Tunisie : aucun garde-fou juridique contre la chasse aux homosexuels
TUNIS - Depuis janvier 2016, l'association Damj, qui défend les droits de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) a recensé près d’une quinzaine de cas d’homosexuels arrêtés ou agressés physiquement. La plupart sont jugés coupables sur la base de l’article 230 du code pénal tunisien qui condamne la sodomie et le lesbianisme.
En janvier dernier, un juge de Hammam Sousse, dans la banlieue de la ville de Sousse, à 140 kilomètres de Tunis, avait émis un mandat de dépôt contre deux jeunes, forcés à subir un test anal. Ils ont été relâchés après deux mois d’emprisonnement.
L’an dernier encore, six étudiants avaient été arrêtés à Kairouan. Ils ont été libérés après paiement d’une caution et bannis par la justice de la ville de Kairouan pour trois ans. Mais le jugement a été cassé par la cour d’appel de Sousse et l’affaire est toujours en cassation.
En mars 2016, trois d’entr'eux avaient été de nouveau arrêtés pour les mêmes raisons et avaient obtenu un non-lieu.
Derniers cas en date : celui d'un réalisateur et d'un étudiant, arrêtés le 13 mars à Tunis. Incarcérés, ils attendent d'être jugés.
« Des voisins ont entendu des bruits liés à une altercation et ont prévenu la police. Quand cette dernière est intervenue, mon client a eu peur et il a tout de suite avoué avoir des relations homosexuelles, surtout quand il a été interrogé sur la différence d’âge entre lui et l'autre personne présente », raconte à Middle East Eye Mounir Bâatour, l’avocat de l’étudiant arrêté, aussi président de l’association Shams qui lutte pour les droits LGBT.
Le test anal de nouveau en débat
Depuis, les réalisateurs et les personnalités du monde artistique se mobilisent tout comme les associations de lutte pour les droits LGBT.
« Les informations sont encore peu claires, nous les recevons au compte-goutte. Mais comme il n'existe pas de circulaire claire au ministère de l’Intérieur sur les personnes arrêtées pour homosexualité, les arrestations continuent et sont laissées au bon vouloir de la police ou du juge d’instruction, qui condamne toujours sur la base de l’article 230 », constate Badr Baabou de l’association Damj.
Par ailleurs, la pratique du test anal quasi systématique lors des arrestations suscite depuis deux ans une polémique à travers plusieurs affaires. Cette pratique est considérée comme une torture par les Nations unies. Depuis septembre 2016, des experts de l’ONU ont condamné les test anaux dans un rapport et ont réclamé une action de la part des gouvernements.
« Si nous avions une cour constitutionnelle, nous pourrions enfin abroger l’article 230 et la pratique du test anal car tout cela est anticonstitutionnel et porte atteinte à la dignité humaine », affirme Ali Bousselmi.
Si l'étudiant arrêté en mars n’a pas subi de test anal, la police aurait en revanche demandé au réalisateur de s'y soumettre, ce qu’il a refusé, selon Mounir Baâtour qui a lui-même été victime d’une arrestation et d’une condamnation en 2013 en raison de son orientation sexuelle. Selon deux sources proches du réalisateur, le réalisateur a nié être homosexuel auprès des autorités.
L’avocat du jeune étudiant va plaider la cause de son client sur l’anti-constitutionnalité de l’arrestation. « Même si la cour n’existe pas, étant donné qu’il existe une loi qui garantit sa création, nous pouvons demander le report du jugement en attendant qu’elle soit créée et négocier une libération conditionnelle pour mon client », explique-t-il à MEE.
La nécessité de l’anonymat
Pour comprendre à quel point l'orientation sexuelle est encore un sujet tabou dans la société, plusieurs militants de la communauté LGBT se sont opposés à la diffusion du nom des personnes impliquées.
« Il y a beaucoup de désinformation autour de l’affaire et il aurait fallu que l’anonymat des deux personnes soit préservé », regrette Ali Bousselmi co-fondateur de Mawjoudin, une association qui lutte pour la défense des droits LGBT en évoquant la publication du nom du réalisateur dans un communiqué de la société des réalisateurs français et dans d’autres médias.
« De nombreux homosexuels arrêtés dont le nom est divulgué dans la presse se font ensuite jeter à la rue par leur famille, nous avons reçu de nombreux cas pour en témoigner. »
Bassem Trifi, vice-président de la Ligue des droits de l’homme, avocat et ami de la famille du réalisateur, confie : « La famille est indignée que le nom du réalisateur ait été publié, nous avons une procédure qui veut que le nom de la victime ne soit pas révélé sans son accord. Cet homme a une petite fille qui a découvert tout cela dans les médias alors que rien n’est avéré », s'emporte-t-il.
Un documentaire avec des jeunes à visage découvert et des anonymes a été produit par l’association Shams, pour parler des problèmes de la communauté, et un numéro vert vers une cellule d’écoute (+216 36 316 362) a été mis en place.
« Mais la société est toujours conservatrice, que ce soit les familles qui rejettent leurs enfants ou les juges qui décident de les condamner à la prison », conclut Mounir Baâtour. Le réalisateur et l’étudiant encourent trois ans de prison.
La communauté LGBT sait en tout cas qu'elle ne trouvera pas de soutien auprès de la classe politique où aucun parti ne s'est exprimé sur le sujet.
Dans une série d’entretiens avec le journaliste Olivier Ravanello, le leader du parti islamiste Ennahdha Rached Ghannouchi s’était prononcé contre la pénalisation de l’homosexualité. « Ce qui se passe dans votre maison ne regarde personne, c’est votre choix et personne n’a le droit d’y entrer et de vous interdire ceci ou cela », avait-il déclaré. Mais il n’a jamais confirmé dans un autre contexte cette prise de position, tandis que le président de la République Béji Caïd Essebsi dit depuis 2015 être opposé à la dépénalisation de l’homosexualité.
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