Représailles contre les responsables israéliens qui dénoncent les crimes de haine
Les responsables politiques israéliens qui ont dénoncé les récentes violences à Jérusalem et dans le village de Douma, en Cisjordanie, ont été insultés et ont vu leurs biens attaqués par certains de leurs compatriotes.
Jeudi, un juif ultra-orthodoxe a poignardé six personnes durant la Gay Pride de Jérusalem, tuant une adolescente. L’assaillant, Yishai Shlissel, avait été libéré de prison trois semaines auparavant après avoir purgé une peine de dix ans pour une attaque similaire perpétrée lors du défilé de la Gay Pride de 2005. L’agression a été immédiatement dénoncée, décrite comme un effroyable crime de haine.
Le jour suivant, des colons israéliens, probablement originaires de la colonie de Maaleh Éphraïm, ont mis le feu à la maison d’une famille palestinienne, les Dawabshe, à Douma, provoquant la mort de leur bébé de 18 mois, Ali, brûlé vif. Ses parents et son frère de 4 ans sont dans un état critique à l’hôpital israélien de Saroka, souffrant de brûlures au troisième degré sur presque tout le corps.
L’agression a provoqué des manifestations en Cisjordanie, et les responsables palestiniens et israéliens l’ont condamnée comme étant un acte de « terrorisme ». Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui dirige un gouvernement de droite, a tweeté qu’il était « choqué » par le meurtre du petit Ali.
« C’est un acte de terrorisme horrible et répréhensible à tous les égards », a-t-il écrit.
Son homologue, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP) Rami Hamdallah, s’est rendu dans le village de la famille, où il a déclaré aux journalistes que l’AP « n’accept[ait] pas les paroles de condamnation de Netanyahou ».
« Son gouvernement et les colons qui le composent et incitent à tuer des Palestiniens sont responsables [de cet acte] », a-t-il affirmé.
Des centaines d’Israéliens ont manifesté à Jérusalem et Tel Aviv contre ces deux attaques, certains manifestants reprochant au gouvernement d’avoir échoué à empêcher les colons violents de nuire, allant même parfois jusqu’à l’accuser d’encourager et de récompenser ces agissements.
Place Sion à Jérusalem, le président israélien Reuven Rivlin a admis que les condamnations ne suffisaient pas pour garantir que de telles attaques ne se reproduisent à l’avenir.
« Nous ne pouvons continuer à faire comme s’il ne s’agissait que de tragiques coïncidences », a-t-il déclaré. « De simples condamnations ne nous permettront pas d’y mettre fin. Nous devons nous demander quel type d’atmosphère publique permet à ces mauvais fruits de pousser et de prospérer dans notre société. »
Incendies de voitures et menaces en ligne
Après avoir décrit l’assaut comme un acte de « terrorisme juif », le président Rivlin a fait l’objet d’insultes sur Internet.
« Plus que de la honte, c’est de la peine que je ressens », a-t-il écrit sur Facebook en arabe et en hébreu. « La peine que me procure le meurtre d’un nouveau-né. La peine que me procure le choix de la voie du terrorisme fait par mon peuple, et la perte de son humanité. »
« La voie qu’ils ont empruntée n’est pas celle de l’État d’Israël ni celle du peuple juif. Malheureusement, il semble que nous ayons jusqu’à présent pris à la légère le phénomène du terrorisme juif. »
Le message de Rivlin a provoqué plus de 2 000 réponses, beaucoup d’entre elles négatives, l’accusant de traître.
« Sale traître », a lancé un commentateur cité par le journal Maariv. « Ta fin sera pire que celle d’[Ariel] Sharon », a-t-il poursuivi en référence à l’ancien Premier ministre israélien qui a passé huit ans dans le coma.
Ces commentaires ont poussé la police israélienne à ouvrir une enquête et « examiner les publications offensives à l’encontre du président sur les réseaux sociaux ».
Les autorités judiciaires israéliennes n’ont toutefois pas indiqué si le crime d’incitation à la violence faisait également l’objet de l’enquête.
Samedi, David Even Zur, le maire de Kiryat Yam, une ville israélienne située au nord d’Haïfa, a retrouvé sa voiture carbonisée après avoir condamné l’incendie criminel en Cisjordanie.
