchester United Robin van Persie et Nani, sans ses supporters et sans un de ses joueurs clés.
Pourtant, rien de tout cela ne freinera l’optimisme de ses supporters à l’approche des matchs de leur équipe.
« Quelles que soient les circonstances, nous soutiendrons notre équipe à fond. Le succès de notre équipe apporte au moins un peu de joie à notre peuple assiégé, a affirmé Bilal Akkulu. Nous allons remporter la coupe. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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