« Le jour de Tou Beav, la fête de l’amour, alors que nous voyons autour de nous de plus en plus de manifestations de haine et de violence qui nous indignent tous, nous devons aimer et respecter notre prochain », avait-il écrit sur Facebook.
Si personne n’a été blessé lors de l’incendie de la voiture d’Even Zur, la découverte d’une bombe cachée sous le siège avant du véhicule a poussé la police à lui conseiller de se procurer un garde du corps.
Un porte-parole de la mairie a indiqué qu’Even Zur n’avais pas reçu de menaces par le passé et que les autorités suspectaient donc qu’il s’agissait d’un crime de haine lié à son message sur Facebook.
Une culture d’impunité
Dimanche matin, Amad Abou Sharah, un Palestinien d’Israël âgé de 56 ans, a été brutalement agressé par trois individus, que l’on suspecte être de nationalité israélienne, à l’entrée de son domicile dans la ville de Lod. Abou Sharah a porté plainte au commissariat, affirmant n’avoir aucun différend avec quiconque et avoir été agressé simplement parce qu’il est arabe.
Ces agressions et crimes de haine ont contraint la société israélienne à s’interroger sur la « culture d’impunité » - ainsi que la décrivent les journalistes Susan Abulhawa et Jonathan Freedland – accordée par les autorités à leurs auteurs. Selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem, l’attaque contre la famille Dawabshe n’était « qu’une question de temps », étant donné que des colons avaient mis le feu à des habitations palestiniennes à sept reprises déjà depuis 2012.
« Ceci est dû à la politique des autorités, qui évitent d’appliquer la loi dans les cas d’agressions perpétrées par des Israéliens contre des Palestiniens et contre leurs biens », a déclaré B’Tselem dans un communiqué. « Cette politique engendre l’impunité pour les crimes de haine et encourage les agresseurs à continuer. »
Ainsi que Susan Abulhawa l’a mis en évidence dans un article rédigé pour Middle East Eye, depuis 2000, la violence des soldats et colons israéliens a tué 1 895 enfants palestiniens. Aucun Israélien n’a été emprisonné pour ces assassinats.
On dénombre plus de 200 colonies exclusivement juives en Cisjordanie – toutes illégales selon le droit international –, où réside plus d’un demi-million de colons. Selon un rapport publié l’année dernière par l’Office pour la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), environ une attaque de colons est perpétrée chaque jour en Cisjordanie, pour un total de 399 rien qu’en 2014.
Un groupe juif opposé à l’État d’Israël
Selon le Shin Bet, l’agence de renseignement intérieur israélienne, un mouvement clandestin de colons dénommé Hamered (qui signifie « révolte » en hébreu) serait derrière l’attentat contre la famille Dawabshe.
Le groupe est responsable de plusieurs actes de terrorisme contre des Palestiniens, leurs terres, leurs résidences et lieux de culte, souvent commis sous les yeux et la protection de l’armée israélienne – dans le but de porter préjudice au gouvernement israélien. D’après le journal Haaretz, le groupe ne reconnaît pas le gouvernement et le système étatique israéliens, et a pour objectif l’établissement d’une structure de gouvernance basée sur la halakha, la loi juive.
Le groupe est composé d’une dizaine d’individus qui commettent leurs forfaits près des « outposts » (colonies « illégales » selon le droit israélien, ndt) mais aussi à l’ouest de la ligne verte.
Selon le Shin Bet, Hamered est dirigé par Meir Ettinger, le petit-fils du rabbin d’extrême droite Meir Kahane. Âgé d’une vingtaine d’années, il serait également responsable de l’incendie en juin dernier de l’église de la Multiplication des pains et des poissons, au nord-ouest du lac de Tibériade. Il est interdit d’accès à Jérusalem et en Cisjordanie.
Ettinger a nié son implication dans ce groupe, affirmant dans un billet de blog publié vendredi dernier qu’il ne s’agissait que de « mensonges » du Shin Bet. Il a été arrêté lundi par la police israélienne, qui a indiqué qu’il était suspecté de « crimes nationalistes », mais n’a pour l’instant pas été mis en cause dans l’incendie de la maison des Dawabshe.
Traduction de l’anglais (original).
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